Rendez-vous médical
— Tu es où là ?
— Devant la tombe de Pépé, chuchota Diane, le téléphone à l’oreille.
— Ok, tu peux essayer de me décrire la personne ?
— C’est pas facile, elle est vachement plus loin, et de dos. Quand je suis passée, elle était accroupie. En tout cas, je suis sure que c’est une femme.
Elle se tordit le cou le plus discrètement possible pour voir la personne.
— Elle porte un grand manteau, type doudoune kaki qui descend jusqu’aux pieds, et elle a un bonnet clair sur les cheveux. Je ne vois pas grand-chose de plus.
Mathias fulmina à l’autre bout du fil.
— Elle fait quoi ? Ça te fait penser à un rituel ?
— Non, pas du tout. Elle est debout maintenant, elle sort ses gants de ses poches… Oups, couina Diane. Je crois qu’elle a vu que je la regardais, reprit-elle encore plus bas.
Diane prit un air innocent et retira quelques pétales fanés de la tombe de son grand-père.
— Ok, bon, je me dépêche, j’arrive, se décida Mathias.
Diane l’entendit s’activer.
Elle attendit quelques minutes avant d’oser se retourner. L’inconnue avait disparu. Elle ferma les yeux, anticipant la réaction de son frère.
— Ça ne sert à rien, elle n’est plus là.
Mathias jura dans le combiné.
— Tu n’a vraiment rien remarqué d’inhabituel ou de notable ?
— Humm… pfff…
Diane fit un effort de concentration.
— Une écharpe violette, je crois. Comme celle qu’avait la secrétaire médicale, l’autre soir à la veillée, très épaisse, foncée .
— La secrétaire médicale…
Pendant que son frère réfléchissait, Diane remonta rapidement l’allée pour tenter d’apercevoir la silhouette de la femme.
— Dalhia ? Diana ? Un truc du genre, tenta-t-elle de se rappeler, essoufflée.
— C’était un prénom peu commun oui, je me souviens qu’elle était blonde.
Diane sortit du cimetière. La rue se révéla déserte, aucune trace de la silhouette engoncée dans sa doudoune kaki.
— Adam avait tiqué sur ses bijoux, indiqua-t-elle en rajustant le téléphone contre son oreille.
— Ah oui ?
La jeune femme reprit la direction de la tombe de son grand-père. Elle se promit de prendre le temps de s’y recueillir après toute cette agitation.
— Des cristaux de roche, vendus la plupart du temps par des charlatans vantant leurs vertus. Adam a reconnu les pierres, je n’ai plus le nom en tête, elles sont censées décupler les pouvoirs extrasensoriels. Pour pouvoir parler avec les esprits ou…
Elle se stoppa net.
— Oh punaise ! Mathias, tu crois que c’est elle ?
— N’allons pas trop vite en besogne, la freina la voix lointaine et sévère de son frère. Ce n’est pas parce qu’elle porte des colliers étranges qu’elle tue des gens.
— Ça serait une étrange coïncidence quand même, ça se trouve Nicole Girard n’est pas morte !
Diane revint devant la concession portant le nom évoqué.
— La tombe est vraiment tristoune. Juste un rectangle rempli de graviers. Il y a quelques bougies fondues, le nom et les dates sur la plaque, pas une fleur, ni même un faux bouquet moche.
— Pas de photo j’imagine ?
— Non, pas de photo, puisque la secrétaire l’a piqué pour ses rituels, chuchota-t-elle dans le microphone.
Mathias sourit et mit le haut parleur pour consulter sa galerie photo.
— En parlant de photo, celles sur mon téléphone sont en qualité médiocre, quelqu’un devrait m’en apporter d’autres prochainement.
— Tu ne veux pas retourner au manoir ? C’est un indice primordial je pense.
— Puisque Devèze a refusé de m’aider, je ne peux pas baliser les lieux. Les preuves ont dû disparaître depuis. Et puis, si j’y vais et qu’il l’apprend, je suis bon pour une mise à pied.
— Zut…
Diane remarqua un détritus proche de son pied droit. Une carte de visite colorée. Elle la glissa dans sa poche pour la mettre à la poubelle en sortant.
— T’inquiètes, c’est pas ça qui va m’arrêter, si je dois y retourner je le ferai.
— Ne fout pas ta carrière en l’air non plus…
Un coup de vent la fit éternuer.
— Bon, ne te mets pas plus en retard, tu as de la route à faire.
— Je vais passer un peu de temps avec Pépé, sinon il va me botter le train quand je passerai l’arme à gauche.
Mathias pouffa avant de raccrocher.
Diane retrouva la voiture avec plaisir, frottant ses mains rouges pour les revigorer. Elle mit le contact pour lancer le chauffage. Avant de partir, elle fit le tour du cimetière, histoire de vérifier que la visiteuse de Nicole Girard n’attendait pas son départ pour revenir. Frustrée de ne pas pouvoir apporter plus de renseignements à son frère, elle se décida à rouler vers Paris.
Le lendemain, à sa pause, Mathias sonnait au cabinet du docteur Vesplin. En entrant, sur le porte-manteau, il avisa d’office l’écharpe violette et le bonnet crème. Le manteau, par contre, ne se révéla pas être une doudoune.
Deux sur trois, c’est déjà pas mal.
— Bonjour, vous avez rendez-vous ? demanda la fameuse secrétaire.
Le gendarme tenta de ne pas fixer trop intensément ses boucles d’oreilles pendantes, chargées de lourdes pierres qui oscillaient avec le mouvement.
— En fait, c’est avec vous que je voulais parler.
— Moi ? demanda la femme en fronçant les sourcils.
Les quelques patients du cabinet tendirent l’oreille.
— Ce n’est peut-être pas le lieu approprié, releva Mathias. Mais après votre journée, rien de grave, ce ne sera pas long.
— Eh bien, je finis à dix-huit heures trente, répondit-elle sans un sourire, méfiante.
— Je peux reprendre votre nom, s’il vous plait.
Elle plissa légèrement les yeux, le regardant bien en face.
— Danika Dupic.
Le gendarme se retira, bien décidé à revenir plus tard. Dans l’après-midi, il lança une recherche sur les fichiers d’antécédents, histoire de voir si la secrétaire s’y trouvait. Rien. Mathias se laissa aller dans son fauteuil, à quoi s’attendait-il ? Cette femme n’avait pas le profil d’un Mesrine ou d’un Jack l’éventreur.
— Chef, une enveloppe pour vous.
Vincent lui tendit le document.
— Ça vient de qui ?
— Une femme devant, je l’ai croisée en allant chercher mon chargeur dans la voiture, elle vous cherchait, elle dit que c’est de la part de sa mère, madame Martin.
Mathias se redressa aussitôt. Il sortit de l’enveloppe une photographie légèrement cornée. Les couleurs vieillies laissaient apparaître deux adolescentes. Au dos, Louisette avait inscrit manuscritement :
« À droite, ma fille Mathilde, à gauche, Nicole. »
La jeune fille apparaissait dans une robe noire à col et ceinture rouge. Un serre-tête rouge à pois blanc enserrait ses cheveux blonds coupés en un carré long. Ce visage lui rappela les traits de Danika. Et si Diane avait raison, si la jeune femme n’était pas morte… Mathias rit presque de son absurde théorie. Il secoua la tête, un peu de sommeil supplémentaire ne serait pas du luxe.
Mathias attendit la secrétaire médicale sur le parking, devant le cabinet. Elle sortit avec dix minutes de retard. Son visage se ferma en apercevant le gendarme, mais elle vint pourtant à sa rencontre.
— Bonsoir Danika.
— Bonsoir, alors, de quoi s’agit-il ?
Elle n’y va pas par quatre chemins.
— Je voudrais vous parler de Jacques Reignac.
L’agacement fit place à la surprise.
— Jacques Reignac ? Encore ? Ne voulez-vous pas laisser ce pauvre homme en paix.
— Encore ? On vous a déjà interrogé ?
— Certainement un de vos collègues, vous devriez le savoir mieux que moi.
La femme referma la ceinture de son trench pour se protéger de la bruine qui tombait depuis des heures. De toute évidence, Mathias et ses questions l’enquiquinaient.
— Je suis navré si je vous dérange, ou s’il vous est difficile de parler de lui.
Danika coinça une mèche de ses cheveux blonds dans son écharpe pour l’empêcher de tomber sur son visage. À part ses yeux clairs, elle ressemblait à Nicole. Enfin, une version de Nicole adulte.
— C’est que, je m’attache aux patients, même les plus grincheux.
— Vous avez connu Odette ? L’épouse de monsieur Reignac.
— Oui, seulement quelques années, elle était déjà malade. Un petit bout de femme souriante, discrète, toujours accompagnée par son mari.
La femme se décala pour tenter de s’abriter du crachin en se plaçant sous la gouttière. Ses talons raclèrent le sol quand elle bougea. Tenir debout sur de pareilles échasses, une torture que Mathias était content de ne pas s’infliger.
— Aviez-vous connaissance de la fille d’Odette ? Nicole.
Aucune réaction particulière ne survint à l’évocation de ce nom.
— Non, j’ignorais qu’elle avait une fille. Cette personne vous a demandé d’investiguer ?
Danika porta la main à une de ses boucles d’oreilles, décoinçant le mécanisme de ses cheveux. Elle caressa la pierre avant de laisser retomber sa main.
— Non, Nicole Girard est décédée malheureusement. Vous êtes certaine que Jacques Reignac ne l’a jamais mentionné ?
Elle fit une moue désolée et secoua la tête.
— Non, je suis navré, je n’en ai pas souvenir.
Maintenant qu’il la voyait de près, elle ne semblait pas âgée de plus de trente ans. Mathias se sentit bête d’avoir pensé une seconde qu’il puisse s’agir de Nicole.
— Très bien, je vous remercie pour vos réponses. Si quelque chose vous revient, contactez-moi.
Elle sourit et acquiesça avant de rejoindre sa voiture. Mathias la regarda partir, pensif. Que penser de cette entrevue ? Soit elle mentait, soit les boutiques du coin ne vendaient que des écharpes violettes et des bonnets clairs.
De retour à la gendarmerie, Vincent courut presque sur lui tel un chien bien trop heureux de retrouver son maître.
— J’ai quelque chose qui va vous intéresser chef !
Mathias le suivit jusqu’à son poste.
— Comme vous me l’avez demandé, j’ai cherché le lieu de résidence de Danika Dupic, mais je n’ai rien trouvé. La notaire m’a rappelé dans l’après-midi pour s’excuser, en fait, elle a une Danika Grinberg, Dupic était son nom de mariage.
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