Doppelgänger

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Adam poussa la porte de « Chaos et cacao ». Une petite file attendait devant le comptoir. Les habitués se multipliaient avec le temps maussade. Dans la capitale, les petites adresses se partageaient vite, transformant un café sympa en café bondé. Il lorgna pour vérifier si un muffin au chocolat résistait à l’affluence grandissante. Ne restaient plus que ceux à la myrtille. Adam se renfrogna immédiatement.

Magda le salua de loin, envoyant directement sa boisson en commande. Le temps qu’il arrive devant la vitrine des pâtisseries, son plateau l’attendait. La gérante suivit son regard morne, qui passait des flans aux tartes à la rhubarbe sans grande envie.

— Je suis désolée, je n’ai pas réussi à te sauver un de tes muffins préférés.

— Ça ne fait rien, dit-il en haussant les épaules.

— Est-ce qu’autre chose te tente ?

— Qu’est-ce que tu as de nouveau à me proposer ?

Magda regarda le tableau à craie au mur derrière elle.

— Tartelette aux pommes empoisonnées ou le brookie d’enfer.

— Brookie ? On dirait un nom de chien, rigola Adam.

— Un savant mélange de brownie et de cookie, précisa Magda avec un clin d’œil.

— Oh ! Je dirais que c’est mon genre de gâteau !

Il régla sa consommation, remercia le couple et s’en alla retrouver Diane au fond du coffee shop, occupée sur son ordinateur.

— Bon, c’est quoi l’urgence ?

Adam se déchargea de sa veste sur le dossier de sa chaise. Il n’attendit pas une minute de plus pour entamer son gouter. Diane releva le nez pour voir disparaître les dernières miettes de sa portion.

— Mâche donc un peu ! Tu vas être ballonné !

— Pourquoi j’suis v’nu ? demanda-t-il de nouveau, la bouche pleine.

— Mathias a fait avancer le dossier secrétaire médicale adepte de la lithothérapie.

Elle lui fit le récit des derniers potins croustillants. Adam siffla sa boisson en l’écoutant. Il essuya finalement sa bouche en réfléchissant.

— Ah ouais quand même. Si y’a une barjo dans le coin, c’est elle. Mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse pour aider ?

— L’occulte c’est notre truc, des films de possession t’as dû en voir des dizaines non ?

— Bah oui et donc ?

— Bah j’aimerais savoir à quels troubles psychologiques c’est lié déjà.

— En général, dans les films, c’est des vraies entités, genre grand-mère flippante ou enfant qui hantent tes cauchemars.

Diane imaginait bien Adam tremblant dans son lit avec la couette sur la tête.

— Pourquoi elle aurait tué Jacques Reignac ?

— Pour se venger de lui.

Diane lui lança un regard blasé.

— Non mais je déconne pas. Si tu mets les choses bout-à-bout, elle a beaucoup de points communs avec Nicole.

La jeune femme cessa de taper sur son clavier.

— C’est vrai… attend, on va faire une liste.

Elle ouvrit une page de son traitement de texte. Adam remit en place les cordons asymétriques de son sweat-shirt.

— Alors, déjà, d’après ton frère, il y a une certaine ressemblance physique, donc elle a pu s’identifier.

Les doigts coururent sur les touches, produisant de petits bruits.

— Je pense qu’elles se sentaient toutes les deux rejetées par leurs familles.

Adam acquiesça avant de rajouter :

— Elles ont eu des mecs plus âgés.

Diane ajouta un tiret supplémentaire.

— Le bébé. Elles ont toutes les deux perdus un bébé. Danika par choix, Nicole, on ne sait pas vraiment, le fait est que ça l’a tué… Tu vois autre chose ?

Adam prit le temps de la réflexion.

— Non. Mais c’est déjà pas mal.

— Danika pense être possédée par un esprit depuis des années. Elle entend parler de Nicole, elle fait le rapprochement avec son histoire et elle finit par croire qu’elle a trouvé son double, lâcha Diane comme une évidence.

— Un double maléfique à l’évidence. Un peu comme dans le film de 93, avec Drew Barrymore.

— Quel film ?

— Doppelganger.

— À tes souhaits.

Adam leva les yeux au ciel. Il tira son téléphone de la poche de son jean et lança une recherche.

— C’est un concept qui apparaît dans pas mal de cultures, ça vient d’Allemagne, d’un auteur.

Il déchiffra avec difficulté.

— Johann Paul Friedrich Richter a écrit pour la première fois ce mot dans Siebenkäs, son roman sortit en 1796.

— Pardon ? se moqua Diane

— Oui bah ça va, j’ai pas fait allemand en deuxième langue. C’est une sorte d’alter ego, parfois on dit que c’est un fantôme.

Il lut encore.

— Il peut être maléfique ou protecteur, ou le signe d’une mort imminente.

— C’est encore bien précis ton histoire.

Le carillon de la porte n’arrêtait pas de tinter, tapant sur les nerfs de Diane.

— Est-ce qu’il y a un équivalent en Scandinavie ?

Adam effectua la recherche.

— Oui ! Le vardøger.

Il fit une tête signifiant « je ne sais pas comment ça se prononce ».

— C’est un esprit qui apparaitrait dans un lieu où on a l’intention de se rendre. Il imiterait la personne afin de la préserver à l’avance d’éventuel problème.

— Humm… se rembrunit Diane, bah ça ne colle pas vraiment.

— Non mais il faut plus penser au concept. C’est un peu comme dans le Lac des cygnes, tu as le cygne blanc et le cygne noir.

— Donc Nicole serait le cygne noir, un genre d’esprit vengeur ?

— Voilà.

— Comment ça s’écrit ton doppelgang-truc ?

Diane lança sa propre recherche.

La lumière du jour faiblissait à l’extérieur, bien que l’horloge n’afficha pas encore dix-sept heures.

— Mais en fait c’est hyper prisé comme concept, s’étonna-t-elle.

— Ah ! Tu vois, répondit Adam sans lever le nez de ses messages.

— « On le retrouve chez Allan Poe ou encore dans le Horla de Guy de Maupassant » lut-elle. Encore un argument pour que je lise les grands classiques. On appelle ce trouble « le syndrome de l’ange gardien ».

— C’est classe.

Elle cliqua sur les mots en surbrillance pour atterrir sur une autre page internet.

— Moins dans les faits. Ça correspond à la sensation de toujours se sentir accompagné par une personne. Apparemment, Maupassant en aurait souffert. On peut relier ça à un trouble de l’identité spéculaire ou autoscopie. Après ça devient trop technique pour moi.

Elle continua sa lecture, survolant les articles de psychiatrie trop compliqués à son goût.

— Tu sais que pas mal de personnalités pensent avoir vu leur double.

— Genre qui ?

— Elisabeth 1ère, Abraham Lincoln, Goethe.

— Tu en sais des choses.

Adam lui fit une grimace, à laquelle elle répondit par un sourire.

— Mais ça doit être horrible d’avoir la sensation d’être suivi partout.

— Même aux toilettes tu crois ?

Elle fit mine de rire bêtement à sa plaisanterie.

— Blague à part, ça se trouve elle cherche comment faire partir le double.

— Tuer le beau-père n’a pas aidé apparemment.

Des rires s’élevèrent à une autre table. Les tables se remplissaient encore, rendant l’atmosphère bruyante et suffocante.

— La théorie se tient non ? demanda Diane en se rongeant un ongle.

Adam tordit sa bouche dans tous les sens.

— Je sais pas, p’têtre bien, ça coûte rien d’en parler à ton frère.

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