— Bonjour mes petits spectres !

Diane apparut à l’écran, bonnet de père-noel sur la tête, sur fond de sapin décoré et brillant de mille feux.

— Pour beaucoup, noël rime avec famille, cadeaux, naissance du christ, ou orgie de nourriture. Mais sur la chaîne, le 25 décembre peut aussi rimer avec fantôme. De nombreuses légendes européennes parlent d’êtres maléfiques se réveillant ce jour, avide de croquer les enfants désobéissants et autres mauvais croyants n’assistant pas à la messe de minuit. C’est le cas en Islande par exemple, où vous pouvez carrément vous faire déchiqueter par le chat de Yule. Alors Yule, déjà, qu’est-ce que c’est ?

L’image de Diane laissa place à des illustrations, sa voix continuant à donner les explications.

— Yule est une fête importante du calendrier des fêtes pré-chrétiennes, encore pratiquée par les wiccans. C’est tout simplement le solstice d’hiver, jour de l’année où nous recevons le moins de lumière. L’énorme chat qui apparaît à cette période, traquerait sans relâche les personnes n’ayant pas reçu de nouveau vêtement pour célébrer le réveillon. Je vous conseille donc d’enfiler vos plus beaux pulls à flocons flambant neufs !

Retour à Diane, maintenant bien emmitouflée. Le décor dévoila des alignements de pierres tombales.

— Pour la suite du programme, nous nous retrouvons au cimetière de Montparnasse, dans le quatorzième arrondissement de Paris. Ouvert en 1824, il est le second cimetière intra-muros de la capitale par sa taille. Cet endroit est le lieu de repos de Charles Baudelaire, Marguerite Duras ou encore Serge Gainsbourg. Pourtant, le calme apparent fut troublé par des scènes qui font froid dans le dos. Pour rester dans le thème animalier, une croyance veut que les enfants nés le jour de noël se transforme en loup-garou. Une punition bien cruelle pour avoir osé naître le même jour que Jésus.

Un transition et Diane se retrouva devant la tombe de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir.

— C’est de cette rumeur que qu’est parti l’auteur américain Guy Endore pour son roman Le Loup-garou de Paris, sorti en 1933. Cet ouvrage fantastique dépeint un Paris assiégé et affamé, suite à la défaite de Napoléon III contre la Prusse. Dans cette capitale en souffrance, Bertrand Caillet, le héros, devint un nécrophile prolifique qui exhume les cadavres et les dévore. Imagination macabre de l’auteur ? Pas vraiment, puisqu’il s’inspire d’un réel personnage de l’histoire de France.

Les illustrations reprirent la vedette.

— François Bertrand, homme du XIXème siècle, a acquis le triste surnom de « vampire de Montparnasse ». En 1848 et 1849, des sépultures sont profanés dans le cimetière, et les corps mutilés. Bien que des traces de boue indiquent son passage, le coupable déjoue la surveillance des gardiens du cimetière. Est alors installé un mécanisme pour l’arrêter. Dans la nuit du 15 au 16 mars 1849, la jambe de François Bertrand heurte le fil métallique qui déclenche automatique un tir de mitraille. Celui que l’on retiendra également comme le « sergent nécrophile » est soigné au Val de Grâce, avant d’être jugé, et de n’écoper que d’une année de prison.

Diane conclut l’épisode en costume de lutin, devant son sapin.

— Menhirs qui marchent en Bretagne et souterrain n’apparaissant que la nuit de noël, nous avons encore des balades à faire pour les prochains 25 décembre. En attendant, nous vous souhaitons à tous d’excellentes fêtes, et surtout, d’avoir été bien sage cette année !

Mathias regarda défiler le générique et leva les yeux vers sa sœur.

— Super épisode, bien qu’un peu glauque.

— Tu racontes des horreurs quand même, fit remarquer Marie en ajustant les serviettes de table.

La maison embaumait le sapin et la soupe de potimarron. Diane était arrivée la veille, bien plus heureuse de venir que les années précédentes. Adam, resté avec sa mère, tint à envoyer ses bons vœux sous la forme d’une carte, déjà aimantée sur la porte du frigo.

— Allez, à table ! claironna la mère de famille.

Jean-Luc déboucha le crémant s’affaira à remplir les coupes. Léonie attrapa la sienne et la leva pour porter un toast.

— Encore un noël où je suis vivante, ça s’arrose les enfants !

— Oh mémé… soupira Diane en souriant.

La vieille dame plongea avidement la main vers l’assiette de petit-four. Mathias la regarda, amusé. Sa famille semblait heureuse, voilà qui faisait chaud au cœur. Cette année, pas de visage triste et fermé, mais une sincère envie de se rassembler.

Le mois écoulé s’était révélé un des plus chargés depuis le début de sa carrière. La presse avait sauté sur l’affaire, chacun voulant les détails les plus lugubres pour sa une. Le maréchal des logis-chef se trouvait sollicité par un canard local pratiquement chaque jour. En général, il refusait de s’étaler sur le sujet. Bertille Bellac, au contraire, fut bien trop heureuse de trouver à qui parler, faisant grincer des dents à la gendarmerie. Seul point positif, la tombe de Nicole Girard se désemplissait plus de fleurs.

Ses collègues devaient régulièrement déloger des jeunes du manoir. Le nouveau jeu à la mode consistait à tenter d’y passer la nuit sans se faire dépeigner par un revenant. Au-delà de la jeunesse, et des amateurs d’urbex, des adeptes du spiritisme investissaient également les lieux, tentant d’entrer en contact avec la jeune femme disparue.

Danika Grinberg rentrait dans le panthéon des criminels célèbres de la région, sous le nom de la « sorcière stramoine ». Le pauvre docteur Vesplin en avait pris un sacré coup, et essuyait sa part de paparazzi avides de commérages.

La secrétaire médicale attendait son procès au centre hospitalier de Limoges, dans le pôle inter-établissement de psychiatrie adulte.

D’après les premiers résultats, les médecins analysaient chez Danika une « personnalité encline à l’imagination ».

Le médecin que Mathias eut au téléphone lui explicita la chose :

— Depuis son plus jeune âge, elle a pris l’habitude de se cacher dans son imaginaire pour occulter la réalité, et certainement les maltraitances. Au fil du temps, elle a fini par se persuader que ce qu’elle imaginait était réel. Une amie imaginaire qui la réconfortait est devenue un esprit qui l’habitait, un double. Elle nous a raconté ses expériences de sortie de son propre corps, ses capacités de voyance. Tout ça appuyé par les personnes qu’elle consultait. Néanmoins, ces sujets ont la conscience de ce qui est perçu comme normal ou non par leur proche. Elle gardait tout cela assez secret, car elle a vite vu que les gens à qui elle se confiait ne la comprenaient pas, voir la craignaient. La prise de drogue hallucinatoire, dans le but d’améliorer les visions, a exacerbé ses tendances schizophréniques. C’est quelque chose de très courant. Aujourd’hui, je ne pense pas qu’elle arrive à distinguer l’imaginaire de la réalité.

Mathias passa le plat de pomme de terre à son père. L’affaire Danika Grinberg occupait bien trop souvent son esprit. Il devait apprendre à s’en défaire petit à petit, passer à autre chose. Dans cette tragédie, il s’était rapproché de sa sœur, et avait finalement rencontré quelqu’un. Maria-Louisa venait de lui envoyer une photo de sa table du réveillon. Il la verrait bientôt. Tout en savourant les carottes cuites à point par sa mère, Mathis se promit de profiter du soleil après la tempête.

Dehors, Scott se mit à aboyer au passage d’un chat noir. Le félin le toisa, s’arrêta, et le nargua en faisant sa toilette, hors de portée des crocs du chien. Il reprit ensuite sa promenade, humant les odeurs qui provenaient de la maison. Des chauves-souris voltigeaient dans la lumière des lampadaires, tandis qu’un hibou faisait entendre son hululement. Le chat sauta souplement sur un muret de pierres, dominant un jardin où il espérait cueillir un rongeur. Au-dessus de lui, haut dans le ciel, une lune pleine, énorme et lumineuse, baignait le paysage de ses rayons d’argent.

                      — FIN —