Soins Intensifs

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 Un voile blanc cotonneux m’embrumait l’esprit et le léger sourire qui dessinait mes lèvres confortait cette impression. Je restais quelques secondes dans cet état, avant que les souvenirs reviennent. Je sentis quelques fils de suture collés à mon palais. Puis la douleur. Ma langue était si gonflée qu’elle prenait la majeure partie de la place que ma bouche lui offrait. Elle me faisait un mal de chien. J’ouvris les yeux et découvris une chambre d’hôpital, calme et lumineuse. J’étais seul dedans et des brides de la soirée d’hier commençaient à refaire surface. James… Quel con… Les Long Island, la coke, mon humeur de merde et ma face de cul fracassée contre le comptoir. Cette dernière pensée me fit rire. Difficilement. Ce bon vieux James ne m’avait pas loupé. Mérité. D’un côté comme de l’autre. Sa fille est aussi moche que sa femme, c’est un fait. Et pour le lui avoir rappelé dans un contexte aussi festif que le Diable Rouge, il est normal qu’à son tour il festoie un peu aussi. Un partout mon vieux. On se reverra. Tant bien que mal, j’essayais d’inspecter l’état de ma cavité buccale en y passant ma langue avec précaution. Je sentis au niveau de ma canine supérieur gauche comme un vide partiel. Elle s’était brisée en deux, et j’en avais perdu un bout. Idem pour ma pré molaire juste à côté. Je ne riais plus et j’avais franchement les boules. Que mes organes pourrissent de l’intérieur ne me dérangeais pas plus que ça. Mais la boutique extérieure devait rester nickel. Une dent en moins donne de suite un air de clodo. Une dent noire, de clodo drogué et des dents cassées de teufeur demeuré. Va pour les festoch’. J’étais en rogne et je n’avais pas encore vu ma tronche. Parler m’était difficile et après ces quelques découvertes, je sentis la fatigue à nouveau s’inviter.

Ce sont des bruits de pas autour du lit qui me réveillèrent en fin de journée. J’ouvrai un œil vaseux et vis une infirmière qui s’affrétait à mettre un peu d’ordre dans la pièce et me préparer de l’espace pour le repas.


— Pile à l’heure pour dîner, me dit-elle avec un enthousiasme non feint.

— Hmm… Ça va être ccommpliquué…

— Du potage et de la compote. Vous avez deux dents de cassées, à la rigueur, ça… Mais votre langue est encore bien atrophiée sur toute sa partie gauche. Elle ne vous gêne pas trop pour respirer d’ailleurs ?

— Non… Morphine ?

— Morphine ? Non, pas de morphine Monsieur D. Vous êtes sous anti-inflammatoires, antidouleurs et codéine.

— Génial.

— Oui, c’est un point de vue qui se défend. Je vous apporte de quoi manger et la paille qui va avec, d’accord ?

— Ouais.


 L’infirmière avait les yeux verts. Elle devait avoir dans la trentaine et malgré sa blouse fermée, je lui devinais de gros seins dessous. Fantasme vieux comme le monde. Je préfère celui de la juge ou de l’avocate. La fliquette sinon. Mais le must à mes yeux reste celui de la bonne sœur. Blasphème délicieux. Si jeune, si cochonne, abandonnée dans cet austère monastère. Nombreuses histoires de sœurs rentrant d’Afrique enceintes. Blackboulées dans les règles et un voyage qu’elles n’oublieront pas de sitôt. Je délirais toujours et me levai pour aller pisser. C’est dans la salle de bain que je vis ma tête pour la première fois. Cet âne ne m’avait pas raté. J’avais en plus de ma bouche l’arcade bien amochée, recousue de quelques points de suture et une autre plaie au niveau du cuir chevelu. Une dizaine de points en tout. Rien de bien méchant. Cette petite cicatrice au niveau de l’arcade me donnerait un air de pirate. Ce qui tombait bien, avec deux dents en moins. Je retournai m’allonger et pris mon portable. J’avais des appels en absence et quelques messages d’affichés à l’écran. Sonia, Ellie, et ce bon vieux Serge. Pauvre vieux, j’avais complètement oublié qu’il été de sortie lui aussi, pour régler une histoire mal embarquée. Son texto me disait « J’ai retrouvé Nina, et j’ai collé une danse au type en question. Elle a apprécié. On a baisé toute la nuit. Bisous mon pote. » Celui de Sonia quant à lui se résumait à « Bien joué. Chouette soirée, je t’appelle plus tard. » et celui d’Ellie était le dernier. Je mis du temps à me décider à le lire. L’appréhension me gagna très vite, et les images de notre après-midi aussi. Je l’ouvris : « Visiblement, il n’y a pas d’âge pour se comporter comme un con. » L’absence de nouvelles avait dû la contrarier.


— Me revoilà, dit l’infirmière toujours aussi souriante.

— Fous me manquiez dèva…

— Oui, bon, parlez le moins possible et si vraiment vous manquez de quelque chose, dîtes le moi avec des signes.


L’idée de lui mimer une branlette me traversa l’esprit. Pourquoi fallait-il que je sois resté aussi con à quarante ans passés ? Elle m’apporta quelque chose ressemblant à une soupe et deux compotes.


— Vous auwiez du scoochh ?

— Pour quoi faire ?

— Pour le bwoire…

— Ahhh, du whisky ! Ahah, ça non. Pas d’alcool à l’hôpital. Une fois sorti si vous voulez, je vous invite.

— Avec ma tê’e ?

— Je sais qui vous êtes, Sonia m’a prévenue.

— Hmmm… Je suis béni des dieux.

— Bon appétit Monsieur D, je repasse en fin de soirée pour les pansements. Vous sortez demain.


 Sonia m’avait envoyé une amie à elle. J’en souris et pour autant, j’espérais qu’elle ne soit pas aussi barrée que ma pote, mais suffisamment pour qu’il se passe quelque chose. Je verrai peut-être ses trésors dans la nuit, me dis-je, et me décidai à répondre à Ellie ; « Je suis à l’hôpital, petit accident, rien de bien méchant, je sors demain. Pas pu t’écrire avant, désolé. » puis à Serge ; « Génial vieux, vraiment content pour vous. Prends soin d’elle. À bientôt. » et à Sonia, rien. C’est à sa copine que j’avais envie de parler maintenant. Savoir qu’elles se fréquentaient m’excitait. Je m’imaginais les baiser toutes les deux de concert. Le pied. Les regarder se brouter avant de les grimper l’une après l’autre. Génial. Ma soupe et les compotes expédiées, j’attendais sagement que l’infirmière revienne. Quelques-uns de mes songes s’envolaient vers Ellie, et les autres vers de chaudes contrées. Je m’endormis serein. Ces dernières semaines avaient été éprouvantes. Elles avaient tendance à partir dans tous les sens. Ici, dans cette chambre d’hôpital, je me sentais bien. Coupé du monde extérieur et à l’abri de ses turpitudes. Ma langue me lançait toujours autant. Elle ne désenflait pas et les sutures rendaient mes chairs à vif. Au niveau de la tronche, impec’, je ne sentais pas grande gêne. La teinte violette qui entourait mes plaies virait au marron doucement.

Je fus réveillé quelques temps après, sans avoir idée de l’heure qu’il pouvait être. C’est au contact de sa main que je sortis de mes rêves. Elle me massait divinement bien par-dessus les draps. Je bandais comme un âne et la vue des premiers boutons de sa blouse ouverte accentua encore un peu plus le phénomène.  


— Vous êtes enfin réveillé Monsieur D.

— Je vous attendais…

— Il semblerait, posant les yeux sur sa main massant mon sexe. Je peux ? me désignant sa blouse qui nous gênait encore un peu.


Je lui fis signe de la tête que oui, car parler m’était difficile. Puis je me souvins de sa proposition quant aux langages des signes, et me dis qu’en bonne petite salope elle avait déjà tout prévu…

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