Esquisse Printanière
Quinze jours se sont passés avant qu’Ellie me recontacte. Quinze jours passés seul dans mon coin. Serge et Nina continuaient leur vie sans qu’un nuage ne vienne m’arroser de honte et je vivais serein. Un minimum. Il faudrait être stupide pour penser que jamais rien ne se découvre. Question de temps. Les secrets, si tant est qu’ils le soient, éclatent aux yeux du monde de notre vivant ou de notre mort. J’en avais profité pour lever le pied sur tout un tas de merde et m’étais plongé dans la musique, la bouffe et le sommeil. J’avais plutôt bonne mine. Une mine moins abîmée qu’au quotidien. J’entretenais un brin mon corps pensant qu’une harmonieuse musculature offre de bonnes érections. Un homme encore debout est un homme qui bande. Ou l’inverse. J’avais mes rituels le soir et quand tombait la nuit, passé minuit, quelques actrices au corps que j’aime soulageaient ma peine d’un orgasme sans bruit. J’étais plutôt doué dans ce domaine, comme beaucoup, sans que ça ne devienne une norme. L’onanisme est bon quand celui-ci ne remplace la vie. Sinon, c’est comme tout, dépendance et souffrance en noirciront le tableau.
Les mots d’Ellie étaient légers. Elle grandissait. Je l’admirais, car à son âge, jamais je n’aurais su trouver les mêmes.
Tout nous rapproche autant que l’interdit l’exacerbe, sans ça, ni toi ni moi n’aurions su nous aimer.
Je repensais à sa petite culotte qui baignait dans sa bouche quelques semaines plus tôt pendant qu’elle rampait de détresse vers ma gueule affamée. J’avais ce jour-là touché sa grâce. J’aurais dû mourir tranquille ensuite, mais cette après-midi n’avait servie qu’à alimenter un peu plus mes démons. J’en voulais davantage. Femmes, alcool et came remplissaient ma fontaine de jouvence. Je pris mon téléphone pour composer une réponse toute faite.
Passe en début d’aprèm. Je t’enlèverai ce que tu as de plus cher car je ne sais faire autrement. Je te veux Madone et pute prête à sceller mon tombeau.
Sacrée réplique de merde. Je m’en voulu dans la foulée et bandais fort de ma couardise. C’est fou ce que la honte apporte en afflux sanguin. Ellie m’amenait les coups-de-poing dans l’estomac que je n’osais me mettre. Vive la procuration. Misérable jusqu’à la fin. La chahuter me faisait du bien car je me butais en faisant ça. Maso. Maso maso maso. Il est si bon de se faire du mal. Aucune raison de me foutre en l’air. Je voulais profiter pleinement de mon deuil. J’aurais voulu pleurer chichement un enfant mort pour qu’on me console. Chienne au royaume des pleutres. A vrai dire, je m’y sentais bien. J’étais chez moi. Nombre de gens cherchent le leur jusqu’au trépas. Fils de pute était ma Terre. Berceau choyé par la débauche. Havre de paix où mes poumons se gonflaient d’un orgueil putride d’évanescence.
Ellie arriva peu de temps après le déjeuner et me trouva dans le salon sans avoir pris la peine de sonner.
— Le soleil bat son plein, j’ai envie de rouler loin pendant qu’à mes côtés le sommeil t’ait ensevelie, lui dis-je.
— Je pensais boire un verre et rentrer.
— Appelle Nina, et dis-lui que tu dors chez une amie.
— C’est déjà fait abruti.
— Tu savais aussi qu’on partirait en virée ?
— Non.
— La robe que tu portes est parfaite à tout ça. Retire string et soutif et viens te serrer fort contre moi.
Je l’aimais aussi pour ça. Sauvage dans la reddition. Elle avait déjà tout sans vraiment même le savoir. Son câlin me fit du bien. Je bandais d’amour. On bande toujours plus fort d’amour. Au moins autant que par vice. L’un dans l’autre, ma caisse nous attendait. Ellie y prit place dans sa robe juvénile et printanière. De fines bretelles lui embrassaient les épaules longeant ses fines omoplates. Rose pâle, comme je l’aime, ornée de quelques motifs couleur horizon. Ses jambes nous souriaient en permanence et s’offraient au monde généreusement. De mon côté, je cherchais une destination sympa où aller. Elle ne connaissait pas grand-chose. Un bout d’océan baigné de sable ferait l’affaire. La Vendée. Le nom est moche mais les plages restent correctes. J’évitais sudistes, et bretons que j’aime beaucoup au demeurant. Les sudistes, moins, par manque de pratique et leur accent à la con qui embellit niaiserie et lieux communs. Luçon. La sonorité du lieu me plaisait. Luçon, Luçon, sucer à la ronde. N’importe quoi. Un coup de gaz et l’autoroute à peine débutait que ma main se perdait vers ses trésors. Le soleil éclaboussait le pare-brise et nos visages détendus. J’avais mis du rock cool, Santana jouait Samba Pa Ti et encore une fois, j’étais le plus veinard de toutes les enflures de la planète. On roula tranquillement. Ses doigts se perdaient régulièrement dans ma crinière comme une jeune femme en proie aux rêves. L’idée de lui attraper la nuque dans un moment de faiblesse pour me vider me traversa l’esprit. J’aimais autant l’image que l’acte me répugnait. Ce doit être ça la vie, me dis-je, naviguer constamment entre deux eaux.
On arriva à Luçon en début de soirée. La ville était calme pour un printemps. Une terrasse sympa nous accueillit. Quelques passants l’air absorbés, défilaient au rythme des verres de scotch qu’on s’enfilait. Tout ceci était fort honorable.
— T’as faim ? lui demandais-je.
— Un peu. Sans plus.
— On se trouve un hôtel qui livre en chambre bouffe et alcool, avec un lit d’enfoiré et une télé grand format.
— Ça me va. Tu crois que tu me baiseras ?
— Ça me fait autant de mal que de bien de ne pas le faire.
— Je pensais qu’on partait pour ça.
— Justement, ça rend le truc encore meilleur.
— J’irai peut-être voir le veilleur de nuit alors.
— Ça risquerait de me faire plus de mal que de bien. Un dernier verre et on y va ?
— Ok.
Je réglais l’addition au bar et rejoins Ellie près de la voiture. Elle ne ressemblait déjà plus à la petite fille que j’avais souillée dans sa chambre. Les voyages déforment la jeunesse, pensais-je. Je pris la route vers un quatre étoiles. J’aime les choses sales dans des endroits propres. Le parking laissait supposer que des chambres étaient vacantes et l’air pompeux des différents menus affichés en façade me rassurait. Personne ne viendrait nous faire chier dans un lieu comme celui-ci si tant est que je raque. On gara la voiture et prit nos maigres bagages avant d’atterrir à l’accueil. Ellie était toujours aussi nue sous sa robe tandis que ma queue bavait d’impatience. Un jeune homme nous accueillit, souriant et détendu.
— Bonsoir, vous auriez une chambre pour deux ? demandais-je.
— Bien sûr monsieur, lit double ou séparé ?
Sombre merde me dis-je, non pour lui, mais pour moi. J’avais l’air de quoi ? D’un père et de sa fille, d’un mac et de sa pouffe ou d’un enfoiré de vieillard arrivant à ses fins.
— Un double et un simple, vous avez ? demanda Ellie.
— Chambre 224, nous répondit ducon.
— Tu prendras le simple, et moi le double, ça te va comme ça ? me demanda-t-elle.
Je la regardai rapidement et balayai tout aussi vite la tête du guignol qui attendait une réponse.
— Impec’. Vous montez les repas ? demandais-je.
— La carte du restaurant et le minibar dans la chambre sont à votre disposition monsieur. Les cuisines ferment à minuit.
— Les clefs.
— Si vous avez besoin de quoi que ce soit, l’accueil est ouvert 24/24.
— Ça ira. Bonne soirée.
Je pris le trousseau et montais honteux les escaliers menant à notre chambre. Ellie me précédait. Sa robe lui moulait les hanches et dessinait la ligne de son dos avec élégance. J’étais une sacrée putain. Des larmes de joie et d’affliction coulaient sur mes joues. Maso. Maso maso maso.
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