Voilette & Volupté
Le silence de mon appartement me battait les tempes avec sauvagerie. Je ne savais que faire de mes dix doigts. Très tôt, la nausée m’envahit et pour une fois, je n’eus pas besoin de boire pour vomir quelques lames de tourment. Par où commencer, me dis-je. J’avais envie d’écrire quelque-chose pour ses funérailles. J’avais idée que nous ne serions pas nombreux, ce qui me laissait l’occasion de pouvoir raconter deux trois conneries en toute décontraction. Je souris à cette idée. Sourire me fit du bien. Je me sentais drôle et m’aimais bien. Je me servis rapidement un verre pour le vider aussitôt. Le goulot de la bouteille s’imposa de lui-même comme étant plus pratique. Musique maestro ! Du son et vite. À double tranchant, partir sur un truc mélancolique me ferait du bien un moment avant d’avoir à nouveau la gerbe. Fallait que j’attaque d’entrée. Where did you sleep last night de Nirvana. Intéressant. Chez elle. Malin. Si je l’avais écouté demain cette chanson, j’aurais pu répondre ; la morgue. Quel génie, pensais-je. Ça partait sur des bases exceptionnelles. Sobre comme un coucou et pourtant déjà si drôle. La vision de son corps seul et froid sous un drap niché au fond d’un tiroir sans fin me frappa la poitrine. Ma Sonia. À nouveau du silence, la nausée, abattu ne sachant par quoi commencer.
J’ai balbutié ma musique une bonne partie de la soirée. Passant d’un style à un autre sans aucune concordance. Mais j’écrivais. J’aurai quelque chose à lui lire. Les adieux, derniers au revoir, ce genre de conneries n’avaient pas de sens. Adieu ne veut rien dire, et saluer un mort d’un au revoir pas grand-chose de plus. Un hommage, moui. Nous en sommes aussi friands pour les défunts qu’avares pour les vivants. Là encore l’hypocrisie s’octroie une place de choix pour s’assurer la bonne conscience. Je ne mis pas le nez dehors jusqu’à l’arrivée d’Ellie et elle se pointa comme prévu la veille de l’enterrement de Sonia. Quand elle franchit la porte et vint me retrouver dans le salon, elle me parut avoir encore grandie. Ses moues infantiles laissaient place à quelque chose de plus sombre. L’existence entière l’étrennait toujours un peu plus pour la serrer dans ses bras. J’aurais fait pareil à sa place. J’étais vraiment heureux de la voir. Léger. Tranquille.
— Chaque jour plus jolie, lui dis-je. T’as un amoureux ?
— Tu veux vraiment qu’on attaque d’entrée David ?
— Non. Alors ?
Elle siffla entre ses dents puis posa son sac à main sur le canapé avant de s’y laisser tomber à côté.
— Il m’a sautée toute la nuit, tu veux t’y essayer après ?
— Très classe.
— Je ne me suis pas douchée exprès David… Viens nicher tes lèvres contre mon cou… Passe ta langue partout où il est passé… Lâcha Ellie
Assez vite, je me sentis con. J’avais provoqué un truc qui à présent m’échappait. Ellie s’en aperçut et rigola.
— Idiot. J’étais avec Laura. Viens goûter ce qu’il reste de ses baisers.
J’enfouis mon visage contre sa nuque pour y fermer les yeux. J’avais l’impression d’être au milieu d’un dortoir de jeunes femmes dont l’atmosphère se composait d’effluve et de satin. Elle frissonna et passa ses doigts graciles dans mes cheveux. Nous ne devrions vivre que de ça, songeais-je, d’étreintes affectives et de désir. Et d’un peu de boisson. Evidemment. J’avais du mal à relâcher Ellie et Sonia me revint en tête.
— Tu bois quoi ? J’ai un enterrement à honorer demain, lui dis-je.
— Scotch.
— Deux doubles scotchs. Tu veux prendre une douche ?
— Je pue ?
— Au contraire. C’est comme tu le sens.
— Je viens avec toi demain ?
— Ce n’était pas prévu, et si tes parents l’apprennent, qu’en penseront-ils ?
— Je peux me grimer David, comme une star, lunettes noires, voilette noire, tirée à quatre épingles et légèrement en retrait ?
— Et tout ça je le trouve où ?
— J’ai déjà tout ramené dans mon sac.
— Tu connaissais Sonia ? lui demandais-je.
— À travers tes récits quand tu es saoul.
— Sans doute les meilleurs…
J’avais donc le projet de me rendre aux obsèques de Sonia accompagné d’Ellie. Les jeunes femmes portant le deuil m’ont toujours très excité. Déformation pornographique. L’idée de les prendre habillées pour l’occasion le regard voilé et de les souiller en catimini me donne une trique d’enfer. Pleurer en prenant son pied. Pleurer de prendre son pied. Pleurer fraîchement un mort, pleine de suc existentiel. Nom de Dieu !
— Montre-moi ce que t’as ramené, dis-je à Ellie. Mieux, change-toi et montre-moi ce que tu comptes porter demain.
— Ça a l’air de t’exciter David.
— T’as pas idée. Allez, je nous ressers à boire en t’attendant.
Elle partit se changer dans ma chambre et je mis de la musique. J’avais la pêche. La vie reprenait son cours. J’avais à nouveau vingt ans. Free Birds, en live, évidemment. Deux traces à la va-vite, comme un adolescent entre la poire et le fromage lors d’un repas de Noël. Propre. La peur d’être démasqué accentuait cette jouvence retrouvée.
Quand elle revint, elle était si belle que Mario Salieri en aurait crevé d’envie. D’envie et de déception. La déception d’avoir loupé l’occasion de la faire jouer au naturel dans l’un de ses films. J’adore ce cinéaste. Lettres de noblesse du cinéma cochon. Vieux con. Oui. Mais ça avait d’la gueule et prêtres et religieuses se seraient damnés pour ne seraient-ce que quelques secondes de luxure qui y étaient proposées. Un chic type. Il était temps de sauter Ellie. Il était temps de me faire sauter en sautant Ellie. Il était temps de mourir. Il était temps de vivre. Temps de cracher mes tripes pour l’éternité. Temps de tout donner pour notre salut. Le sien était assuré. Au moins pour les maigres années à venir. Le mien se prolongeait en fonction de mes déboires.
Comporte-toi comme une salope et l’éternité te sera offerte, me disait ma mère. Sainte bigote au royaume du vice. Les fondateurs dudit royaume ? Des pleutres qui regardent leurs chaussures quand vacille le monde qu’ils ont cherché à construire. Les miennes auraient besoin d’être cirées pour demain me dis-je, en attendant Ellie.
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