Chapitre 3
Cynthia,
La menthe. C'est la première chose que j'ai sentie en me réveillant ce matin. Puis l'odeur de métal. Mais pas le métal normal, celui qui me rappelle le sang. La première chose que j'ai faite est d'observer mon entrejambe. Rien, aucune tâche. Je deviens donc folle ! Entre cette nuit, où j'ai cru voir du sang son mon hôte, puis maintenant, je perds vraiment la boule ! C'est sûrement l'endroit. C'est l'une des rares fois où je ne dors pas chez moi. Tout cela est nouveau. Il faut donc que je m'habitue. Faire des cauchemars est même bien ! En même temps, avec tout ce que j'ai entendu d'ici, je ne peux qu’en faire ! Il faut vraiment être folle pour venir braver le danger, dans un lieu où des corps de femmes ont été retrouvés !
Voilà, c'est tout moi. Un seul mot peut me décrire. Folle.
Dans le salon, mes yeux se posent immédiatement sur Lord Keith Mackay. Je frissonne rien que de savoir qu'il est venu cette nuit inspecter si je dormais. J'étais plongée dans un merveilleux cauchemar et mon réveil a été brutal. Voir quelqu'un à la porte m'a effrayée. J'ai même cru que c'était le meurtrier et qu'il allait me tuer ! Par chance, ce n'était que l'un de mes hôtes. Si ce n'est le pire. Celui qui a été au début froid avec moi. Puis, comme si la nuit l'avait changé, il a été bien gentil à venir à mes besoins.
Les deux m'ignorent ouvertement. Lord Keith Mackay fait semblant de lire son livre qu'il tient entre ses mains. Ses yeux ne bougent même pas pour lire les lignes ! Quant à Steafan MacKay, il s'amuse à bouger des livres de place. J'insiste à nouveau en les saluant poliment, mais froidement. Cette fois-ci, Steafan Mackay daigne me porter attention.
— Oh bonjour Cynthia. J'espère que vous avez bien dormi ! Vous pouvez aller prendre votre petit déjeuner. Nous l'avons déjà pris un peu plus tôt.
Je lui réponds, le remerciant, avant de gagner la salle à manger d'un pas rapide. Tout est déjà préparé. La longue table est littéralement remplie par de la nourriture. Il y en a pour tous les goûts. Sucré, salé. Je ne sais même pas quoi prendre ! Tout me donne envie. Fruits, bacon, purée verte de je ne sais quoi, pancakes, boissons... Il y a même le shortbread que je désirais goûter depuis longtemps ! Il n'y a pas à dire, ils savent recevoir leurs invités ! Je ne suis pas déçue de ma venue. Limite si je n'ai pas envie de rester un peu plus longtemps...
En tant que grande gourmande que je suis, je goûte de tout. Je passe ce petit déjeuner à la jouer à la Mercotte et Cyril. À la fin, je suis repue. Mon ventre a dû doubler de taille et j'ai dû ouvrir le bouton de mon jean.
Après ce bon petit déjeuné, je quitte la table. En passant par le salon, je découvre qu'il n'y a plus que Lord Keith MacKay. Il tient maintenant une feuille jaunis par le temps et par endroits, mêmes déchirés.
Si je me rappelle bien de tout, il est mon guide. Il doit m'aider à trouver des indices. Je suis certaine que cela me fera trouver l'inspiration pour ma prochaine histoire ! Rien qu'à l'observer, des tas d'idées me viennent. Plus saugrenues les unes que les autres. Il inspire la confiance, la maîtrise, le désire. Cet homme est juste un fantasme en chair et en os. Bien que son frère lui ressemble, Keith MacKay m'intrigue beaucoup plus. Pire, j'aimerais qu'il me fasse découvrir pleins de choses. Que ce soit sur les crimes qui se sont passés, sur son manoir, sur lui ou même sur ce qu'on peut faire à deux. Rien que tous les deux. Je l'imagine déjà me pousser contre la bibliothèque et arracher ma petite culotte avec les dents.
Je laisse échapper un profond soupir, qui retient son attention. Comme paralysée sur place, les bras ballants mollement dans le vide, je plonge dans ses yeux sombres. Son regard est dur, presque glacial, alors que je suis littéralement en train de fondre. Il me chamboule, m'électrise.
Je le veux pour ma prochaine histoire. Il m'inspire.
— Vous êtes arrivé en retard, lance-t-il. Quand je dis six heures trente, ce n'est pas vingt minutes après. Si vous avez mangé froid, tant pis pour vous. Ne venez surtout pas vous plaindre.
Ses mots me heurtent de plein fouet. Il est agressif, comme en colère contre moi. Mes paupières clignent plusieurs fois pour me faire revenir à la réalité. À la dure réalité.
— Oui, je suis désolée. J'ai pris un peu plus de temps pour me préparer... Mais il n'y a aucun problème avec le petit déjeuner. C'était même très bon !
Il ne se décontracte pas pour autant. Silencieusement, il se lève de son ancien fauteuil en tissus et se positionne à quelques mètres de moi. De mon corps totalement attentif au moindre de ses mouvements.
Je ne sais pas ce qu'il me prend. Je n'ai jamais été ainsi de toute ma vie ! Même entouré d'une bande de garçons plus âgés et sexy. Lui, c'est carrément autre chose. C'est pire. C'est profond. Comme si je ne contrôlais pas mes émotions en sa présence.
— Tant mieux, souffle-t-il. Vous êtes prête ?
Une chose est sûre, il est différent. On ne dirait pas le même avec celui des messages et celui sous mes yeux. S'il y avait des jumeaux, tout serait logique. Ce qui n'est pas le cas. Peut-être a-t-il compris que je n'étais pas celle qu'ils attendaient ? Qu'ils s'attendaient à une fille différente ?
— Oui.
— Première chose que vous devez savoir, ma belle. Ne me regardez en aucun cas dans les yeux. Gardez-la tête baissée. Deuxièmement, vous me suivez et faites ce que je vous dis. Sans me contredire ou refuser.
— D'accord, accepté-je.
Son sourcil droit s'arque, attendant visible que je baisse la tête. Quelle humiliation ! Jamais un homme ne m'avait interdit de le regarder dans les yeux ! Pourtant, je ne dis rien de plus et m’exécute.
— Bien, continue-t-il. Troisièmement, vous pouvez sortir d'ici quand vous voulez, mais pas sans moi. Je serais tout le temps à vos côtés durant vos recherches. Prêt à vous aider, s'il le faut. Sauf les jours où le soleil décide de brûler la moitié des habitants de la planète. Vous serez accompagné par notre chauffeur Dam Kinley à chacune de vos sorties. Vous pouvez avoir confiance en lui, mais ne lui adressez pas la parole. Il ne vous répondra pas. Il n'est que là pour vous aider quand je ne suis pas présent.
Quelles drôles de règles ! Je n'ai pas le temps de répondre qu'il est déjà à l'autre bout de la pièce, m'attendant. Je traverse le salon et le suis. Contrairement à ce que je pensais, il ne m'emmène pas dehors, comme prévu initialement. Il se dirige vers l'imposant escalier. Rapidement, nous montons les marches. Nous ne nous arrêtons pas à mon étage, mais au sien. Je ne peux empêcher mes jambes de trembler. Se pourrait-il qu'il m'emmène dans sa chambre ?
Quand nous pénétrons dans une pièce, tout d'abord baignée dans l'obscurité, je frissonne. Interdite, j'entends mon hôte marcher puis tirer des épais rideaux qui inondent, aussitôt, la pièce d'une lumière aveuglante. L'endroit est sans nul doute le plus joli de tout ce que j'ai pu voir jusqu'à présent. Il s'agit d'une autre bibliothèque. Cette fois-ci, elle est bien plus grande que celle mise à ma disposition. Il doit y avoir le double de livres. Je rêverai de passer mes heures entières ici, juste pour les dévorer un à un.
— Voici notre bibliothèque privée, m'indique-t-il le dos tourné, observant par la fenêtre. L'accès vous y sera interdit sans ma présence. Tout cela doit bien évidemment rester entre nous, mon frère n'aimerait pas apprendre que vous êtes passé par là.
Je secoue ma tête d'un signe entendu. Il y a par contre une chose que je n'ai pas comprise. Qui est le plus grand, celui qui donne les règles ? Aux premiers abords, je dirais l'homme que j'ai sous les yeux. Mais avec ce qu'il vient de dire, je n'en suis pas certaine. Peut-être ont-ils mis au point, tous les deux, des règles à ne pas déroger ?
— C'est vraiment... magnifique !
— Je sais. Vous avez deux heures pour chercher ce que vous désirez. Puis, je vous emmènerais comme convenu avant votre arrivée, sur l'un des lieux cités dans votre liste. Nous allons commencer par le centre-ville. Vous pourrez y requérir les témoignages des habitants.
Sans avoir bougé de sa fenêtre, il me fait un signe de la main d'avancer dans la pièce. Jusqu'alors pétrifiée à quelques centimètres de la porte, j'ose enfin entrer totalement.
— Vous n'oublierez pas de prendre votre carnet noir, pour noter les témoignages.
À cette mention, je relève mon visage pour tenter de trouver ses yeux via la vitre.
— Comment savez-vous que j'ai un carnet noir ?
— Je l'ai vu hier, dans la nuit, m'avoue-t-il, sans même osciller.
Question bête, réponse bête... C'était évident ! Il traînait sur la table de chevet.
— Vous perdez votre temps, très chère. Vous devriez vous mettre au travail maintenant, je ne vous attendrais pas.
Ma respiration retenue, j'encaisse son ton froid. Limite agressive. Je détourne le regard pour me lancer dans mes recherches. L'excitation me secoue entièrement. Je me sens telle une détective !
***
Les deux heures de sont écoulées trop vite. Je n'ai pas eu le temps de tout chercher. D'une autre côté, Keith me laissera y retourner. Il a passé tout son temps à m'observer attentivement. Il a même osé venir lire mes notes, au-dessus de mon épaule, sans même être discret.
Nous voilà dans sa voiture. Mon hôte est à l'arrière avec moi, mais à l'autre bout de la banquette. Le chauffeur ne dit mot. Nous sommes plongés dans le silence tout le long du trajet. Arrivés en ville, mes yeux se posent sur chaque bâtiment qui défile. Ils sont tous plus magnifiques les uns que les autres.
La tension dans le véhicule me fait frémir. Il fait froid et l'électricité est palpable. Quand je tourne mon visage vers mon hôte, ce dernier est rivé sur la route. J'ose quand même prendre la parole.
— Cette ville est ravissante !
— Cela attire bien des visiteurs les plus curieux. Ah voilà, nous sommes arrivés !
Lorsque la limousine s'arrête, je peux constater que nous sommes devant un pub. Lord Mackay m'invite à sortir très poliment, ce qui est assez étrange. Il m'aide, me proposant sa main pour descendre de la longue voiture noire. À terre nous avançons jusqu'à l'entrée du pub. Je me fige, ce n'est pas du tout là où nous devions nous rendre.
— Ne devrions-nous pas nous rendre...
— Rappelez-vous de ce que je vous ai dit un peu plus tôt, me coupe-t-il la parole, agacé. De me suivre et faire ce que je vous dis, sans me contredire ou refuser. J'aurais dû rajouter le fait que vous n'avez pas à me poser de question...
Il pénètre dans le bâtiment sans même m'attendre. OK, il commence déjà à m'insupporter ! Je ne sais même pas si je dois rester ici ou le suivre ! Comme il ne revient pas après plusieurs minutes et que je ne le vois pas à travers la vitre, j'entre. À l'intérieur tout est chaleureux. Le bois et les plantes vertes sont dominants. L'odeur de l'alcool me monte au nez. J'inspire pour me donner du courage. Mes pieds me portent jusqu'au comptoir où un barman me sourit.
— Asseyez-vous, ma charmante demoiselle !
Je vais pour lui demander s'il n'a pas vu mon hôte, mais une main se met sur mon avant-bras. Je pivote la tête et tombe nez à nez sur un inconnu. Il est blond, la barbe très longue et la peau ridées. Il me dit quelque chose que je ne comprends pas. Il insiste et devant ma mine perdue, il me sourit. Je reste bête. Je ne sais pas quoi dire ni quoi faire. Il attend visiblement que je parle. Le barman lui répond dans leur langue avant de m'adresser un clin d'œil.
— Nous ne parlons pas tous plusieurs langues, m'indique-t-il. Mon collègue désirait votre numéro de téléphone...
— Oh... d'accord...
— Je vous conseille de ne pas lui donner, vous savez...
Il laisse sa phrase en suspens et pince ses lèvres. Je hoche de la tête en signe de compréhension.
— Oh je vois... oui. De toute façon, j'ai un numéro français !
— Oui, vous voulez boire quelque chose ? La boisson est offerte aux femmes.
— Non. Merci quand même.
Mon corps est pris d'un frisson. Comme si un courant d'air frais venait de me chatouiller. Mais il est encore là. La température a soudainement baissé. Des mains se posent sur mes hanches et m'attirent contre quelque chose de dur. Un homme. Il enfouit son visage à mon cou et renifle mon odeur.
Il me faut quelques instants pour me rendre compte de ce qu'il se passe. Je tente de repousser la personne, mais elle est plus forte que moi. Le barman s'est détourné de moi et l'homme à mes côtés observe sa boisson chaude d'où sa fumée s'échappe. Je fous un coup de coude, qui n'a pas l'effet escompté.
— Doucement sauvage, susurre l'homme à mon oreille.
— Lâchez-moi !
— Oh une Française ! Que venez-vous faire ici, toute seule ?
— Je ne suis pas seule ! répliqué-je froidement. Je suis chez les MacKay.
L'homme se fige, mais ne desserre pas sa prise. Je suis toujours bloquée dans ses bras.
— Chez les MacKay, vous dites... Vous devriez fuir avant de vous retrouver la gorge ouverte. Ce serait vraiment une sacrée perte... Et je sais de quoi je parle, les MacKay ne sont pas bien. Vous allez être déçue ma chère. Ils sont...
— Cadell, lâche-la tout de suite, tonne une voix grave.
C'est Keith MacKay, je le sais. Immédiatement, l’homme qui me retenait prisonnière me libère. Je n'ai pas le temps de me tourner vers mon hôte, qu'il me saisit par le bras et me force à le suivre. Il ne me lâche pas jusqu'à ce que nous nous trouvons sur le trottoir. Dehors, Keith MacKay se tourne vers moi, le visage tendu.
— Première règle, dit-il, sèchement.
Mon cerveau réfléchit à vive allure avant de comprendre. Je baisse les yeux, stupidement.
— Bien, continue-t-il. Ensuite, qu'avez-vous foutu ? Est-ce que vous savez qui est cet homme ? Un homme très riche ! Très très influent ! Vous faites ce que vous voulez de votre corps, vous le donnez si vous voulez à des idiots, mais ne mêlez pas ma famille à vos relations. Nous nous tenons bien loin d'eux et c'est pour une bonne raison.
— Vous vous trompez, osé-je en levant les yeux. C'est lui qui s'est collé à moi ! Je n'ai rien demandé.
— Vous n'aimez pas suivre les règles, à ce que je vois... Je m'en moque bien de comment cela s'est produit. Ne parlez pas de nous. Ne pensez pas à nous. Et encore une fois, ne nous regardez pas dans les yeux.
Pourquoi ? Car ils ont des lueurs fascinantes ? Car je suis à chaque fois intriguée, subjuguée ? Que j'aimerais m'y perdre ? En savoir plus ? Comme s'ils m’envoûtaient. Et d'un autre côté, quand il prend un air dur, je suis effrayée. Effrayée d'y lire une puissance, une détermination hors du commun. Effrayée de ne pas comprendre.
— Je ne sais pas pour qui vous vous prenez, mais j'ai le droit de vous regarder.
Putain. C'est parti tout seul ! Je n'en pouvais plus de cette idée à la con.
Lord Keith arque un sourcil, amusé par mon répondant.
— Nous nous prenons pour l'une des familles les plus riches d'Irlande. Pour ceux qui ont plus de terre que vous ne pouvez imaginer. Pour ceux qui acceptent de loger gracieusement une jeune femme, en lui proposant même les repas. Pour la famille qui doit supporter d'entendre parler d'elle à longueur de journée à cause d'un psychopathe qui s'amuse à tuer leurs clientes. Qui sont craints par la ville entière voire au-delà... Je continue ou vous avez compris ?
Je roule des yeux. Je peux comprendre qu'il doit en avoir marre qu'on les traite de tueurs, mais ce n'a rien avoir avec le fait de les regarder dans les yeux.
— Vous avez peur de quoi ? Que je...
— Que vous me forciez à vous faire retourner chez vous plus tôt que prévu.
Il m’a coupé la parole, plus froidement qu'auparavant. J'en reste sur le cul !
— Je...
— Vous ? Vous allez faire ce que je vous dis ? Ou vous préférez trouver de l'inspiration chez vous ?
C'est moi, ou il me menace ? Soit je suis parano, soit j'ai raison. Je ne sais pas du tout quelle est la meilleure option !
— Si vous me dites pourquoi vous n'aimez pas qu'on vous regarde dans les yeux.
Sans me répondre, il tourne les talons et entre dans sa limousine. J'entends le moteur démarrer. Je ne perds pas de temps et le rejoins. Mon cœur bat à tout rompre. Le stress fait pulser mon sang et mes doigts se sont réchauffés.
J'ai la désagréable sensation qu'il vient de me faire du chantage et qu'il a gagné ! Qu'il ne pense pas que c'est le cas, je n'ai pas dit mon dernier mot ! Je ne me laisserai pas faire aussi facilement. On a convenu un marché et je tiens à aller jusqu'au bout !
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