Sauve qui peut !

11 minutes de lecture
  • C’est horrible ! Ils sont presque tous morts. Que peut-on faire ?

Le regard que m'adressa le Itan troubla un instant la confiance légendaire qui était gravée en moi. Je ne savais qu'y lire. J'espérais l'admiration mais je craignais la moquerie et je n'avais nullement envie de l'entendre comparer l'incomparable. Mon grand-père n'était sûrement pas taillé dans la même veine que la mienne mais je me plaisais à en assurer l'illusion. Jamais, au grand jamais, je n'aurais pu avouer que je n'étais qu’un gars ordinaire, doté d’une force ordinaire avec des aptitudes ordinaires.

Il fallait donc que je réagisse.

Une diversion. Cette image fugace de moi courant tout droit pour détourner l’attention des ennemis eut quelque chose de diaboliquement inquiétant. Mais je pouvais le faire !

Je me levai brusquement et les priai de fuir le plus loin possible du fort. Et ma course infernale commença. Je me mis à courir comme un dératé en vociférant à tout Mirilyon qui voulait bien l’entendre que je m’appelais Urdann Kaerdoom, la grande Étoile d’Or, et que s’ils voulaient quelqu’un de leur niveau, ils n’avaient qu’à me suivre.

À la suite de cet acte de bravoure un brin arriéré, j’eus l’étonnante surprise de découvrir que l'un de nos ennemis était sorti du vaisseau à bord d'une moto jet dans le but de me prendre en chasse.

Comme il fallait s’y attendre, mes « amis » et le Itan n’étaient pas partis et m’avaient rejoint. Après un court délai, le gars en moto jet sembla abandonner et remonta dans l'engin spatial. C'était à n'y rien comprendre.

Je restai un instant immobile, les yeux levés vers le ventre énorme du vaisseau ennemi. Puis un léger bruit se fit entendre et un faisceau lumineux de couleur bleutée nous téléporta à bord.

Ce fut le jour de ma première rencontre avec le peuple des Mirilyons. Ces humanoïdes glabres de hautes statures devaient frôler les trois mètres. Ils arboraient un menton proéminent qui ne me disait franchement rien qui vaille. Mais comme ils avaient revêtu une armure presque intégrale qui ne dévoilait qu'une infime partie de leurs traits, il m'était difficile de savoir à quoi ils ressemblaient exactement.

J'avais déjà vu quelques illustrations dans des manuels d'histoire mais elles étaient toujours peintes du bout des doigts. Il existait bien quelques dessins un peu plus détaillés de leurs visages mais ils étaient à présent engloutis sous de très anciennes ruines. Je ne sais donc pas si leurs casques en os épousent la forme de leur tête et je ne suis pas sûr de vouloir le savoir. En tout cas, pas en ce moment.

Les soldats Mirilyons me regardèrent, se demandant à quoi pouvait bien ressembler, vu de près, ce type inconscient qui s’était mis à brailler son nom au milieu des décombres. Ils regardèrent mes compagnons puis s’attardèrent sur Kernarok face auquel ils eurent une brève réaction mêlant répugnance et crainte. Vêtus dans des uniformes noirs, avec pour emblème thoracique un œil jaune de volatile de mauvais augure, ils avaient un timbre de voix caverneux plus ou moins prononcé.

  • Expulsez-moi ces intrus ! brailla l'un d'entre eux.

Alors que des gardes nous agrippaient le bras, une femme encapuchonnée de blanc se faufila parmi eux et leur fit signe de nous relâcher.

  • C'est moi qui les ai faits venir ! expliqua-t-elle.

Le garde qui avait donné l'ordre de notre éviction fit signe de la tête à ses subalternes de se retirer. Il la salua respectueusement et se retira à son tour.

La dame nous demanda de la suivre et l'on put alors voir un peu plus dans le détail l'intérieur du vaisseau. En fait, il ressemblait à n’importe quel intérieur en métal, sans fioriture ni décoration. Il possédait toutefois des gravures à certains endroits qui, à mes yeux, ne signifiaient rien de particulier. Les couloirs se ressemblaient tous, ainsi serions-nous bien avancés si nous parvenions à leur fausser compagnie.

La salle dans laquelle elle nous conduisit n’avait rien d’inquiétant et ressemblait plus à une pièce de réception qu’à une prison. Une fois tout le monde à l'intérieur, elle claqua des doigts – ou des griffes devrais-je dire – et la porte se referma. Elle retira alors sa capuche, ouvrit son manteau qui laissa voir son plastron et sa longue jupe fendue sur les côtés, puis se présenta.

C'était une Sianis originaire de la planète Slack. Elle se prénommait Shad’Orna. C'était, à première vue, une femme comme les autres, à l'exception de son visage duveteux de tigre blanc, de sa queue ornée d'un bijou en cuir et de sa musculature de félin qui l'avait pourvue de jambes puissantes et agiles.

Comment une femme à la fourrure si douce et à l’allure si amicale pouvait servir ce peuple assoiffé de conquêtes ! Tout le monde savait que quelques humanoïdes étaient à la solde des Mirilyons, mais personne ne comprenait leurs motivations. Peut-être qu'ils payaient bien ou que leurs menaces étaient convaincantes. Enfin suffisamment convaincantes pour motiver une fière Sianis.

  • Qui êtes-vous ? commença par nous demander Shad’Orna.

Kernarok nous demanda de ne rien répondre car nos noms figureraient à jamais dans la base de données des Mirilyons. Chacun se tut. La femme tigre me sourit malicieusement.

  • Bien, puisque personne ne veut coopérer, je commencerai par toi, jeune Urdann Kaerdoom

Oups, me dis-je en moi-même. J’avais crié mon nom haut et fort et à présent ils m’avaient dans leurs fichiers. J’étais maudit, j’étais…

  • Stupide ! me lança Silarns abruptement.

Ne pouvant que lui donner raison, je préférais ne pas en rajouter.

  • Bien, dis-je, puisque vous connaissez déjà mon nom, autant parler. Nous sommes... (les mots me manquaient tout comme l'imagination) ...des pèlerins, finis-je par accoucher après de longues secondes.
  • Et que font des pèlerins dans un fort de la Rébellion ? s'amusa la dame.

Excellente question, me dis-je en moi-même. Il me fallait trouver quelque chose à dire, et vite.

  • Épuisés par un long voyage, nous avons demandé asile au maître de la forteresse qui nous a accueillis avec bienveillance.

Elle s'amusa davantage de la voix suave que j'avais eu le culot de lui servir.

  • Vous n’avez donc rien à voir avec la Rébellion ?

Il me parut évident qu'elle ne croyait pas un seul de mes mots. Elle avait ce regard hautain, fier même défiant qui savait refroidir un homme. Mais je devais faire bonne figure car j'étais leur chef.

  • Absolument ! Vous pouvez donc nous relâcher.

Son regard félin se figea sur moi. Sa bouche se contracta et je vis une adorable petite canine glisser lentement hors de sa bouche, suivie d'une seconde de l'autre côté. Son nez se plissa et elle semblait me guetter en silence, sûrement que je mentais très mal.

  • Je vois, finit-elle par dire. Tout est très clair.

Intérieurement soulagé, je baissai momentanément ma garde et elle en profita pour bondir juste devant moi et pointer un coutelas sous ma gorge. Je regardai alors mes compagnons, et plus particulièrement Kernarok, avec l’espoir vain qu’il me tendrait une perche. La Sianis relâcha son étreinte et recula d'un pas en jonglant avec son couteau et en se déplaçant tout autour de moi, à la manière d'un prédateur.

  • Et quand bien même nous ferions partie de la Rébellion, osais-je, ça changerait quoi !
  • Rien, en fait.

Elle ricana brièvement et poursuivit en jouant avec son coutelas.

  • Laissez-moi plutôt vous donner ma version des faits ! Vous vous êtes engagés dans la Rébellion il y a peu de temps. Pris dans un conflit qui le dépasse, le jeune inconscient prénommé Urdann Kaerdoom décide que l'heure est venue pour lui d'être un héros. Il est si fier de son acte de bravoure, qu'il consent même à révéler son nom à la flotte ennemie. Ses amis préfèrent le suivre car sa stupidité risque de lui être fatale. Mais... Il a beaucoup de chance car les Mirilyons n'ont que faire d'un agité de cette trempe et seraient d'accord pour le relâcher.... Malheureusement, ce jeunot est tombé sur moi... Et mes projets sont tout autres !

Elle prit une légère inspiration et me scruta. Son regard sembla m'hypnotiser, me paralyser, m'engloutir.

  • Vous voulez nous tuer ? demandais-je avec inquiétude.
  • Tss, tss, tss. Si c'était ma volonté nous ne serions pas là à en parler ! Trêve de plaisanterie, je veux vous recruter toi et tes amis. Si vous effectuez un tout petit travail pour moi, je vous rendrai votre liberté.

Tout le monde sembla soulagé. Seul Kernarok restait impassible. Mais le fait qu’il cesse toute lecture et qu’il l’observe attentivement m’inspira les plus grandes craintes.

  • Et quel genre de travail voudriez-vous donc confier à un jeune inconscient entouré de novices ? finit par demander l'emplumé. En quoi vous seraient-ils utiles ?
  • J'ai besoin d'yeux et d'oreilles. Il me faut des informateurs que nul ne pourrait soupçonner. C'est une proposition honnête, il me semble. Bien sûr, vous serez ma monnaie d'échange. Je ne suis pas assez stupide pour laisser un Phénox diriger les opérations. Je connais votre réputation, votre dangerosité, toutes les rumeurs, les mystères qui vous entourent. Votre sens du secret. Alors cette proposition ?
  • Il faudrait faire quoi ? dis-je à toutes fins.

Kernarok interrompit la Slanis, avant même qu’elle ne dise quoi que ce soit. Une aura dorée commença à émerger tout autour de son corps musculeux.

  • J’ai une autre proposition, fit-il très tendu. Vous nous relâchez immédiatement et je vous laisse la vie sauve.

Shad’Orna prit une position de recul et baissa ses oreilles. Kernarok étendit légèrement son aura, ce qui entraîna une montée de la tension telle que la Slanis finit par se métamorphoser en une forme de tigre plus impressionnante, alors que le Phénox devenait incandescent et formait une boule de feu entre ses mains d’une puissance que je soupçonnais phénoménale.

Qui attaquerait le premier ? fut une question rapidement résolue. Dans un rugissement, Shad’Orna bondit sur Kernarok qui se téléporta à l’autre bout de la pièce. Il ne restait plus que nous. À peine avions-nous eu le temps de nous regarder quelques secondes qu’elle bouscula Ronn avec sa queue, le faisant chuter quelques mètres plus loin.

Silarns n'apprécia pas cette attitude et tenta une attaque directe qui fut esquivée rapidement par la Sianis. Furieuse, elle se jeta sur lui et lui asséna un coup de griffes transversal qui le blessa. Il recula pour se mettre à l’abri, tout en se tenant le ventre. Du sang coulait entre ses doigts.

Je fis mine de vouloir l’attaquer et feintai au dernier moment pour pouvoir aller dans la même direction que mes amis blessés. Shad’Orna finit par adresser un regard assassin au Itan, mais le sonar qu’il dirigea contre elle affecta son équilibre, ainsi ses capacités auditives supérieures à la moyenne se transformèrent en handicap.

Alors qu’elle tentait d’étouffer le son en écrasant ses oreilles, Kernarok nous ordonna de sortir de là et de le laisser en terminer. Comme nous étions paralysés par l'incompétente, l’Itan nous incita à sortir de là rapidement. Une fois dans les couloirs, je fis part aux autres membres du groupe de mes doutes quant à nos chances de trouver la sortie dans ce grand labyrinthe volant. Silarns nous rassura.

  • Les vaisseaux Mirilyons possèdent des portails de téléportation que l’on peut utiliser pour s’échapper.
  • Petit malin… Mais est-ce que tu sais les faire fonctionner ?
  • Oui.

Cette affirmation nous sécurisa autant qu’elle mit quelques doutes en moi. Les technologies mirilyonnes étaient presque toutes secrètes. Comment un jeune homme de son âge, qui ne pouvait avoir connu de Mirilyons, savait-il pour les portails ? Était-ce un espion ?

  • Dépêche-toi, tu te traînes ! me dit-il avec une énergie étonnamment développée pour quelqu’un qui venait tout juste de se faire écorcher.

Je m’interrompis alors dans mes pensées multiples et pressai le pas.

  • Je ne suis pas très à l'aise avec la pensée de laisser Kernarok seul, dis-je en marchant.
  • Si tu veux mon avis, me répondit Silarns, tout en gardant sa main appuyée contre son abdomen, soit Kernarok est moins fort que je le pense et il est déjà mort, soit il est encore plus fort qu’il en a l’air et il trouvera tout seul la sortie ! Nous autres, nous n’avons pas ce luxe. Nous n’avons plus que cinq minutes pour nous échapper, avant qu’ils ne se rendent compte de notre présence !
  • Comment tu sais ça toi !

Silarns nous mena à un sas qui débouchait sur un entrepôt dans lequel se trouvaient plusieurs dômes de téléportation puis il déverrouilla l'accès du premier qu'il trouva et lorsque tout le monde fut à l'intérieur, il referma la porte.

J'entendis alors un léger bruissement puis remarquai l'eau qui s'infiltrait dans le dôme. Était-ce une blague ?! L’eau commença par s'écouler lentement, je la sentis devenir un peu plus chaude, puis une véritable cascade nous tomba dessus. A ce rythme là, nous allions tous… Je regardai le Itan qui ne s'en préoccupait gère. Il fallait dire qu'il pouvait respirer sous l’eau. Ronn semblait contemplatif.

Je remarquai alors le sang qui s'échappait des doigts de Silarns. Puis j'entendis les battements de mon cœur résonner dans ma tête. Une dernière bouffée d'air avant l'inondation. Et le Itan qui se met à nager en plus. Ma seule consolation était que, quand il aurait fini de faire le malin, je serais mort noyé !

Puis l’eau recouvrit tout. Était-ce la fin de l’Étoile d’Or ? Silarns me tapota l’épaule pour que j’ouvre les yeux. Je secouai la tête énergiquement. Voulait-elle briser ma concentration et me faire crever plus rapidement ? Devant ma résistance, elle fut alors contrainte d’utiliser sa technique en me frappant dans l’abdomen pour me forcer à respirer. Le liquide qui entra dans ma bouche ne me tua pas et au final n’était pas très éloigné de l’oxygène habituel.

« Blub » furent les seuls sons qui s'échappèrent de ma gorge. Quelle étrange technologie ! Je n'y comprenais rien. Le Itan et Ronn se moquèrent de moi, mais je ne leur en voulus pas. Il est vrai que les Mirilyons n’emprunteraient pas de portails de téléportation qui les tueraient ; j’avais été inutilement craintif. Mais qui allait m’en blâmer !

Nous atterrîmes dehors sur une pelouse sauvage qui donnait vue directement sur la grande cité de Lime qui était étonnamment indemne. Un dôme aquatique restait suspendu autour de nous. Silarns pressa un bouton et la bulle éclata, laissant se déverser toute l'eau à quelques mètres à la ronde. Je toussai quelques secondes puis me ressaisis. Pourquoi cette cité avait-elle été épargnée par les Mirilyons ? Avec les moyens colossaux dont ils disposaient, nos ennemis avaient laissé en l’état une cité de deux cent mille habitants ? Quel était donc leur plan ? Les asservir ?

Le vaisseau mirilyon était à présent à peine visible. Je le vis disparaître peu à peu sous mes yeux. Le fort de Brem ! Je me retournai alors et ne vis que des ruines encore fumantes. Kernarok ! Je me mis à penser à lui, le cœur affolé. Je le recherchai du regard, un peu partout. Dans les airs, devant, derrière, mais aucune trace de lui.

  • Allons dans la ville, proposa Silarns, la main toujours appuyée sur le ventre.
  • Une minute, ajoutais-je, le fort étant détruit, chacun est libre de partir où bon lui semble. Rien ne nous oblige à rester ensemble. Si quelqu’un veut quitter mon groupe qu’il le dise tout de suite !

Je n’eus pour réponse que des yeux levés au ciel.

  • Bien, si nous devons passer encore un peu de temps ensemble, dis-je en regardant le Itan, tu devrais peut-être nous donner ton nom ?
  • Ermuk Kroll, me répondit-il simplement en inclinant la tête.
  • Bien ! En route !

Je levai un bras en l’air, signe que j'étais le leader, et les autres répétèrent, peu enjoués, les paroles prononcées « En route ! ».

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Melucy Light ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0