Entre mes mains, entre leurs bras
À 30 ans, je ressentais une urgence que je ne pouvais plus ignorer. Ce n’était pas une pression extérieure, ni une obligation imposée. C’était une voix, douce mais insistante, qui murmurait au creux de mon esprit qu’il était temps de transformer mes expériences en quelque chose de tangible.
Ce n’était pas une envie de clore un chapitre, mais plutôt de l’ancrer, de lui donner une forme qui dépasserait les limites de ma mémoire. Chaque caresse, chaque frisson, chaque regard échangé au fil des années semblait me demander d’être capturé, revisité, immortalisé.
L’écriture n’était pas une activité étrangère pour moi. Depuis mes premières explorations solitaires jusqu’à mes relations les plus profondes, mon journal avait été mon confident. Mais cette fois, c’était différent. Ce que je m’apprêtais à écrire n’était pas seulement pour moi. C’était pour toutes celles et ceux qui, comme moi, s’étaient parfois perdus dans leurs désirs pour mieux se retrouver ensuite.
Assise à mon bureau, une tasse de thé fumante à mes côtés, je laissai mon regard errer sur les pages blanches de mon carnet. Le silence de la pièce était à la fois réconfortant et intimidant. L’idée d’écrire sur des souvenirs aussi intimes me fascinait autant qu’elle me terrifiait.
Je pris une profonde inspiration, laissant mes doigts effleurer la couverture usée de mon journal. À l’intérieur, des années de pensées brutes, de réflexions, de descriptions vibrantes attendaient d’être revisitées.
La première page que j’ouvris me transporta instantanément. L’écriture tremblante de mes premières expériences, maladroite mais sincère, me sauta aux yeux.
« Aujourd’hui, j’ai découvert une nouvelle partie de moi-même… »
En relisant ces mots, je sentis une vague d’émotions m’envahir : la timidité de mes débuts, l’émerveillement face à mon propre corps, mais aussi les doutes et les questionnements qui avaient marqué ce chemin.
Revisiter ces souvenirs était comme marcher dans un jardin oublié, où chaque fleur portait une mémoire, chaque senteur réveillait une sensation enfouie.
Écrire était un processus sensoriel autant qu’émotionnel. Je m’immergeais complètement dans chaque souvenir, laissant mes sens me guider.
Je me souvenais de la douceur d’une plume glissant sur ma peau dans un club libertin, du parfum envoûtant du jasmin dans la chambre d’Éloïse, ou de la chaleur diffuse d’une lampe tamisée pendant une nuit avec Théo.
Lorsque je décrivais ces moments, je cherchais à capturer non seulement ce que j’avais vu ou touché, mais aussi ce que j’avais ressenti. Le frisson d’anticipation avant un premier baiser, la montée lente et inexorable du désir, le relâchement total après une étreinte passionnée… Chaque détail devenait un mot, chaque sensation une phrase.
Mais ce n’était pas seulement une question de sensualité. Je revis également les peurs et les doutes qui avaient ponctué mon parcours : la crainte d’être jugée, l’incertitude face à des désirs que je ne comprenais pas encore pleinement.
L’écriture était une forme d’abandon, presque aussi intime que les moments que je décrivais. Chaque phrase que je posais sur la page semblait m’exposer un peu plus, me forçant à affronter non seulement ce que j’avais vécu, mais aussi ce que j’en avais appris.
Je me souvenais de la première fois où je m’étais laissée aller à mes désirs avec Lucas, de la manière dont mon corps avait répondu avec maladresse, mais aussi avec une curiosité irrépressible. Je me rappelais des nuits avec Elena, où l’intensité de nos moments semblait repousser les limites de ce que je pensais possible.
Et puis il y avait Théo, sa douceur, sa patience, sa manière de me regarder comme si j’étais tout un univers à explorer. Ces souvenirs, loin d’être de simples anecdotes, étaient des leçons gravées dans mon être.
Souvent, en écrivant, je fermais les yeux, laissant mes mains parcourir le papier comme elles avaient parcouru des corps, des objets, des textures au fil des années. Chaque mot était choisi avec soin, chaque phrase était pesée, comme si je voulais m’assurer qu’elle portait en elle l’essence de ce que j’avais vécu.
Parfois, je m’arrêtais, submergée par une émotion inattendue. Un souvenir particulièrement intense pouvait me faire pleurer ou sourire malgré moi. Je m’accordais ces pauses, ces moments où je laissais les souvenirs m’envahir entièrement avant de les transformer en mots.
Les pages s’accumulaient, chacune portant une part de moi-même. Je relisais parfois ce que j’avais écrit, étonnée de la clarté avec laquelle mes souvenirs prenaient vie.
— Pourquoi fais-tu ça ? m’avait un jour demandé une amie.
Je pris un moment pour réfléchir avant de répondre.
— Parce que l’intimité est universelle, murmurai-je. Ce que j’ai vécu n’est pas unique, mais la manière dont je l’ai ressenti l’est. Et si mes mots peuvent aider quelqu’un d’autre à se comprendre, alors cela en vaut la peine.
Quand j’écrivis la dernière page, je ressentis une étrange combinaison de soulagement et de nostalgie. Ce livre était plus qu’un simple récit. C’était une offrande, un cadeau que je faisais au monde, mais aussi à moi-même.
Je l’intitulai simplement "Entre mes mains, entre leurs bras".
Ce livre n’était pas une fin, mais un nouveau début. Il symbolisait tout ce que j’avais appris sur moi-même, tout ce que j’avais exploré, mais aussi tout ce qui restait encore à découvrir.
À 30 ans, en refermant ce manuscrit, je sentis une paix profonde m’envahir. J’avais transformé mes expériences en quelque chose d’intemporel, un témoignage de l’importance de s’écouter, de se respecter, et de célébrer la complexité de nos désirs.
Et alors que je déposais le manuscrit sur mon bureau, prête à le partager avec le monde, je sus que ma quête d’intimité, de compréhension, et d’épanouissement ne faisait que commencer.
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