chapitre un - début

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– Bonjour !

Les deux syllabes filèrent, claires et joyeuses en direction de l’arrière-salle d’où provenait le frottement régulier d’un objet sur le bois. Le mouvement ralentit et se fit moins pressant, comme tendant l’oreille sur un son incertain.

– Y a quelqu’un ?

La voix, toujours aussi nette, mais empêtrée d’un soupçon d’inquiétude, ne doutant pas d’une présence tout en n’étant plus aussi sûre d’être la bienvenue, insista en appuyant sur le « un », ce « un » qui n’attendait que l’autre, insinuant que ce serait une offense de laisser l’invitant dans sa solitude.

Comme une guêpe obstinée vrombissait entre les montants de l’entrée, incitant les intrus à reculer, ou à s’engager, Nicolas avança sans bruit dans la boutique et posa - osa poser - deux doigts fins sur une commode aux reflets acajou. Les doigts, pris dans la magie de sa passion, se dirigèrent vers un plateau exposé sur un petit chevalet de bois exotique, tandis que la paume de l’autre main caressait machinalement les moulures douces du meuble. Pas une aspérité ne venait agresser la sensibilité de la peau ni celle de l’œil ; le bois avait été poncé dans ses moindres détails. Poncé, poli, nourri, rendu plus beau dans la mort que dans sa vie. Nicolas prit conscience des odeurs pénétrantes qui l’enveloppaient. Un mélange de sèves échauffées sous le travail de l’artisan se mêlait à une fragrance plus entêtante de cire d’abeille. Son regard plongea dans la scène sculptée en relief sur le plateau, vers les collines méditerranéennes, là où, à l’ombre d’un olivier, le travailleur ayant recouvert son visage d’une casquette se laissait bercer par le chant de la méridienne. « C’est de l’olivier », pensa Nicolas. Ses deux doigts se mirent à voltiger sur les branchages, puis revinrent vers l’homme assoupi, tentèrent de saisir la besace abandonnée et repartirent explorer l’horizon des collines. « De la belle ouvrage », se dit le jeune homme. Une expression de vieux, mais elle s’était imposée et convenait parfaitement à son ressenti. Il approcha son nez du plateau où des senteurs huileuses et parfumées l’envahirent, comme une chanson d’enfance revient parfois bercer l’adulte dans des draps chauds. « C’est bien de l’olivier ». Il se redressa à regret, admiratif, un peu perdu dans cet art du découpage, à la fois si proche par sa matière première, et si lointain dans cette facture soignée où la perfection des formes s’était pliée à une volonté humaine.

Le frottement dans l’arrière-salle s’était endormi et, lorsque Nicolas se retourna, il se retrouva face à la menuisière. La Menuisière. Celle qui « sait voir ». Ses voisins la nommaient ainsi, avec la déférence, et un soupçon de crainte, que l’on peut éprouver au contact de personnes savantes que l’on ne comprend jamais tout à fait.

Il l’avait imaginée plus petite, plus vieille, avec un visage ridé et quelques voiles de mystère sur ses traits. Sa vision imaginative se superposa à la vision réelle, craquela, batailla et ne capitula que lorsque la femme lui lança un « Bonjour ! » enjoué, accompagné de deux pétillantes lueurs allumées au cœur d’yeux couleur mousse des bois, un fond marron bordé de cristaux verts. La Menuisière.

Elle était aussi grande que Nicolas. Si sa peau n’avait plus l’élasticité de la jeunesse, son corps avait gardé la vitalité d’une jeune femme. Des cheveux bruns, mi-longs et raides, ornaient un visage hâlé et souriant. Seuls quelques fils blancs sur le bas des tempes avouaient le passage du temps. Une fine couche de poussière s’était collée à la sueur, sur le front et les joues, avait épargné le contour des yeux, laissant deviner le port de lunettes protectrices, et s’était déposée sur les épaules dénudées et le haut du débardeur à ramages colorés qui s’arrêtait à la taille, d’où un pantalon beige de toile légère, coupé aux genoux - sans ourlet ; des fils sauvages essayaient de s’échapper du tissu -, découvrait des mollets musclés et bronzés comme en possèdent les marcheurs entraînés. Elle ne semblait pas maquillée, ou alors très légèrement, et ne portait pas de bijou, ni boucles d’oreilles, ni pendentif, ni bracelet, pas même une ceinture fantaisie. La seule touche plus coquette concernait les espadrilles, dont le jute teinté de motifs rappelant les peintures aborigènes accordait ses coloris aux arabesques du débardeur.

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