Partie 1

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Le fouet claqua sur la peau noire d'Enzo.

Fractionné par les barreaux de la cage, son corps s'arqua de douleur.

La foule grondait et rugissait dans l'obscurité de la fosse, transportée devant son supplice ; sur la scène, Enzo dansait, se débattait, feulait tel une bête enragée. Il finit par faire volte-face et planta ses pupilles de fauve dans celles du dompteur. La haine et la terreur crépitèrent entre eux, comme un lien imperceptible ; le public le saisit pourtant, se crispa d'appréhension. Mais Enzo captait son avidité, son envie d'en voir plus, de voir le sang couler.

Il se jeta vers l'homme qui, loin des barreaux et de sa portée, se jouait de lui avec un sourire mauvais. Le fouet bondit, vint toucher l'oreille pointue de la bête, son épaule luisante de sueur, son pectoral parcouru de tressaillements nerveux ; Enzo rugit et la lanière brûlante cingla son visage, mordant cruellement son museau busqué.

– Assez ! rugit-il, cramponné aux barreaux, gueule entrouverte sur sa respiration sifflante.

Son regard double, mi-neige mi-or, se voila derrière ses paupières épuisées. Il offrit au fouet ce visage bestial dont le public se rassasiait. L'humain, comme indécis, promena la langue de cuir le long de ses tempes larges – celles d'un tigre ou d'un lion –, de son front plissé par le malheur, de son mufle animal.

Puis, au milieu des effluves de sueur qui émanaient du corps fumant face à lui, l'homme se tourna vers le public, muet et fasciné, qui déployait son océan de regards au pied de la scène.

– Qu'en dites-vous ? lança le dresseur, une main posée sur l'énorme cage comme s'il s'était agi de celle d'un chien.

Des murmures perplexes s'élevèrent du peuple en contrebas.

– Eh bien, qu'allons-nous faire de lui ? Allons-nous le laisser en paix ?

Il se retourna vers Enzo et passa la pointe du fouet entre les barreaux, afin de tapoter son front avec énergie. L'être au pelage noir, maté, ne bougea pas. Ses yeux étaient fermés et sa respiration, calme.

– A-t-il été bien sage ? éructa le quarantenaire d'une voix de stentor.

La foule explosa en torrents d'applaudissements.

– L'avons-nous bien dressé ?

Des sifflements retentirent dans la salle.

– Il faut croire que oui. Mais à présent, mesdames et messieurs, il nous faut vérifier cela de manière un peu plus sérieuse.

Alors, devant les yeux médusés de plus de deux cent personnes, l'homme au complet scintillant sortit une clé de bronze de sa poche, l'une de ces vieilles clés aux arabesques gracieuses, et la glissa dans la serrure de la cage.

Derrière les barreaux, les yeux de l'homme-bête s'ouvrirent d'un coup. Leur lumière filtra à travers la pénombre.

– Ainsi soit-il, prononça cérémonieusement son maître.

La cage s'ouvrit, grinçant lentement dans ses gonds rouillés. Le bruit glissa dans le silence, coupant net les respirations des enfants.

Enzo extirpa son corps de colosse de la cage trop étroite pour lui. Il fit un pas sur la scène, y posa son sabot de taureau, puis le deuxième ; ces lourds sabots qui auraient pu briser le crâne d'un enfant. Le plancher vermoulu couina sous son poids, mais il se tut très vite, comme terrifié lui aussi par le diable qui parcourait son dos de bois. L'immense silhouette de l'homme-bête se déploya dans l'espace, doucement ; il progressait dans le silence, dorénavant, avec une légèreté telle qu'on l'aurait dit spectre, ou esprit vomi par la nuit. Les rais des projecteurs balayèrent la pénombre et dessinèrent un laçage de lumière sur cette ombre puissante. Les muscles d'Enzo ondulaient dans la moiteur de la salle surchauffée ; chacun, parmi ceux qui le huaient un instant auparavant, se figeait de saisissement devant sa grâce de fauve enfin libéré.

Son dompteur, la pointe du fouet posée sur son front, le guida à travers la scène, à travers les pinceaux de lumière qui erraient sur le plancher. L'ombre faisait miroiter son pelage, y créant des ocelles éphémères, qui se diluaient dans l'obscur au fil de ses pas.

Le couple étrange et mal assorti se mit à descendre l'escalier de la scène ; l'humain bien mis, tout scintillant de fils d'or et de strass, ouvrant la marche devant le géant d'ébène à la nudité velue. L'auditorium tout entier se tendit. Le public sua davantage dans la chaleur étouffante, convaincu que dans l'instant suivant le diable noir allait se retourner contre son maître.

Mais calme et apaisé, aussi doux qu'un agneau, le colosse poursuivait ses foulées de taureau.

Ils remontèrent l'escalier de la fosse en silence, frôlant les gamins assis sur ses marches ; bouche bée, le regard scintillant, ceux-ci regardèrent l'ombre les surplomber, les noyer de son aura avant de s'éloigner.


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