Partie 12
Elle appuya ses coudes menus sur son torse pour se reculer, et il la souleva un peu plus haut afin que leurs visages soient face à face ; cela arrivait si rarement que son cœur se mit à battre encore plus fort, tambouriner dans sa poitrine à tel point qu'elle devait le sentir dans ses os.
– C'est bon je t'ai dit, je suis plus triste maintenant. T'inquiète pas, Enzonounet.
Le colosse retint sa respiration lorsqu'elle posa les mains sur ses joues chaudes et duveteuses. Ses yeux toujours plongés au fond des siens.
– Franchement, ça devient bizarre là, tu devrais… souffla-t-il sans parvenir à achever sa phrase.
Elle se mit à caresser doucement son visage, effleurant son pelage noir avec une tendresse qu'il ne lui avait jamais vue, que personne n'avait jamais eue pour lui.
– Enzo, souffla-t-elle en faisant glisser ses pouces le long de ses tempes. Le Magnifique.
Il cligna des paupières et leva haut le menton, arrachant son visage à ses caresses. Le regard rivé au plafond pour ne pas laisser les émotions déborder de ses yeux, il revit le jour où Zabeth lui avait présenté Madeleine. Cet instant où la petite fille de douze ans l'avait fixé, sans peur, et avait asséné :
– T'es bizarre, toi ! Pourquoi t'es moche comme ça ?
L'Enzo adolescent avait éclaté d'un grand rire et répliqué par une vacherie du même genre. Le garçon avait grandi entouré des siens et n'était jamais sorti à l'extérieur. Son cœur, à l'époque, était encore dépourvu des épines de la honte.
Cet être fier était bien loin de l'homme qui, le soir même, avait fui sous les rires. Une larme coula sur la joue d'Enzo à cette idée.
La petite main froide de Madeleine escalada son cou, entama l'ascension de son menton avant d'essuyer doucement le chagrin de l'homme-bête.
–Maintenant c'est toi qui es triste ? murmura-t-elle, suivant d'un doigt la courbe d'une arcade sourcilière dépourvue de sourcil.
Elle s'accrocha à son cou et planta un baiser sur son mufle de lion, sur son pelage si ras qu'il en était invisible de loin.
– J'ai toujours rêvé de faire ça, gazouilla-t-elle en l'embrassant à nouveau.
– Tu es à moitié saoule, Madeleine.
Il ne fit cependant pas un geste pour la retenir, l'estomac agité d'une myriade d'émotions qui brassaient de l'espoir comme des papillons.
– Enzo.
Aimanté par ses yeux, l'homme-bête resta muet. La jeune fille se pencha doucement – il se crispa d'un coup – et déposa un baiser sur ses lèvres léonines.
Des larmes pointèrent à nouveau sous les paupières d'Enzo ; il l'étreignit très fort, noyant son visage dans ses cheveux, dans son odeur d'humaine. Elle se tortilla, saisit sa figure bestiale entre ses mains et l'embrassa sans plus aucune retenue. Abasourdi, le cœur douloureux et gonflé d'espoir, l'homme-bête lui rendit son baiser avec fougue. La honte le submergea lorsqu'il réalisa que sa gueule n'était pas faite pour de telles démonstrations. Des aiguilles de ridicule vinrent transpercer son cœur, le poussant à reculer, à s'avouer vaincu, à retourner se terrer dans l'obscurité d'une cage ; mais quelque part sous ses paupières fermées, Madeleine veillait, le retenant de ses lèvres plus douces que tout ce qu'il avait connu.
Quand elle se sépara de lui, les mains toujours scellées à son visage, Enzo ouvrit des yeux aux prunelles dilatées. Sans y croire encore, il accrocha son regard au sien. La jeune fille avait les joues délicieusement rouges ; elle appuya son front contre le sien et murmura :
– Aime-moi, Enzo.
– Je t'aime déjà, balbutia-t-il, rendu fou par ces mots. Depuis des années ! Depuis le début je t'aime…
Elle sourit sans répondre et resserra l'étau de ses cuisses autour de lui ; par réflexe, il suivit le mouvement et l'étreignit davantage, l'engloutissant dans sa silhouette noire. Elle promena ses lèvres le long de sa gorge, posa un millier de baisers jusqu'à son oreille pointue. Enzo frissonna de tout son corps, tituba un peu sur ses jarrets soudain affaiblis ; hérissé de désir, il fit quelques pas jusqu'au lit. Elle s'y étendit, offrit son ventre doux à ses baisers, étira ses longues pattes de gazelle. Ses yeux rieurs l'appelaient, convoquaient une nuée d'instincts au fond de ses tripes. Il la rejoignit la seconde d'après et l'écrasa de son poids. Cœur contre cœur, ils écoutèrent haleter le souffle de l'autre, observèrent brûler l'envie de l'autre comme un brasier encore inassouvi.
Annotations