23. Chris
Une porte s’ouvre enfin. Je distingue le crâne blanc du flic derrière la silhouette agitée d’un jeune homme couleur café. Il a l’air désespéré, il fait pitié avec sa coupe de footballeur mal copiée. Il supplie le flic qui le pousse hors de la pièce de ne pas appeler sa mère. Le flic lui ordonne d’attendre et se tourne vers moi :
— Monsieur, veuillez me suivre s’il-vous-plait.
Je le suis dans la pièce et lui tends mon butin sans prendre le temps de m’asseoir :
— J’ai les photos, et son passeport.
Il lève les sourcils, observe rapidement les photos, regarde le passeport et répond :
— Tant mieux. Ça veut dire qu’elle est toujours en France… ou en Europe au moins.
Puis il ajoute :
— Comme je vous expliquais tout à l’heure, comme on n’a pas de preuve qu’il lui soit arrivé quoi que ce soit, on doit attendre un certain délai avant de pouvoir juger la disparition inquiétante. Vous pouvez toujours porter plainte contre X en tant que proche de la personne, mais comme vous n’êtes pas mariés, il faut que les parents de la victime fassent la demande pour lancer une procéd… il s’interrompt, quelqu’un a frappé.
La tête de la fliquette apparaît dans l’entrebâillement de la porte, elle croise furtivement mon regard puis entre dans la pièce en s’excusant. Elle chuchote quelque chose dans l’oreille de son collège et lui tend un papier. Au bout de trente secondes, ils lèvent tous les deux les yeux et me regardent bizarrement. Je n’aime pas ça.
La femme ressort, puis le flic semble recoiffer une mèche invisible avant de renfiler son masque de cire. Il débite alors d’une voix neutre :
— On l’a retrouvée. Elle a été admise à la Pitié-Salpêtrière à 22h35. Il y a eu une collision entre plusieurs véhicules sur le pont du boulevard périphérique dans le treizième, on a retrouvé son corps dans la Seine près d’Austerlitz. L’hôpital nous a assuré qu’elle est toujours vivante, mais sévèrement blessée et probablement dans un état critique. Nous ne pouvons malheureusement pas vous en dire plus sur son état de santé.
Mes oreilles bourdonnent. Les battements de mon cœur restent suspendus dans l’espace, tandis que les mots « hôpital » et « état critique » s’entrechoquent dans ma tête. Je suis dévasté, emporté par une tornade qui me déporte dans un monde parallèle, hostile et glacial.
Je quitte le commissariat et me précipite au métro. Fermé. Je n’ai pas de smartphone pour commander un Uber. De toute façon, je ne pourrais pas, la culpabilité me ronge déjà. Tout devient flou autour de moi.
Je cours chercher un taxi. J’ai oublié de prendre de l’argent. Je fais demi-tour. J’ai les poumons en feu quand je rentre chez moi. J’appelle un taxi.
Il est deux heures dix, on passe devant Austerlitz. La Pitié est à côté, je fonce aux urgences. Alice est bien dans leur fichier mais je ne suis pas au bon endroit. Je suis dans le bâtiment 1, elle est au 4. La standardiste m’explique le chemin de sa voix de crécelle… Je ne comprends rien, je n’arrive pas à me concentrer sur ce qu’elle raconte.
Je me retrouve de nouveau dehors, dans un dédale d’escaliers et de ruelles.
J’avance au hasard. C’est une ville dans la ville cet hôpital. Les bâtisses s’enchaînent, masses sombres et inquiétantes, elles me poursuivent de leurs ombres troublantes. Leurs mille orbites brillent dans l’obscurité, témoignant en silence d’autant de souffrances…
Il fait nuit, je suis perdu.
Je me sens mal.
Un vertige soudain me rappelle que je n’ai rien mangé de la journée. J’avais préparé des lasagnes pour dîner avec Alice…
Je titube et trébuche dans une flaque d’eau…
Tiens, il ne pleut plus.
Le ciel est noir… pas une étoile…
Je m’effondre sur l’asphalte.
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