35. Ariane

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Je pars traverser la frontière et j’arrive à l’aéroport de Goma à 6h45. Comme c’est un vol spécial affrété par le Programme alimentaire mondial et que les onze passagers sont là, l’hélico décolle à 7h30 avec trente minutes d’avance. Ça m’arrange. Je salue dix personnes que je ne connais pas et oublie instantanément leur nom. Les logos sur leurs vêtements me permettent au moins de savoir pour qui ils travaillent. Seulement, aujourd’hui, cela me paraît complètement dénué de sens. Je sors mon casque anti-bruit et j’écoute Muse à fond. La gorge serrée, je regarde le paysage défiler à travers le petit hublot de l’hélico. Là encore, le paysage strié de coulées de lave grises est à couper le souffle. Sous mes lunettes de soleil, des larmes coulent silencieusement sur mes joues.

L’hélico fait un premier passage au-dessus de ce qui semble être un terrain de foot, puis au deuxième passage, il se pose. Une dizaine de casques bleus sécurisent le périmètre. Tout le monde descend, et l’hélico redécolle aussitôt. Pour des raisons de sécurité, les pales ont continué à tourner. On embarque dans quatre Land Cruiser pour trente minutes de voiture. Il est neuf heures, le site de distribution de cash est couvert de Mamans en pagnes aux couleurs passées. Beaucoup ont des bébés avec elles. Le soleil est déjà écrasant, la journée s’annonce chaude. Les bénéficiaires qui ont été appelés sont alignés en longues files d’attente, les autres attendent assis calmement. A notre arrivée cependant, tout le monde se lève et les Mamans se mettent à chanter. Je suis décidément hyper-sensible aujourd’hui, j’essuie discrètement mes yeux humides. J’aurais dû prendre des mouchoirs.

On doit d’abord passer voir les autorités du village pour les civilités d’usage. C’est toujours très long. Cette fois-ci, c’est interminable. J’ai du mal à cacher mon impatience, et aussi poliment que possible, je finis par couper court à la longue liste de doléances. Les besoins sont énormes dans tous les secteurs, et les actions humanitaires ne sont que des petits pansements Bob l’éponge sur une plaie béante. Rien de nouveau sous le soleil.

On nous fait faire le tour du site. La remise du cash a lieu dans un bâtiment délabré meublé de quelques bancs, où chacun est occupé à compter l’argent qui lui a été remis. Sur la demi-douzaine de tables, des mètres cubes de francs congolais sont posés, prêts à être distribués. Quatre policiers assurent la sécurité du site. Pour un ménage de huit personnes, c’est environ quatre-vingt dollars qui sont donnés. On sent à quel point cela représente une aide précieuse. Certaines Mamans recomptent plusieurs fois les quatre-vingt mille francs congolais qu’elles ont reçu. La somme est telle qu’il leur est difficile de compter tout cet argent. J’en aide certaines. La reconnaissance à l’état brut se lit sur leur visage qui porte leur histoire. Je m’en nourris avidement. Malgré toutes les frustrations, les difficultés et l’insécurité, leurs regards me confortent dans l’idée que cette aide a du sens et permet de soulager au moins ponctuellement une misère immense.

A onze heures, je commence à trouver le temps long. Je ne voudrais surtout pas que la météo se dégrade et qu’on nous annonce que le vol est reporté à demain. Le chef du PAM n’a pas non plus envie de passer la nuit à Kanyabayonga. Il propose d’avancer le départ d’une heure. Tout le monde est d’accord, alors nous partons du site à midi.

Il est quinze heures quand je quitte Gisenyi. Ereintée, je dors pendant les trois heures de trajet jusqu’à l’aéroport de Kigali.

Je passe les formalités de sécurité, d’enregistrement et de contrôle de l’immigration. J’ai le temps de manger une pizza et de vérifier mes e-mails avant l’embarquement.

Une fois dans l’avion, je mets un cache-yeux sur lequel est écrit « Do not disturb », je pose mon casque sur mes oreilles et m’installe pour 7 heures de sommeil ininterrompu, histoire d’être opérationnelle à l’arrivée. Je ne sens même pas le décollage et me réveille à Amsterdam.

Changement d’avion, et me voilà enfin à Paris.

Il est dix heures du matin, j’appelle Chris.

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