44. Chris
A peine dix minutes après notre arrivée, j’aperçois les parents d’Alice à travers la vitre. Nous devons quitter la chambre pour leur dire bonjour, Alice ne peut recevoir que deux visiteurs à la fois pour limiter les risques sanitaires. Sa mère nous embrasse et parle des bouchons qui les ont retardés. Son père embrasse Ariane et me serre la main sans un mot.
Personne ne dit rien mais c’est implicite, il faut laisser la place. Les parents d’Alice pénètrent dans sa chambre et je reste avec Ariane dans la salle d’attente. Heureusement, ils ressortent un quart d’heure plus tard. Il me reste une heure avec elle. Une heure avant d’être de nouveau livré à moi-même, jusqu’à 19h. Ariane a dû lire dans mes pensées :
— Vas-y, me dit-elle. Prend tout le temps que tu veux. On repassera la voir ce soir.
Ariane et ses parents s’en vont. L’infirmière me laisse seul avec Alice.
Je m’assois sur une chaise près d’elle, à la hauteur de sa poitrine. Ses bras à moitié nus reposent sur la couverture. J’effleure son bras droit du bout des doigts. J’ose à peine la toucher par peur de lui faire mal. Je caresse doucement son avant-bras. Les hématomes qui l’abîment n’altèrent en rien la douceur de sa peau.
Commence alors un long monologue dont je ne vois pas la fin. C’est confus, désordonné, désespéré. Ça commence par une prière, une incantation que je répète en boucle parce que c’est tout ce qui me vient :
— Mon amour, je ne sais pas si tu m’entends. J’espère que tu vas bien. Où que tu sois, j’espère que tu ne souffres pas. Je t’aime. Je suis avec toi. Je ne te quitte pas. Ne me quitte pas. Reste avec moi. Reste avec moi mon amour. Reviens ma chérie, je suis là. Je suis près de toi. Reviens-moi je t’en prie. Je suis seul sans toi. Ne me laisse pas… Alice, réveille-toi.
Je ne sais pas combien de temps je reste là à répéter ça, en boucle et dans le désordre, sans discontinuer. Tout en parlant je guette le moindre signe, le moindre soubresaut de son corps… mais rien ne bouge.
Les préconisations de l’infirmière me reviennent alors. Parler de choses positives. Parler du réel. Même s’il n’y a rien de positif dans mon réel à l’heure actuelle, j’essaie quand même :
— Ta sœur et tes parents sont venus te voir tout à l’heure. Ils sont là aussi pour toi. Tout le monde a hâte que tu te réveilles. Je crois que les gens ici prennent bien soin de toi, ils vont tout faire pour que tu reviennes. En attendant, je viendrai te voir tous les jours. Ce soir je t’apporterai de la musique, on l’écoutera ensemble si tu veux.
Je me sens ridicule, qu’est-ce que j’attends ? Plus rien ne me vient. Les minutes passent, ponctuées par le bruit lancinant des machines. Mon regard tombe sur l’écran du scope et je passe de longues minutes à observer les oscillations du rythme de son cœur.
14h30, c’est l’heure. Je me lève et me penche sur Alice pour l’embrasser sur le front, sur la fine bande de peau où il n’y a pas de bandage.
— Tutut ! Tutut ! Tutut !
Une alarme s’énerve soudainement. Mon dieu, qu’est-ce qu’il se passe ?
Alors que je me jette sur la porte pour appeler à l’aide, l’infirmière de tout à l’heure déboule dans la pièce. Elle se précipite sur le scope. L’alarme s’arrête. Un moment qui me semble une éternité plus tard, l’infirmière se tourne vers moi :
— Sa pression artérielle a augmenté subitement mais elle est revenue à la normale. Il s’est passé quelque chose de spécial avant que ça sonne ?
— Non. Je… je l’ai juste embrassée sur le front.
— Ça peut arriver ne vous inquiétez pas, c’est peut-être bon signe. Tout va bien.
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