79. Alice

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De retour en France, c’est la délivrance. Mon âme libère d’intenses rayons d’une lumière fluide et légère, c’est la lumière de l’espérance qui guide mes pas.

Les premiers moments de joie sont pourtant vite oubliés quand la rentrée arrive. Je voudrais vivre avec Chris mais ce n’est pas gagné. J’étudie à Nantes et lui à Poitiers.

Après avoir échoué au concours de Sciences Po Poitiers, je me retrouve dans la même prépa qu’Ariane et Adrien pour intégrer une école de commerce parce qu’on m’a dit que c’était bien de faire ça. Plus ça va, moins j’y crois.

Je ne me reconnais pas dans les ambitions de mes camarades et je me dis souvent que je me suis trompée de voie. Mais c’est bien connu, la littérature ça ne nourrit pas. Alors je ne m’écoute pas, et maintenant que je suis là, j’imagine que je n’ai plus le choix. J’ai le sentiment de passer mon temps à répondre aux injonctions d’un système qui ne me convient pas.

Je suis fatiguée. Le rythme est soutenu toute la journée et je travaille dur le soir pour libérer mes weekends. Ma vie se passe entre quatre murs, le nez dans mes bouquins et le dos courbé sur une chaise, je me gave de savoir pour refouler mon désespoir.

Je me console en me disant que j’apprends des choses. Ma chance, c’est que j’aime apprendre à peu près n’importe quoi. Les cours sont d’une densité rare et les profs font preuve d’une exigence telle que le choc est sacrément rude après le lycée. Impitoyables, les premières notes tombent comme des couperets. Je commence à douter sérieusement de mes capacités. Manquerait plus que je me plante…

Je lève la tête pour regarder à travers la fenêtre, j’observe les arbres s’ébrouer dans le vent qui balaie la cour du lycée. Je m’arrête et réfléchis, happée par le sentiment de passer à côté de ma vie. Pourtant je ne bouge pas, paralysée par la peur de changer de voie.

La désapprobation de mes parents m’inquiète. Ils m’ont éduquée pour que je fasse de grandes études suivies d’une carrière brillante et lucrative. Ils m’en voudraient de gâcher ce qu’ils appellent mon potentiel. Je doute de leur soutien si j’osais briser leurs rêves et je n’ai pas assez confiance en moi pour risquer de suivre les miens. J’ai trop peur de l’échec. Peur de me tromper, d’être rejetée, de finir seule et misérable… La peur pollue mon esprit et prend le contrôle de ma vie.

Mais heureusement pour moi, comme toujours, je rencontre de bonnes âmes qui adoucissent le goût du quotidien. Je fais rapidement la connaissance de Louise, une jeune fille aux yeux d’un bleu majestueux qui cache sous sa réserve apparente des trésors de drôlerie, beaucoup d’intelligence et une grande générosité. On se retrouve au réfectoire pour le petit déjeuner et on ne se quitte plus de la journée. En maths, je passe l’essentiel du cours à recopier ses notes parce que je suis larguée. Non contente de m’expliquer patiemment les formules qui m’échappent, elle réussit de surcroit à me faire marrer. Le soir, on se retrouve dans sa chambre pour réviser les cours de géopolitique, de langues ou de philosophie en buvant de la tisane menthe-réglisse. Sa mémoire m’impressionne, elle enregistre sans effort les déclinaisons allemandes, les dates historiques et les noms d’auteurs. Dans le même temps, je me bats pour pallier mes défaillances mnésiques par d’épuisants subterfuges mémo-techniques.

Il y a aussi des profs que j’apprécie sincèrement. Le prof de philo est un gentil monsieur qui n’a l’air de rien vu de loin mais je pourrais l’écouter des heures décrypter le réel, enchainer des raisonnements d’une logique imparable et rendre concrets les concepts les plus abstraits sur la Vie, la Beauté ou la Liberté… Le prof d’anglais est un bon vivant qui carbure aux clopes et au café. Il distille ses conseils avisés à qui veut bien l’écouter :

— Dites ce que vous pensez, vous, et pas ce que vous pensez que les autres veulent entendre.

Ou bien :

— Le meilleur remède contre le mal de crâne, c’est encore une petite Pils.

Et bien sûr la prof d’allemand, c’est la plus jeune de la bande. C’est peut-être pour ça qu’elle s’intéresse encore autant à ses élèves, ou simplement parce que les cours d’allemand première langue offrent ce privilège, et c’est bien le seul, de faire cours à un groupe de cinq personnes qu’on apprend à connaître avec le temps. Louise fait évidemment partie du club des cinq… c’est toujours le même schéma d’amitié qui se répète : Caro, Clément, Louise. Toujours en binôme, toujours en allemand. Certes, je n’arrive toujours pas à faire une phrase correcte, mais ces douze ans d’allemand auront au moins participé à sauver ma vie sociale.

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