85. Alice

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Le premier jour confirme mes craintes. Toute la promo est réunie dans le grand amphithéâtre pour s’entendre dire qu’elle fait désormais partie de l’élite de la nation. Je me demande si tous ceux qui applaudissent y croient vraiment.

Les mois suivants accroissent ma solitude. Je répugne à m’intégrer dans cet environnement qui me pousse à rester dans le rang. La vie d’école est simple pourtant. Le jour, on prépare l’avenir en apprenant à maximiser le profit et à exercer le pouvoir qu’on ne manquera pas d’avoir. Le soir, on oublie le passé en évacuant les frustrations de la prépa dans des soirées sponsorisées par des multinationales, l’alcool coule à flots et le coït n’est jamais loin pour peu qu’on s’y prenne bien. Les soirées sont filmées par les étudiants pour que tout le monde puisse assister à la débauche des scouts d’un jour et leaders de demain sur écran géant. Je regarde ça de loin. Ça me rappelle les beuveries du lycée et je sais bien que ce n’est pas de ça dont j’ai besoin.

Je vis en coloc avec quatre personnes. Chris n’est plus là. Il a abandonné ses études et a trouvé un poste de surveillant dans un lycée en Creuse pour gagner un peu d’argent en attendant de trouver sa voie. La semaine, la lumière qui entoure mon enveloppe corporelle s’atténue tant qu’elle en devient transparente. Mon âme est ailleurs. La lumière s’intensifie quand je revois Chris le weekend, puis vient l’heure des adieux. Les aller-retours sont longs et coûteux et on doit parfois attendre deux semaines avant de se revoir. Au bout d’un an et demi, Chris n’y tient plus, il quitte son travail et me rejoint à Cergy.

On trouve une coloc avec un ami qui fait du théâtre avec moi. En cherchant bien, j’ai finalement déniché des gens que j’apprécie dans ce milieu ambitieux. En faisant abstraction des cours d’optimisation fiscale et des chansons paillardes qui réjouissent mes camarades, je finis même par tirer quelques motifs de satisfaction de mes coûteuses années d’études.

Le théâtre m’aide à m’exprimer, à dévoiler des nuances cachées de ma personnalité, je m’autorise à exploiter la richesse de mon monde intérieur en me laissant aller dans la peau d’un personnage. Je cherche au fond de moi pour explorer les facettes inexploitées de mon identité… Je prends aussi conscience de l’importance du placement de mon corps, du ton et de la portée de ma voix. Je prends plaisir à jouer, à ressentir le frisson de l’abandon quand je rentre sur scène. J’aime par-dessus tout faire rire par un mot ou un geste bien placé. Je me donne entièrement, j’oublie la peur et le poids des jugements, je ne pense qu’au plaisir de vivre le moment présent pour livrer la vérité de mon personnage avec sincérité. J’apprécie aussi la proximité, la confiance et la bienveillance qui s’installe peu à peu avec mes partenaires de jeu… Mon corps bouge, saute et respire à pleins poumons, mon ventre parle, ma gorge crie et repousse la mélancolie qui asphyxie ma vie.

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