92. Alice
Je débarque à l’aéroport de Kigali. Un homme m’attend à la sortie. Je reconnais le logo de l’ONG sur la feuille froissée entre ses mains. Je me dirige vers lui et lui demande son nom pour vérifier que c’est le bon. Il insiste pour pousser le chariot qui porte mes bagages et me guide sur le parking jusqu’à la voiture. La nuit est chaude et j’aperçois un petit bout d’Afrique dans la lueur trouble des lampadaires. Des femmes en pagne discutent à quelques mètres de moi. Ça sent la terre, la sueur et les brochettes. Je suis à la fois excitée et angoissée par ce saut dans l’inconnu.
Après quinze heures d’avion, le voyage se poursuit avec trois heures de voiture dans la nuit rwandaise jusqu’à Gisenyi, la petite ville où vit ma soeur à deux pas du Congo. Le chauffeur roule vite, on croise plusieurs camions remplis de militaires avant de se faire arrêter à un contrôle routier. Des scénarios de films traversent mon esprit, mes sens sont aux aguets et je me tiens prête à parer toute éventualité. Le chauffeur discute en kinyarwanda avec le militaire puis repart sans sourciller tandis que je reprends mon souffle. Il me rassure en me disant qu’ils voulaient juste savoir où on allait… Il a l’air de trouver ça normal.
De longues minutes plus tard, le chauffeur quitte la route sinueuse et bitumée et s’engage sur un chemin terreux parsemé de pierres. Tandis que l’ombre des arbres se densifie autour de nous, la voiture bondit à chaque ornière. Je scrute le profil du chauffeur qui ne bronche pas. J’aperçois soudain une lumière qui bouge dans la nuit, à quelques centaines de mètres de nous. La lumière se rapproche, on se dirige droit vers elle. Sans moyen de communication, je réalise que je suis à la merci de cet homme qui me conduit dans l’inconnu. La lumière n’est plus qu’à quelques mètres maintenant, on dirait une lampe-torche. Oui, c’est ça, il y a quelqu’un qui l’agite dans notre direction. La nuit est trop noire, je ne distingue qu’une silhouette, je crois que c’est un homme. Je refoule mon angoisse pour garder l’esprit clair. La main crispée sur la poignée de la portière, je cherche du regard une percée dans la végétation pour pouvoir m’enfuir. La voiture ralentit. Je n’ai pas le temps de prier, mais l’intention y est. La lumière dirigée vers moi m’aveugle brutalement, quand une voix s’exclame :
— Salut Alice !
Après une demi-seconde de confusion, mon cerveau reconnaît la voix de mon beau-frère et l’angoisse s’évanouit. Enfin, je suis arrivée.
— Ah ! Salut !
— Le voyage s’est bien passé ?
— Oui, nickel !
Je réponds d’une voix assurée, passant sous silence mes craintes qui me paraissent maintenant bien ridicules.
On décharge mes bagages jusqu’à un grand portail en fer entouré de hauts murs. En venant nous ouvrir, le portier me salue avec un large sourire que je lui rends volontiers. Son regard bienveillant achève de me détendre complètement. Dans la cour bien éclairée, deux gros 4x4 stationnent devant une maison qui m’a l’air spacieuse et confortable. J’aperçois des palmiers dans le jardin bien entretenu qui l’entoure. Ma soeur sort de la maison pour m’accueillir, vite dépassée par mes neveux qui courent à ma rencontre. Ils respirent le bonheur et je suis heureuse de les voir, si enthousiastes et débordants d’énergie. Comme d’habitude, je fais la bise à ma soeur comme si on s’était quittées la veille, mais je sais qu’elle est aussi contente que moi qu’on se retrouve là, dans sa maison au Rwanda. Je prends alors conscience de la chance que j’ai de pouvoir découvrir un monde si différent, tout en étant entourée de visages familiers. Je suis soulagée, je sens que j’ai bien fait de venir.
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