Chapitre 21 : Suspicions écrit par Laura Anco
Chapitre 21 : Suspicions écrit par Laura Anco
Attendants tous deux à proximité de la crêperie Rosa située à l’entrée du jardin des Tuileries, José et Florian Leblanc guettent avec impatience l’arrivée d’Alix. À 10h35, ils aperçoivent des gyrophares de police clignoter au loin provenants de la rue de Rivoli. Les voitures passent devant eux, place de la Concorde, sirènes enclenchées, puis traversent le pont, circulent vers l’Assemblée nationale, pour se diriger au final sur le Boulevard Saint-Germain. Ils suivent des yeux le défilé des trois voitures de police rouler à vive allure, d’un air détaché, comme si tout ce remue-ménage était quotidien à Paris.
Florian soupire puis regarde sa montre argentée étincelant sous les rayons discrets du soleil.
- Bon sang, il est déjà 11h, qu’est-ce qu’elle fout bordel ?!
- Hey, reste poli tu veux ? Y a p’têt des embouteillages ou une panne dans le métro.
- Elle ne prend pas les transports en commun, Alix ! Réfléchis un peu !
- Désolé.
Florian tente de la rappeler. En vain, il tombe à chaque fois sur son répondeur. Il lui laisse des messages au cas où elle daignerait écouter. Le ciel commence à se voiler, devenant de plus en plus menaçant.
- Je te propose de l’attendre dans le resto, je ne tiens pas à me prendre la saucée.
- On s’était mis d’accord pour s’attendre tous ici. Si elle ne nous retrouve pas, elle va paniquer.
- Elle n’a qu’à appeler ! s’agace Florian.
- Si ça se trouve elle a oublié et nous attend au point de rendez-vous de la dernière fois ?
Florian se contente de plisser les yeux. Les feuilles d’automne virevoltent, quelques gouttes de pluie commencent à tomber.
Sans plus attendre, il entre dans la crêperie, suivi de José. Il commande deux cafés et deux crêpes au sucre, sans lui demander son avis. Trente minutes plus tard, le téléphone de Florian sonne.
- Ah enfin !
Florian fixe son téléphone en retroussant le nez et levant un sourcil, suspicieux. Il laisse sa sonnerie what was i made for? de Billie Eilish raisonner. José le fixe avec des yeux ronds.
- Bah tu décroches pas ? Alix s’est perdue ?
- Ce n’était pas Alix, mais Holan.
- Quoi ? Sérieux ? Il n’était pas en taule ?! s’étonne José.
- Il était juste en détention provisoire. Il a fait appel. Le juge d’instruction a accepté sa demande de remise en liberté, car les conditions évoquées par les articles 144 et 144-1 du code de procédure pénale n’étaient plus réunies.
- Aussi vite ?
- C’est un député.
- Saleté d’Holan !
Son téléphone se remet à sonner. Florian souffle bruyamment. Il décroche à la troisième sonnerie.
- Oui ? Qu’est-ce que tu veux ?
À l’autre bout du fil, il entend le souffle rauque et saccadé d’Holan. Il semble complètement paniqué. Ce qui n’est clairement pas dans ses habitudes.
- Allô ? Allô ? Oh, reprends ton souffle, calme-toi. Qu’est-ce qui t’arrive ?
À cet instant, l’orage gronde.
- La police…
- Quoi les flics ? s’impatiente Florian.
- La police vient de m’appeler.
- Pardon ? T’as fait quoi encore comme connerie ? éclate-t-il de rire.
- Pas moi ! Ils ont appelé pour Alix ! Elle a eu un accident !
- Hein ?! Elle est où ? À l’hôpital ?
- Non, répond Holan, agité. Ils ne savent pas où elle se trouve. Ils ont juste retrouvé son attaché case et son sac à main dans un taxi. La banquette arrière était couverte de sang.
- T’es sûr ?
- C’est ce qu’ils m’ont dit ! Le taxi s’est encastré dans une boutique de chaussures sur le boulevard Saint-Michel.
Alors c’est pour ça les voitures de tout à l’heure. Ils accouraient pour Alix. Ayant entendu la conversation, José se met à trembler d’inquiétude. Florian se lève pour lui rapporter un verre d’eau. D’une main tremblante, il récupère le gobelet pour boire une gorgée. Il déglutit difficilement. Toujours en communication avec Holan, il écoute la suite. Il lui explique que le chauffeur de taxi aurait perdu le contrôle de sa Tesla. Il a foncé dans la vitrine d’un magasin situé à l’angle de rue entre le boulevard Saint-Michel et le boulevard Saint-Germain-des-Prés. Sonné, il aurait mis quelques minutes pour reprendre ses esprits. En se retournant pour s’assurer que sa cliente aille bien, il a constaté qu’elle n’était plus là, laissant ses affaires sur la banquette imbibée de sang rouge sombre. Les deux portières arrière étaient ouvertes. Sous le choc, il s’est mit à vomir. Il bégaye tellement que la police n’arrive pas à en savoir plus. Il n’a rien vu.
- Quelqu’un sait ce que faisait Alix ? demande José.
- Cette nuit encore on était entrain de…, marmonne Florian.
- Quoi ? Tu peux répéter ? demande Holan.
- Je ne sais pas !
Florian s’énerve, s’emporte.
- Je suis sûr que c’est de ta faute ! hurle-t-il en pointant du doigt José.
- Ça ne peut être que lui, c’est évident, renchérit Holan, méprisant.
José est décontenancé.
- Qu… Moi ?
- Oui, toi ! On ne sait rien de toi ! À part que tu es SDF ! Si ça se trouve, tu es un espion russe infiltré ? Hein ?
- Mais tu racontes n’importe quoi !
- T’es trop de gauche pour être vrai. Es-tu vraiment dans un parti d’ailleurs ? Les communistes ? La France étrangère ? Le peuple pensant ? Réponds !! Qu’es-tu venu foutre ici ?! Un SDF qui, d’un coup, veut entrer dans l’Assemblée nationale, ça ne s’est jamais vu ! Dis-nous la vérité, pourquoi tu tiens tant à devenir député ?
- Pas spécialement ça, je cherchais juste un boulot pour…
Florian Leblanc attrape la chemise de José et la serre fermement. Il empeste la cigarette et l’alcool. José incline la tête sur le côté pour éviter de sentir son haleine fétide.
- Arrête de te payer notre tête ! Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu caches ?!! hurle-t-il.
- Laisse tomber cet abruti, lance Holan à travers son téléphone.
Florian, exaspéré, pousse violemment José sur le sol froid du lieu. Il se contente de tourner en rond en se plaquant les mains derrière la tête, à la fois furieux et anxieux pour Alix. Les clients ne disent mot, restent discrets pour éviter tout débordement. Le gérant du restaurant les somme de sortir. José se relève doucement, défroisse son costume, puis réajuste sa chemise et sa cravate. Il jure qu’il n’y est pour rien. Mais Florian ne l’écoute pas. Il ne comprend pas son changement soudain d’attitude. Encore un lunatique acariâtre ?
- Je découvrirai qui tu es. Crois-moi, je ne te laisserai pas t’en tirer comme ça, grogne Florian entre ses dents.
Furibond, il part d’un pas ferme vers la place de la Concorde, laissant José en plan.
Quant à José, il soupire, puis appelle la police. Il demande à voir les affaires d’Alix pour s’assurer que ce soit bien les siennes. Il quitte en hâte le restaurant pour se rendre au commissariat du quartier Saint-Michel.
Florian Leblanc l’observe partir, tout en continuant de discuter avec Holan au téléphone.
- C’est lui qui l’a tué, j’en suis sûr.
- Personne n’a dit qu’elle était morte !
- Mais tu m’as dit qu’il y avait du sang partout ! s’exaspère Florian.
- C’est peut-être un coup monté pour nous faire cracher le morceau.
- Qui en voudrait à ce point à Alix ?
- Tout le monde. Elle est sûrement retenue en otage quelque part. José veut la faire tomber, Alix souhaite me détruire, et toi, tu cherches la vérité sur la Bnupx. Tu joues sur tous les tableaux. Alix ne sait pas que je suis au courant de vos manigances et que nous collaborons ensemble. Si ?
- Non, elle ne se doute de rien. Ni José d’ailleurs. Je ne vois pas qui peut être responsable de cet acte. À part José, ce soi-disant SDF, ce moins que rien.
- Tu as raison sur ce point. Une pourriture depuis le début, il nous ment c’est certain !
- Je contacte la police. Je ne peux pas rester les bras croisés sans rien faire. Je dois savoir où est Alix et qui lui veut du mal.
- Par contre, ne fais rien qui puisse nuire à notre réputation, compris ? Les médias vont s’en mêler et ça va nous causer des problèmes au sein de l’Assemblée. Des affaires politiques, y en a déjà bien assez comme ça. Notre crédibilité est mise à mal. Les Français ne nous font plus confiance.
- Il ne dévoilera pas ce que contient cette clé USB, rassure Florian.
Holan hoche la tête, sceptique, mais décide de lui faire confiance.
En se dirigeant vers la station de métro ligne 1, José tourne et retourne la clé USB dans sa poche. Même s’il veut coincer Alix, il s’attriste de la situation. Il ne souhaitait pas une chose pareille. José rumine. Doit-il en parler à Yorgen ? Il se tâte, par peur que les accusations de sa disparition pèsent sur lui. Leblanc et Holan ne vont pas se gêner. José commence à paniquer. La police va-t-elle le soupçonner coupable ? Mais coupable de quoi ? José se prend la tête entre ses deux mains. Assis sur le strapontin, il observe les stations de métro défiler. Arrêt Châtelet pour récupérer la ligne 4. Il doit descendre ici. Son cœur se met à tambouriner dans sa poitrine, sa respiration s’accélère. Ne fait-il pas une erreur en se rendant au commissariat ? Il ne sait même pas ce qu’il doit dire. Il n’a rien préparé. Les idées s’embrouillent. Il doit savoir si Alix possédait le document dont Yorgen lui a parlé. Leblanc ne sait pas qu’il est au courant de cet écrit. Qui s’en est pris à elle ? La sonnerie annonçant le départ imminent du métro retentit, les portes se ferment. Trop tard. José réfléchit. Reprenant ses esprits, il se retrouve à la station Gare de Lyon, descend, puis décide d’arpenter les couloirs aux murs recouverts de petits carreaux blancs, jusqu’au quai du métro ligne 14. Il croise des militaires. José devient nerveux. Leurs regards se croisent furtivement. Il accélère le pas.
- Mais pourquoi je me mets à paniquer moi ? marmonne José.
En attendant sur le quai, il sort un mouchoir en tissu de sa poche pour s’éponger le front. Il souffle nerveusement. Il regarde l’affichage : Temps d’attente : 2 min 35. Bien trop long. Un SDF l’interpelle. Il sursaute.
- Z’auriez pas une p’tite pièce M’sieur ?
José le fixe tristement, puis durement. Il se reflète en lui. Hors de question de redevenir comme ça. Non, il doit à tout prix éviter de se retrouver à nouveau dans cette situation. José fronce les sourcils, sert les poings, puis monte dans le métro arrivé à quai, laissant le SDF mendier. Il agrippe la barre, sort la clé de sa poche et la fixe. Doit-il aller jusqu’au bout de sa démarche pour faire tomber tous ces députés corrompus ou doit-il arrêter pour se protéger des soupçons qui pèseront sur lui ? Les questions et les idées néfastes se bousculent dans sa tête. Sa vision se brouille. L’accident de taxi d’Alix change la donne. José ferme les yeux et jure à voix haute, sous le regard incrédule des passagers. Soudain son téléphone sonne. Il regarde l’écran, c’est Yorgen. Il glisse son doigt sur l’écran pour répondre.
- Oui ?
- Rendez-vous au jardin du Luxembourg, devant la Fontaine Médicis.
- Pourquoi ?
Yorgen raccroche précipitamment. Ils ont été coupés ? José regarde l’écran, il capte la 4G pourtant. Étrange appel. Il ne savait pas que Yorgen était ici, à Paris. Piqué par la curiosité, il décide de se rendre à l’endroit mentionné. Changement de destination, il arpente les couloirs le menant au RER B. Il descend à la station « Luxembourg ».
Il marche d’un pas anxieux vers le jardin, ne prêtant pas attention aux tableaux de l’UNICEF accrochés aux grilles. Les bruits des enfants, jouant au bord du bassin octogonal avec des bateaux téléguidés, couvrent les bruits des voitures et des Klaxons. L’air est doux et frais. Les arbres, teintés de couleurs orangées et jaunes, laissent leurs feuilles valser au bras du vent qui les emporte. Il se dirige vers la fontaine. Il passe devant le palais du Luxembourg, autrement dit, le Sénat. Il jette un œil mauvais. Le Président est-il là en ce moment même en pleine réunion avec ses ministres et les sénateurs pour discuter du conflit israélo-palestinien, de la guerre en Ukraine ou de la junte malienne ? Ou bien d’une nouvelle loi en faveur des écologistes ? Il l’imagine trôner derrière un bureau en chêne massif vernis, encombré de statuettes en or. Faire tomber le gouvernement, il s’est juré d’y arriver. José soupire, met les mains dans les poches et accélère le pas vers Yorgen. La fontaine Médicis se situe dans un endroit paisible et ombragé pour se reposer de l’activité urbaine. Il le trouve assis, fumant nonchalamment un joint. Il admire un instant le groupe statuaire Polyphème surprenant Galatée dans les bras d'Acis. Yorgen se lève en le voyant. Sans même prendre le temps de dire « bonjour », il lui sort une phrase simple et directe : « ils t’ont baisé ». José grince des dents devinant qu’il mentionne évidemment cette prétentieuse Alix et ce douteux Florian.
- Nous devons être plus prudents si nous voulons arriver à les coincer. Alix se croit plus intelligente que nous, mais elle se trompe lourdement.
- C’est toi le responsable de l’accident d’Alix ?
- Peut-être que oui, peut-être que non. Ça peut être n’importe qui. Le lèche-cul exécrable, pervers et sinistre Holan, la combattive présidente du Regroupement National Noémie Le Guen, ou bien cet infidèle chef de terrain de la DGSI, Florian Leblanc qui se tape Alix ? Ou la tête pensante du Bnupx ? Ou encore Laurie, la discrète conductrice ? Qui sait ? Mais ce n’est pas le sujet qui nous préoccupe pour l’instant. Occupe-toi de récupérer les documents en possession de Leblanc. Et moi, je me charge du reste.
Yorgen tire une bouffée sur son joint. Dans une volute de fumée, il s’approche du visage de José.
- Rappelle-toi qu’Alix, cette pimbêche de députée d'extrême droite voulait t’utiliser, toi le SDF, pour se donner bonne conscience. Ils ne vont pas tarder à fouiner dans ta vie passée. C’est le moment de faire appel aux services de Witold.
José acquiesce de la tête. Il est temps de passer aux choses sérieuses.
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