Au bout de 15 jours, j’ai enfin réussi à le faire sourire. Un léger plissement de la bouche qu’il dissimulera immédiatement. Cette petite expression me remplit de joie. Tout n’est pas perdu. Quand j’essaye de comprendre ce qui l’a fait rire, ce n’est qu’une allusion anodine à mon manque de confiance en moi. Un truc débile qui est sorti de ma bouche alors qu’il aurait dû rester dans ma tête. Un truc aussi con que non, mais quelle gourde ou ma pauvre fille, tu es vraiment trop conne. Mon autodérision le touchait, mais pourquoi ? Me trouvait-il conne et n’osait pas le dire. Ou bien le contraire, s’il m’estimait et trouvait mignon que je m’insulte toute seule. À ce moment-là, me sont revenues les paroles du type au bar. Ils ont besoin d’amour. De l’amour, j’en donne quand je suis en mode naturel. Et depuis l’incident, je ne le suis plus réellement. Cette constatation tourbillonne dans mes pensées et balaye les résolutions que je m’étais imposées.

Les jours suivants, je me remise à être honnête avec mon groupe. J’aborde la matière en l’illustrant de petites scènes de vies dont je ne suis pas fière, mais que je tourne à la dérision pour les rendre intéressantes. Comme le faisaient les gens du café. C’est marrant et en plus ça détend l’atmosphère. Mon petit protégé a l’air de se réouvrir. À chaque petite avancée, je le remercie de mon plus beau sourire. Ce qui démarre un jeu de miroir aux reflets infinis. Tout se déroule de la même manière que les bâillements se propagent d’une personne à l’autre. La technique commence à montrer son efficacité. L’ambiance générale est de nouveau comme avant l’incident. Je suis le programme officiel, lentement, mais pour une fois, je m’y tiens. J’ai même commencé à tenir les grilles d’évaluations demandées par la direction. S’ils m’appellent, cette fois, j'aurai de quoi faire face. La matière devient de plus en plus difficile et il faut avouer que les élèves se perdent de plus en plus au fil des leçons. Ils ne chahutent pas, la plupart s’égarent dans leurs pensées, décortiquent les nuages, griffonnent sur leurs feuilles… Mon petit protégé, lui, quand il ne suit plus le cours, me dévisage. J’ai eu cette bête idée d’essayer de capter son attention en jouant de ma plastique. Je ne suis pas une fille que l’on pourrait qualifier de bonasse. Loin de là. Si je devais me décrire, je dirais que je ressemble à Jane Birkin en plus sévère. En déboutonnant un peu plus que d’habitude ma chemise, je lui offre une vue plus dégagée de mon décolleté et laisse entrevoir mon soutien-gorge. Va-t-il le remarquer ? Comment va-t-il réagir ? Serait-il possible de les manipuler en jouant le jeu de la récompense en leur offrant mon corps comme support de fantasme ? C’est bien ce qu’a dit le mec qui m’a fait gicler, ce qu’ils veulent c’est de l’intérêt, de l’amour. Houlala, mais d’où me viennent ses idées ? Je dois être fatiguée ou juste en manque de câlins… Ce soir, je vais essayer de me trouver un plan cul sur Tinder, j’ai trop envie qu’on s’occupe de moi. D’un coup, je vois son visage s’éclaircir. Son regard était redevenu pétillant. L’air de rien, je reprends le dernier exercice depuis le début et, à ma grande surprise, il s'applique et remplit les cases vides sur sa feuille. Quand il a terminé, il m’appelle fièrement pour que je vienne contrôler ses réponses. Je décide de continuer le jeu. Je prends une chaise et m’installe face à lui. Je lui mets sous le nez ma poitrine en plan rapproché. Je retourne sa feuille et m’incline légèrement pour me rapprocher du devoir en le laissant posé sur le bureau.

Je lui pointe ses erreurs et lui demande de m’expliquer son raisonnement. Les mouvements va-et-vient de sa tête entre le document et mes yeux forçent le passage de son regard sur ma poitrine.

Malgré le spectacle, il joue le jeu et trouve les solutions correctes du problème. Moi aussi ! J’étais toute excitée d’avoir enfin trouvé une méthode attractive qui, en plus, à l’air prometteuse. Le cours terminé, je fais quelques recherches sur le Net à propos du rôle de la récompense dans le processus de l’éducation tout en envoyant quelques likes sur Tinder. Les réponses arrivent pour les deux thématiques. Tu t’ouvres, tu donnes des cadeaux et tu obtiens ce que tu veux. Génial non ? Trop simple en fait.