Quoi encore !

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Centre de rééducation, foutaise ! Ça va faire trois ans que j’y travaille. Ce n’est pas parce que tu changes le nom d’un établissement que cela entraîne un changement réel. C’est toujours une maison de redressement, un centre pénitentiaire, une prison pour les ados.

Je me suis laissé berner quand j’ai vu l’offre d’emploi. Je suis prof de langues, spécialisée dans les méthodes d’apprentissages alternatives et différenciées. Alors que j’étais en train d'éplucher le site Internet de cette boîte, l’élément essentiel qui m’a donné envie de m’investir dans le projet était cette belle page où ils parlaient de la pédagogie active qu’ils utilisent pour aider les ados à se réinsérer. En parcourant leur site internet, la pédagogie active utilisée et expliquée pour favoriser la réinsertion des ados m’a de suite donné l’envie de m’y investir.

Les mots étaient beaux, tout me parlait et me faisait vibrer. J’y ai même appris des trucs que je ne savais pas nommer, l’andragogie. J’étais tellement exaltée que j’ai tout fait pour y entrer.

À cette époque, j’étais employée chez un gars qui rêvait de faire fortune en développant de nouveaux services dans le monde informatique. C’était bien avant le covid. Il développait une plate-forme d’apprentissages en ligne. Un truc génial qui aurait pu fonctionner. Il était visionnaire, son projet était excellent. Mais une faillite deux ans auparavant a anéanti ses ambitions. Il avait envisagé l’enseignement en distanciel avant même que le monde soit face à cette problématique. Quand j’y repense, j’ai mal au ventre pour ce gars.
Cette offre d’emploi tombait bien. Cela faisait 3 mois qu’il ne m’avait pas payé mon salaire. Juste de petits versements effectués, histoire de pouvoir remplir le réservoir de ma voiture et que je puisse continuer de travailler dans sa boîte. Il voulait me garder à l’œil, mais se défendait en utilisant l’argumentation du lien vital des contacts, des échanges et blablabla… toutes ces conneries. Alors que son travail était clairement orienté vers le distanciel. J’en ai marre des gens qui disent des choses et font le contraire. C’est peut-être instinctif pour eux, mais moi je ne le supporte plus.

Donc, oui, l’annonce tombait bien.

J’ai vite mis à jour mon CV et adapté ma lettre de motivation. Mon profil correspond bien à ce qu’il cherche. C’est un bon point. Le rendez-vous pour l’entretien a été planifié, je suis impatient et cela me remet de la joie au cœur. J’arrive même à passer une bonne journée au bureau à en oublier la pile de factures et les lettres d’huissier qui s’accumulent.

Arrivée sur place, le centre a l’air vraiment sympa. Ils ont compris, apparemment, que les différentes activités proposées pourraient captiver l’intérêt de leur public. Celles-ci sont très concrètes. Entretiens parc et jardin, soudure, conducteur de chariot élévateur, de cours d’initiation à la bureautique, et même des ateliers de création numérique. L'accroche est essentielle pour débuter un travail de reconstruction. Avec tous ces domaines, il y a de fortes chances pour que les jeunes concernés puissent en choisir un qui leur parle. Ça me plaît beaucoup.

On continue la visite, c’est un peu brouillon, désordonné, mais ça ne me gêne pas. C’est même plutôt rassurant, c’est signe de vie.

L’entretien écrit se déroule bien et se termine par l’inévitable « Merci beaucoup, nous vous donnerons des nouvelles par mail… »

Quelques jours plus tard, leur réponse était bien dans ma boite. Une convocation pour un entretien en fin de journée avec le chef de département et le directeur. Encore une fois, le cœur empli d’espoir, les heures de travail allaient passer vite. Mais cela n’allait pas durer. Le stress allait progressivement m’envahir. Cela devenait capital pour moi. Ce job allait me sortir de la merde dans laquelle je me trouvais. À de nombreuses reprises, j’ai dû me recentrer sur mon travail.

Il n’y avait plus personne dans le bâtiment. La journée était finie. Les usagers retournés dans leurs espaces personnels. Un étrange silence régnait. J'ai été accueillie par le chef de service, un bon gros vivant, souriant qui me guida jusqu’au bureau du directeur. Ce type avait une allure bizarre. Nerveux, cheveux mi long et gras, pas très grand, il avait aussi un gros ventre. Il m’a fait penser à un de ces vieux soixante-huitards qui, après avoir fait la révolution, s’est retrouvé à faire de la politique. Tout ce qu’il lui restait de mai ’68, c’était son pantalon en velours brun à grosses côtes. Il était bouffi. J’ai été surprise, sa place n’était pas dans cet environnement. Je l’imaginais plutôt à côté de sa baraque à frites en train de fumer une clope en attendant le client. J’ai chassé cette image en me disant que ce n’était vraiment pas bien de juger les gens sur leur apparence alors que je suis la première à faire la remarque aux autres.

Vient le temps de la vente, de se mettre en avant. Je suis mignonne, et j’en ai quelques peu joué. Mon CV plaît, je n’ai pas eu trop de mal à justifier mon parcours, qui à première vue, pourrait paraître disparate aux personnes qui ne s’arrêtent qu’à la première lecture. Ça fait plaisir et ça permet de s’ouvrir encore un peu plus. Et là, quelle stupéfaction. Je suis rapidement plongée dans un cauchemar. Le directeur m’a demandé comment j’allais m’y prendre pour développer de nouvelles activités. J’ai essayé de noyer le poisson et lui en ai proposé une volée, mais apparemment ça ne lui convenait pas. Je me suis permise de lui demander de reformuler sa question, car j’avais l’impression de ne pas pouvoir la comprendre. Et d’un ton énervé, il m’a demandé comment je vais lui faire gagner du fric !

Sur le cul, j’avais beau chercher, je ne trouvais pas. En fait, je n’arrivais même pas à chercher. L’annonce ne mentionnait nullement ce critère et surtout je n’aurais jamais imaginé son importance. Et encore moins pour ce type de boulot. Perdue, je balbutiais quelques banalités avant de partir, effondrée, vers mon domicile.

Allez tant qu’on y était, j’ai pris mon courage à deux mains et me suis décidée à faire face à ma boîte aux lettres. J’ai viré les publicités présentes, malgré l’autocollant collé sur la boîte. Ensuite, j’ai regroupé les enveloppes en tas, un par expéditeur. Demain, je les ouvrirai.

J’ai cru que j’allais vomir, je n’en pouvais plus de cette vie de merde. Évidemment, quand tu as mis le pied dedans, t’espères toujours qu’elle va finir par partir après avoir gratté et frotté ta semelle sur le bord du trottoir. Puis tu marches dans les flaques et les graviers. Ça ne t’empêche pas d’avancer en espérant qu’elle va te foutre la paix. Des crottes, on dirait qu’on vient les faire juste pour toi. Comme si les chiens connaissaient ton chemin. Mais où sont donc leurs propriétaires et la fourrière? J'en ai assez de ce champ de mines dans lequel je me suis fourrée. Mais celle qui va m’arriver est encore bien belle. Je suis arrivée à la fin de mon contrat, je suis soulagée de pouvoir quitter ce job et d’aller m’inscrire au chômage. Au moins, j’aurais des revenus fixes. Cette idée m’a soulagée d’une lourdeur inimaginable. Enfin, je vais avoir du temps pour traiter mes problèmes.

Oh putain, c’est le monde à l’envers. Quand je suis arrivée à terme de mon contrat, enfin mes trois CDD, l’autre dingue sort de sa poche un contrat avec le fameux « I ». Il n’a rien trouvé de mieux que de proposer un contrat à durée indéterminée. Celui qui pourrait vous éviter pas mal de merde. Celui que la banque exige pour vous prêter de l’argent, pour acheter une maison, une voiture, et de nos jours en exagérant un peu, pour faire le plein carburant. Ce n’est pas aussi idiot que cela si je me mets à sa place. Par rapport à la réglementation, il n’a pas le choix. Après 3 CDD, le CDI est obligatoire. Là, je deviens dingue. Il me coince. Refuser un CDI m’obligerait à me justifier auprès de la caisse d’allocations de chômage. Cela pourrait être un motif de sanctions, sanctions financières bien sûr. Mais comment accepter de signer ce truc alors qu’il me doit encore des salaires ? Il ne comprend pas. Moi non plus. J’ai quitté la pièce inquiète à propos des explications qu’il allait devoir remplir dans les documents administratifs.

Je sentais le coup de pute arriver et j’ai directement été voir mon conseiller syndical et demandé son aide. Et il faut avouer le syndicat a été efficace. Ça eu l’effet de lui couper sous le pied les mauvaises herbes.

La situation allait en s’améliorant. Les problèmes se dénouaient progressivement, l’argent revenait et repartait aussitôt. Les dettes et les surcoûts des retards m’ont obligé à emprunter de l’argent à mon petit frère. Situation humiliante au possible. Je vais encore me prendre en pleine face un gros « Tu vois que tes diplômes ne t’ont servi à rien. » Il avait raison, il n’a pas fait d’étude, juste une formation de coiffeur. Et avec sa femme, ils ont joué le jeu de la franchise et ont ouvert une chaîne de salon qui cartonne. Moi, qu’est-ce que j’avais fait dans la vie, à part marcher dans des merdes, pas grand-chose de bien. J’avais des rêves oui. J’avais 38 ans, j’étais célibataire et trois enfants une semaine sur deux. Et je n’étais nulle part. Je ne faisais plus de projets, je ne rêvais plus. J’apprenais à me satisfaire des occasions qui m’étaient données pour faire la fête avec mes amis. Mes amis, je les adore, mais qu’est-ce qu’ils peuvent être lourds des fois. Ils ne comprennent pas, « tu as de l’or dans les mains », « allez garde courage, un jour ça ira… » oui oui un jour peut-être. En attendant, j’allais faire mes courses dans une épicerie sociale histoire d’économiser quelques euros pour pouvoir recevoir mes enfants les semaines où ils étaient chez moi.

Faire semblant que tout allait bien, apprendre à cacher à ceux qui t'entourent, ça faisait bien grincer les dents et te bouffer l’intérieur des joues. Mais bon, ça ne se voyait pas, alors j’ai continué.

La situation s’est quelques peu améliorée. Et quand la tranquillité s’est réinvitée dans ta vie, là, c’est le bureau de chômage qui commence à s’impatienter et à te coller au cul comme le lange d’un enfant qu’il faudrait changer alors que t’es pas chez toi et que t’en as pas prévu de rechange. Tu as cru que c’était reparti pour un parcours antimine. Mais non, ouf, pas cette fois-ci. J’ai vu passer une annonce pour un poste qui me convient. À ma grande surprise, c’est identiquement la même que celle de l’année dernière. Le gars qu’ils ont engagé n’a pas dû convenir. Je ne le connaissais pas et ne pouvais donc que m’en réjouir. Je les ai appelé illico presto. Au téléphone avec la secrétaire, la discussion a pris une tournure particulière. Je me suis entendu m’énerver sur cette pauvre fille qui n’avait strictement rien à voir dans l’histoire. En fait, je venais de me rappeler qu’à la suite de l’entretien, le courrier de refus précisait que j’étais second dans la sélection et que ma candidature resterait dans la réserve de recrutement. J’ai demandé pourquoi je n’ai pas été contactée, elle m’a répondu un truc du genre, ben quoi, parfois les chômeurs retrouvent du travail. Sciée, je lui réponds que je n’étais pas chômeuse quand j’ai passé l’entretien précédent. Et elle a essayé de calmer la conversation en m’expliquant que l’ancien directeur avait dû démissionner. Je me suis apaisée et je lui ai demandé la démarche à suivre.

Entretien d’embauche pour le même poste dans la même boîte. Ah oui y’a eu du changement. L’examen de sélection est mieux préparé, plus structuré, on voit qu’il n’a pas été conçu à l’arrache. Il est suivi d’un oral. Au moins, ce sera réglé dans la journée. Quand mon tour est arrivé, je me suis installée tranquillement sur la chaise. J’avais en face de moi le gros, le chef de service. Il était entouré par 2 belles femmes qui avaient l’air de se plaire à jouer l’une à l’ange, l’autre au démon. Elles étaient trop charmantes et je suis rentrée dans leur jeu. Le gros ne se sent plus. Il est au centre d’un triangle sexuellement intéressant et ne se rend même pas compte que sa présence est insignifiante. Il a essayé de poser quelques questions intelligentes, mais n’était pas dans notre trip. Une blonde, une noire et une rousse… je croyais rêver, je trippais grave. Je n’avais rien préparé pour cette interview. J’avais décidé d’y aller au feeling et apparemment ça a porté ces fruits. Je ne me rappelle rien de ce qui s’est dit. Juste de cet échange de regards dans ce trio parfait. C’était jouissifs. Ensuite, j’ai été présentée au nouveau directeur. Sa connerie était moins apparente que son prédécesseur. Je ne ressentais bizarrement rien de cette personne. Même chose avec le chef du service, ils restaient tous deux de réelles inconnues pour moi. Je me sentais beaucoup plus légère, rien que l’idée que du changement arrivait dans ma vie me faisait sauter de joie. J’ai eu la réponse un matin alors que j’étais à l’épicerie sociale en train de papoter avec d’autres clientes qui me racontaient leurs vies, leurs problèmes. Elles étaient contentes pour moi. Sincèrement, je crois qu’elles pensaient réellement ce qu’elles disaient. Je ne les ai jamais revues. Aujourd’hui, j’ai une pensée pour elles et les personnes qui ont créé cette épicerie et ces bénévoles qui font le tour des grandes surfaces et boulangeries pour récolter la nourriture. Je leur en serai éternellement reconnaissante. Car eux, sans te juger, sans demander d’explication, ils sont là pour t’aider vraiment. Rien à voir avec les amis et la famille. Et ils le font de bon cœur, ne demandent pas grand-chose en retour. Juste un sourire et de la bonne humeur dans le magasin. Dans une famille nombreuse, même si tu ne les vois pas, les nouvelles circulent vite. Les explications aussi. Quand ça te revient aux oreilles, tu te demandes de qui ils parlent tellement ça a été déformé. Donc demander de l’aide à ma famille, c’est devenu impossible ! On n’a pas idée de la lourdeur de l’esprit de ce genre de tribu. Du coup, les communications sont délicates et biaisées. Raconter ma vie, laisse tomber, ce serait se démener dans des sables mouvants. Du coup, je n’ai pas grand-chose à leur raconter. Ce n’est pas plus mal en fait. Déjà, que je passe pour une extraterrestre, y ajouter l’argument pauvre ne m’intéresse pas. « Ma pauvre fille, tu es pourtant si douée. Je ne comprends pas… »  Moi non plus. Maman, j’ai retrouvé du boulot. Je crois qu’ils se sont fatigués de m’entendre raconter toujours la même histoire. On m’a déjà cataloguée, karma trois, le trois pour trois ans max. C’est la durée moyenne de mes contrats. Comme pour me punir d’avoir fait la maligne en démissionnant de mon premier emploi dans l’enseignement national. Tu en as de la chance, fonctionnaire, les vacances scolaires, t’es planquée. Planquée, c’est vrai que c’était la bonne cachette, mais sérieusement, je ne sais pas si vous avez déjà participé aux fêtes du personnel, ça fait réellement peur. Au point où me projeter à l’hypothétique fête pour mon départ en pension me noue le ventre. Des poumons à l’anus, tout se bloque. Dès que j’ai été nommée et après un accident de voiture sur le périphérique parisien. J'ai rempli le formulaire de demande de pause carrière. Je venais de rencontrer le père de mes enfants, il parlait tout le temps de son chez lui, Toulouse, la ville rose. Ça me faisait rêver.

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