Les chaînes de la timidité
Assis sur un banc, je repense à ce qui vient de se produire. J’ai croisé cette fille que j’avais déjà vue hier. Je n’avais pas trouvé le courage d’aller lui parler. J’ai préféré flâner entre les rayons de la librairie en faisant semblant de lire les quatrièmes de couverture.
À dire vrai, je ne comprenais pas ce que je regardais. J’étais simplement concentré sur mon angle mort. Là où dansaient les cheveux châtains de cette fille au regard intense, de cette personne au sourire éclatant. Je venais de tomber sous son charme. Comme toujours, j’ai essayé d’affronter les barrières qui pinçaient mon cœur. La timidité m’a gardé enchaîné avec elle sans me laisser un instant de répit.
J’ai hérité, grâce à elle, de deux rondelles de tomate à la place de mes joues ! Et puis, j’ai tourné le regard vers la porte de la librairie en train de se refermer. Elle était partie. Mon cœur s’est serré et j’ai pincé mes lèvres. Les regrets ont commencé à pleuvoir à l’intérieur de mon esprit et j’ai souspesé leur poids. La balance m’indiquait un chiffre hors normes.
Puis, assis sur ce banc, le week-end suivant, j’ai aperçu un visage familier. Une odeur de banane mêlée à l’écorce du bois qui embaumait le parc. Le vent léger a fait planer son parfum jusqu’à moi. Jusqu’à ce que je lève la tête. Elle était là. Elle marchait.
Je l’ai suivi du regard. Le même pincement au cœur qu’hier. Le même poids qui s’enserre autour de moi comme si une racine me fixait dans la terre, à l'endroit où les regrets poussent déjà à la manière d'un millier de mauvaises herbes.
J’ai frotté mes bras alors que mes oreilles bourdonnaient. J’ai marché sans réfléchir. J’ai cru mourir un instant avant de remarquer son sourire et ses pommettes rouge sang. J’ai souri à mon tour. Son odeur de banane a continué de flotter quelques secondes dans l’air, m’emprisonnant dans cette bulle protectrice que personne ne pouvait franchir. Les chaînes de la timidité venaient de tomber. Puis, on a parlé. Longtemps, peut-être, je ne sais pas. Je ne sais plus. Suffisamment de temps pour que le soleil décline légèrement.
Et maintenant, je me retrouve assis sur un banc du parc, mon téléphone en main. La silhouette de cette fille s’efface déjà à l’autre bout du parc.
Je déverrouille mon téléphone pour être sûr de moi. Je souris. Je n’ai pas rêvé. Je suis incapable de patienter davantage.
Je cligne trois fois des yeux, déglutis et appuie sur la touche d’appel.
Le prénom « Cassandra » s’affiche sur l'écran et la première tonalité retentit.
J’inspire à fond.
— Tu en as mis du temps à me rappeler !
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