Chapitre 3.2 (Engel)

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***

Adrianne savourait le petit poulet rôti qui lui avait fait de l’œil en arrivant dans la ville. Même si le reste de la carte de l’auberge lui faisait envie, elle revenait toujours sur l’odeur du premier plat qu’elle avait senti. Elle était si heureuse d’en manger qu’un sourire niais se dessinait sur son visage lorsqu’elle mâchait. Regeropaïk ne pouvait s’empêcher de la prendre pour une enfant. Elle n’avait plus rien à voir avec la fille froide de la forge. Engel avait constaté ce changement flagrant de personnalité. Mais lui aussi, avait l’esprit plus tranquille maintenant qu’il avait quelque chose à croquer sous la dent. Tout va toujours mieux le ventre plein.

« J’ai appris que le vieux Gepetto va se présenter aux élections ! lança le dragon à l’attention du forgeron.

—Oui et c’est un peu l’effervescence… Il se consacre plus à la politique qu’à la forge si bien qu’on manque d’effectifs en ce moment…

—Je l’ai toujours connu intéressé par ces sujets, mais parce qu’il râlait contre nos politiciens ! Jamais je n’aurai imaginé qu’il se lancerait là-dedans ! »

Roger ria de bon cœur sans aucune discrétion, si bien que quelques clients se retournèrent vers eux. Le jeune homme n’appréciait pas d’être au centre de l’attention ainsi, contrairement à Adrianne qui ne s’arrêtait pas de dévorer son plat plus que de raison.

« J’en connais un qui râle aussi, commenta-t-elle la bouche pleine.

—Ce n’est pas pour ça que je m’y mettrai. J’ai autre chose à faire que de fréquenter ces grandes pontes d’andouilles.

—C’est pas ton père qui est Conseiller ? demanda Engel, un éclat de malice dans son regard. »

La Gratte-Pierre hocha la tête, jouant le jeu de son homologue humain. Sauf que son collègue la connaissait trop bien pour être mal à l’aise.

« Foraxis ? Le Conseiller dragon des Sciences ? Je sais bien, mais en voyant la crevette qu’il a élevée, je me demande s’il mérite de gérer l’éducation du pays, » ricana-t-il.

Un large sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme.

« La crevette t’emmerde.

—Oh c’est quoi ce langage ? Ca confirme ce que j’ai dit ! Engel, tu en es témoin ! »

L'interpellé leva les mains en signe d’innocence.

« Ne me mêlez pas à vos histoires !

— Surtout que j’ai pleins de dossiers à ton sujet… Tu sais, à l’Académie… lança Adrianne d’humeur taquine, prête à faire taire le dit-témoin.

— Ok, on s’arrête là ! »

Le forgeron ne voulait pas entendre les anecdotes à son sujet, bien trop honteuses, et il savait que son ancienne consœur en avait des belles. Comme la fois où il l’avait dragué… La gêne monta en lui rien qu’en y pensant. Quelle idée lui était passée par la tête à cette époque de l’Académie des Hauts Perchés ? Adrianne venait d’entrer en première année et il était son aîné d’un an. Il ne savait pas pourquoi il s’était intéressé à elle. Commune, petite et surtout… exécrable. Il s’était littéralement pris un mur en l’abordant. Bien évidemment, devant un public rieur.

Regeropaïk remarqua le malaise de l’humain.

« Vous faites bien la paire tous les deux ! A quand le mariage ? lança-t-il sans aucune parcimonie.

—T’es riche ? Si oui, on peut négocier ça, demanda la Gratte-Pierre à son éventuel mari, avec beaucoup trop de sérieux.

—Mais… C’est quoi cette réponse ? Ok j’ai compris, je n’aurais jamais dû commencer. Vous êtes bien plus forts que moi à ce jeu… » capitula Engel.

Le dragon rit de nouveau, dérangeant encore une fois les clients voisins. Ils furent sauvés par des cliquetis qui stoppèrent son hilarité. Son attention était portée vers la source du bruit. Les rouages tournèrent pour faire monter le serveur jusqu’à leur table qui apportait les desserts. Adrianne regardait les gâteaux avec des yeux aussi pétillants que ceux d’un enfant devant des sucreries et sans attendre ses compagnons, elle attaqua le sien à grand coups de cuillère.

« — Calme toi, il ne va pas disparaître… » grogna le Grimpe-Tour.

Mais sa collègue ne tint pas compte de sa remarque et termina le délice sucré d’une grande lampée. Un rot tout à fait charmant vint sonner la fin de son plat, suivi d’un tapotement de ventre satisfait. Le forgeron la regardait, dépité. Non, vraiment, qu’est-ce qu’il avait bien pu lui trouver à l’époque ?

« Je pourrais en manger au moins douze comme ça ! fanfaronna la gourmande.

— Alors non, je vous offre juste un repas normal pour individus avec un appétit normal. Les extras c’est pour ta poche, » prévint Engel qui craignait pour son porte monnaie.

Même Regeropaïk, pourtant bien portant pour un dragon, était impressionné par la quantité de nourriture et la vitesse à laquelle elle l’ingurgitait. Il n’avait pas encore atteint la moitié de sa part.

« Ne te plains pas si t’es malade, grommela-t-il.

— T’inquiète pas, mon estomac est solide, répliqua l’intéressée avec fierté.

— Ouais, c’est ça. Ce n’est pas la peine de te pointer chez moi demain si t’es barbouillée, » termina l’écailleux, pas convaincu par les propos de sa partenaire.

Le forgeron était en compagnie d’un bien drôle de couple. En regardant simplement la façade, il était difficile de les imaginer travailler ensemble. Un vieux dragon grincheux, râlant sur une jeune femme qui ne voulait pas grandir. Qui aurait parié sur eux ? Pourtant, Engel les connaissait depuis suffisamment longtemps pour savoir qu’ils étaient parfaitement assortis. L’un ne pouvait marcher sans l’autre. La nostalgie s’empara de lui alors qu’il terminait son dessert avec nonchalance.

« Engel ! On a quelque chose à te demander ! »

L’interpellé sursauta et évita de s’enfoncer dans la torpeur qui l’appelait. Il vit Adrianne fouiller sa sacoche. Son ancienne consoeur jeta des coup d’oeil aux alentours, comme si elle vérifiait que la voie était libre. La curiosité du forgeron s’attisa, même s’il se demandait s’ils n’étaient pas en train de lui jouer un tour. Quand la Gratte-Pierre ouvrit ses doigts, l’émerveillement le saisit.

« C’est… C’est pas vrai ! » réagit-il sans faire attention à son environnement.

La jeune femme lui intima de baisser d’un ton. Engel s’exécuta et tendit ses mains vers la pierre étincelante. Il ne la quittait pas des yeux et l’observa en détail. Ses faces étaient lisses malgré son état brut et pas un brin de poussière ne venait ternir son éclat. Il reconnaissait le talent d’Adrianne pour la rendre aussi belle sans travail d’orfèvre. A l’intérieur, il distinguait des mouvements qui trahissaient la véritable tempête qui se cachait dans ce joyau. Au contact de celui-ci, sa peau ressentait des frémissements signe que la pierre détenait une incroyable puissance. Le binôme de voltigeurs avaient déniché un véritable trésor.

« Où l’avez-vous trouvé ? demanda-t-il discrètement.

— A l’est, à la tour des Verchamps. C’était une véritable surprise ! répondit Roger.

— Si proche ? Au niveau des Orézs ? Je n’arrive pas à y croire… Je pensais que les pierres avec autant de magie avaient disparues…

— On était meilleurs c’est tout. Les autres n’avaient pas mon oeil de lynx pour la voir, » frima la brune.

Aussi douée soit son ancienne consoeur, le forgeron trouvait cela étrange. C’était un fait indéniable que la magie disparaissait peu à peu de la nature. Les pierres incroyables comme la Zééitée, n’étaient plus que de jolis cailloux bon pour faire des bijoux s’il leur restait encore un peu d’éclat. Si les Piezorath gardaient encore leur utilité, qui sait combien de temps cela allait durer ? Les théories s’enchaînaient sur l’origine de cet affaiblissement : épuisement des ressources à cause d’une importante exploitation des tours, châtiment divin de la toute puissante nature… Scientifiques et superstitieux discutaient de bon train. Si le charbon était une source d’énergie miraculeuse par sa simplicité d’utilisation, il ne s’agissait pas de la seule raison pour qui expliquait le virage pris par la civilisation et coulant toute l’institution des Hauts Perchés pourtant vieille de presque mille ans. Engel était convaincu que le déclin de l’énergie magique était anticipé, au grand dam de ceux qu’il appelait collègues.

« Si tu le dis, finit-il, pensif.

— Tu connaitrais pas un bon plan pour la vendre ? Les joaillier qu’on connaît ne seraient jamais prêts à débourser une jolie somme pour elle, demanda Adrianne sans se soucier du changement d’état du jeune homme.

— La… La vendre ? Ca n’a pas de prix un trésor pareil ! s’étrangla-t-il.

— Si c’est un trésor, pourquoi ça ne nous rapporterait rien ?

— Tu peux la garder non ? Ou toi Roger, tu aimes les belles choses pas vrai ?

— J’ai plutôt besoin d’argent que d’un caillou qui brille, aussi beau soit-il. Il doit bien intéresser des collectionneurs ! Comme toi ! » répondit le dragon.

Le jeune homme aimait conserver ses trouvailles de l’époque, se contentant simplement de vendre ses principales commandes. Il disposait d’une belle vitrine chez lui, où il exposait ses pierres rares. Mais aussi intéressé soit-il, il connaissait bien les exigences tarifaires de ses amis et jamais il ne pourrait s’aligner.

« Vous êtes trop chers pour moi ! Et je n’arriverai pas à négocier avec vous, vous êtes bien trop durs en affaires, avoua-t-il avec un sourire en coin.

— C’est vrai que c’était toujours Opesveth qui s’occupait de ça à ta place, » mentionna Adrianne qui lui pointait un défaut.

En entendant le nom de son ancienne collègue, Engel frémit. Regeropaïk fusilla du regard sa partenaire : elle manquait cruellement de tact ! Comprenant son erreur, la Gratte-Pierre baissa les yeux et se pinça la lèvre inférieure. Mais le forgeron retint les émotions qui montait en lui et revint sur le sujet principal :

« Je connais des gars qui lorgnent sur ma collection et qui ont plus les moyens que moi.

— Intéressant… On peut avoir les contacts ? demanda le Grimpe-Tour.

— Passez chez moi ce soir, après le boulot. Je vous donnerai une liste. »

Un sourire se dessina sur son visage.

« Qu’est-ce que vous ne feriez pas sans moi ? »

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