RALAIA

Une main sur la couverture, l’autre effleurant le sol. L’aube apparaissait, plus possible de dormir, ma veille était indispensable. Les oiseaux entamaient leur chant quotidien, la rosée matinale humidifiait l’herbe et le vent estival se levait. À moitié consciente, mes paupières remuaient et mes oreilles se mirent à frémir. Je perçus soudain des bruissements, des sifflements. Quelqu’un s’approchait de nous, je le sentais. Nous devions nous défendre contre cette menace.

Je m’extirpai de mon duvet par instinct, bondis pour me relever et m’armai de mon arc. Scrutant les alentours, j’observais les signes précurseurs d’une présence hostile. Les chevaux, toujours accrochés aux troncs, couchèrent les oreilles en arrière et montrèrent les dents. L’aspect paisible des environs était perturbé. Des ennemis surgissaient, mais d’où ? Impossible de savoir.

Margolyn fut la première à se réveiller après moi. Son bâillement accompagna son redressement. La pauvre, elle ne se doutait de rien. J’essayais d’évaluer le risque, mais en s’exposant ainsi, cette jeune fille fragile se mettait en danger. Mes craintes étaient fondées… On la visait !

— Attention ! prévins-je.

Elle ne m’écouta pas. D’accord, je la prenais au dépourvu, mais son absence de réflexe m’excédait ! Je la plaquai à terre au dernier moment. Le trait frôla son crâne et se ficha entre Jyla et Arzalam. Alerter les autres, vite ! Avant qu’il ne soit trop tard.

— Réveillez-vous ! hurlai-je. On nous attaque !

Ma voix se répercuta sur toute la lisière, très efficace pour réveiller mes compagnons. Erak et Gurthis dégainèrent leur arme dès qu’ils ouvrirent les yeux. Bramil suivit timidement le mouvement pendant que les mages se préparaient au mieux à l’arrivée de nos adversaires. Ensemble, ils déployèrent un bouclier où ricochèrent plusieurs flèches avant de retomber sur le sol. Le vétéran les toisa, probablement jaloux de leurs capacités, puis brandit son espadon. Nos valeureux guerriers avaient hâte de se battre, semblait-il. Enfin l’occasion de découvrir les aptitudes de mes compagnons était arrivée.

Il me fallait les rejoindre, laisser ici cette victime gênante. Margolyn tremblait et transpirait à l’abondance, toujours à terre. Elle avait aussi le visage blême. Pas remise de ses émotions ?

— Une… Une… Une flèche, geignit-elle. J’ai failli mourir !

Elle me perça les tympans. Qu’elle se mette en sécurité, j’avais d’autres personnes à aider ! Je m’éloignai d’elle et rejoignis les combattants de front. Au combat, les attitudes héroïques se confrontaient souvent à la lâcheté des plus faibles. C’était vrai et ça l’avait toujours été.

— Défendez-vous ! ordonna Erak. Mais ne vous dispersez surtout pas !

Une directive simple mais avisée. Notre meneur s’efforçait de préserver les siens. Pour l’instant, Jaeka ne cherchait pas à se réfugier auprès de lui, à la place, elle fit signe à Stenn et Margolyn.

— Il faut protéger les chevaux ! suggéra-t-elle.

En voilà une qui avait compris son rôle. Elle était de bonne compagnie au contraire de l’érudit et la guérisseuse. Ceux-ci s’exécutèrent avec elle tandis que nos montures hennissaient de peur.

Surveiller toutes les directions. Se fier au souffle venant du nord. Scruter le moindre détail dans notre vision. Personne ne devait subir de dégâts. Il n’y aurait pas de perte si nous triomphions de nos adversaires. Malheureusement, tout le monde ne pensait pas comme ça.

Elmaril s’élança vers la plaine, arme au poing. Je la suivis aussitôt. Elle voulait faire cavalière seule ? Je ne lui accorderais pas ce privilège.

Le vent cingla d’emblée notre visage et balaya nos cheveux. L’effleurement des prémices du combat. En position offensive, la guerrière s’immobilisa un instant. Elle se prenait pour qui ? Elle s’était faite assez remarquer hier. Mais elle n’en démordait pas : se mettre en avant lui arrachait des sourires horripilants. Prouver la maîtrise de la lance et s’exposer aux ennemis étaient son but.

Je plongeai mon regard au lointain et aperçus des silhouettes. D’abord floues puis précises. Des ombres familières… Je les avais déjà affrontées. Nos assaillants adoptaient une tactique typique qu’Elmaril semblait répugner.

— Des guerriers du clan Dunac, bougonna-t-elle. Ils nous ont retrouvés.

Ces sauvages se pointaient de tous les côtés, la rage au ventre. Ils étaient engoncés dans des armures en cuir, peau ou écaille, toutes parsemées de pointes aux épaulières et coudières. Ils soulevaient de grandes épées, haches, marteaux de guerre, voire des arcs à simple courbure. Un équipement de qualité douteuse… Ça ne les rendait pas moins féroces. Au contraire.

Des vrais barbares ! Ils ne se coiffaient d’aucun casque. Au milieu de leurs balafres, une trace rouge se prolongeait de leurs sourcils broussailleux jusqu’à leur nez. Experts en pillages et tueries groupées, leur apparence s’accordait à leur cruauté : grands, costauds, les cheveux longs et sales. Ils voulaient juste nous massacrer. Ils n’y arriveraient pas. Que j’avais hâte de leur planter une flèche entre les deux yeux !

Notre compagnie se resserrait. Les lames zébraient l’air tandis que ces guerriers émergeaient depuis l’intérieur de la forêt. Erak endossait la responsabilité de s’occuper d’eux. Un barbare apparut à sa droite et tenta de l’estoquer. Poussant un rugissement rauque, notre chef esquiva puis fendit le crâne à son agresseur. Ce premier mort ouvrit mon champ de vision en s’écroulant sur le côté. Il me fallait saisir cette opportunité pour les aider. Maintenant.

Les flèches de mon carquois m’appelaient. J’en attrapai une, l’encochai et cherchai ma cible, un ennemi dans mon champ de vision. Facile, l’épéiste trapu et véloce devant moi, il devait être abattu avant les autres. Mon trait fusa et transperça sa gorge, d’où gicla un jet de sang. Il s’y noierait et tomberait six pieds sous terre. Telle était sa place.

Ils essayaient de percer nos défenses. Grossière erreur. Nos mages étaient là et se rendaient utiles comme je m’y attendais. Des sorts élémentaires, efficaces contre des guerriers bourrins de leur type. Ils persistèrent à trancher dans le vif, ces brutes ! Nos contre-attaques ne les repoussaient pas beaucoup.

Continuer de tirer. Ressentir le danger. Où en étaient mes alliés ? Bramil se risqua à se joindre à son oncle, un acte imprudent. Son épée heurta une hache adverse. L’impact fut si fort qu’il perdit l’équilibre. Le métal chuinta alors que le jeune homme martelait son opposant de coups. Geste désespéré. Mais le vaillant soldat partait à sa rescousse ! Il tailla la poitrine du guerrier. Pas de doute, Gurthis était de retour.

Notre lutte ne faisait que commencer. Mes compagnons s’évertuaient à protéger notre campement. Où intervenir ? Soutenir les combattants de front par défaut, tant pis pour Elmaril. Mais soudain, un de nos chevaux reçut une flèche sur le flanc et s’écroula avec les provisions et le matériel. Pauvre bête qui agonisait. Pauvre maréchale qui perdait un de ses animaux fétiches. Le chagrin ne l’empêcha pas de raisonner. Elle se cacha loin des projectiles de nos ennemis. Qu’elle soit rassurée, il ne lui arriverait rien. Mon devoir de soldate l’imposait.

— Ils sont partout ! grommela Gurthis. Tu avais raison d’avoir des craintes, Ralaia. Ces sauvages sont tellement envahissants… Il faut se débarrasser d’eux, maintenant !

Ce devait être la première fois qu’il me soutenait. De quoi renforcer l’esprit de groupe. D’autres guerriers apparaissaient en nombre, brûlant d’ardeur. Seule Elmaril se dressait face à eux. J’avais bien des choses à lui reprocher, mais son talent au combat était véritable. Ses tresses virevoltaient au gré de son impétuosité. Sa lance tournoyait sur ses deux mains. Et sa façon de dévier les flèches de sa hampe… Les destinées se croisèrent.

Elmaril rencontra de la résistance au corps à corps. Les armes s’entrechoquèrent, tintèrent et sifflèrent. Des duels à l’état pur se déroulaient devant nous. Une sauvage contre d’autres sauvages, c’était beau à voir, presque impressionnant. Personne ne l’aurait prédit. Elmaril, un atout de taille dans notre compagnie.

Elle parvint à pourfendre six guerriers avant d’être submergée. Un repli stratégique ? Elle ne se surestimait pas. Son visage suintait de sueur, du sang avait éclaboussé son plastron, ses bandes de cuir en premier. Rien ne la touchait alors qu’elle tournait le dos à nos agresseurs.

Elle n’aurait pas tout le mérite. Mon carquois se vidait drastiquement, plus le droit à l’erreur. Me concentrer sur mes cibles. L’environnement importait peu. Expirer, inspirer. Mes doigts glissèrent sur la branche supérieure de mon arc. Étudier le mouvement de nos assaillants. Désordonné, ils en devenaient imprévisibles. Pas question d’échouer. Des vies dépendaient de mes tirs.

Un trait en plein cœur ! J’avais abattu un premier homme. Par suite, je me fendis pour mieux viser le deuxième. Un succès. Je devais continuer ainsi. Rendre honneur aux miens, à l’armée, à ma famille.

Leurs rugissements redoublaient à chaque victime que je faisais. Des cadavres jonchaient le sol autour de moi, mais nos ennemis poursuivaient leur assaut, encore et encore. La mort de leurs camarades les incitait à lutter jusqu’à leur propre déclin. Exposée comme je l’étais, je m’attirais inévitablement leurs foudres. J’évitai une hache de jet qu’un guerrier m’avait lancé de biais d’une roulade vers l’avant. Me voilà sauvée, de retour. À présent, il me fallait m’immerger dans l’action.

Mon regard s’égara vers Gurthis. Dans un hurlement tonitruant, il coupa nettement en deux mon agresseur et son espadon brisa son armure en une myriade d’éclats. Une mort sanglante. Si sanglante que Stenn vomit son repas de la veille. Pitoyable.

Je tuai trois guerriers supplémentaires puis haletai. Une flèche restante dans mon carquois et encore trop d’ennemis. Je devais les récupérer, fussent-elles trop éloignées. M’élancer contre l’adversité, même si la mort m’attendait.

Aussitôt, un combattant se rua vers moi et entreprit d’abattre son marteau de guerre. J’effectuai un saut périlleux en plein mouvement, m’emparai de mon trait restant et lui perçai la nuque. Des gouttes écarlates aspergèrent mes franges et mon nez. Rien de grave. J’arrachai mon projectile et le remis dans son carquois. Tout bon soldat présumait que ce type de stratégie ne fonctionnait pas plusieurs fois. Je reculai et retournai soutenir mes alliés faute de mieux

Erak s’extirpa d’un combat acharné par une décapitation. Le sang de ses victimes coulait depuis son crâne. Sa fureur était adressée aux survivants ennemis qui s’obstinaient à faire chanter l’acier. Jaeka et Margolyn s’empressaient autour des chevaux afin de contrôler leur panique. Pour chaque entaille manquée, notre chef s’était essuyé quelques coups. Lui protégeait les siens, il s’opposait à Gurthis et Elmaril, déterminés à tuer quiconque s’en prenait à eux.

Gurthis, à la hauteur de sa réputation. Je l’entendais vociférer d’ici. Ses spallières et sa tassette minimisaient les impacts résultant de son attitude bourrine. Elmaril, une guerrière impitoyable. Hormis une mince estafilade, elle s’était sortie indemne de son attaque aveugle. La frénésie combattive sous toutes ses formes. Il n’y avait pas de pitié ni de bienveillance. Juste une effusion de sang.

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