Corson
Pierrik soupira en empoignant sa gourde remplie de café chaud. Tout en rangeant ses outils pour ne pas les laisser planer dans tout le hangar, il prit une grande gorgée puis s’essuya le front, content d’avoir terminé de bricoler.
L’astromécanicien venait enfin d’installer les composants donnés par le professeur Corson pour ses recherches. Fort heureusement, l’opération avait été plus aisée que prévu et cela n’avait affecté en rien les réglages déjà établis. Le chasseur était prêt pour sa mission quotidienne.
— Tu peux aller faire ta ronde, annonça-t-il à Spiros.
Celui-ci ne répondit pas. Le pilote était resté dans son cockpit tout le temps du bricolage. Pierrik prit une clé dans sa caisse et tapa le fuselage :
— Hé ! J’ai dit : tu peux y aller !
Toujours rien. Laissant sa gourde de café en l’air, il prit appui sur ses jambes après avoir coupé le magnétisme de ses semelles et s’élança sur l’aile de l’appareil puis se hissa dessus avec légèreté. Il se dirigea ensuite vers le cockpit où Spiros s’était assoupi. Le mécanicien soupira de nouveau.
— OH ! cria-t-il pour le réveiller.
Spiros fit un bond sur son siège.
— Oh bon sang ! Mais ça ne va pas ?
— Tu es en service vieux ! Ce n’est pas le moment de pioncer…
— Ouais… Tu as terminé d’installer son truc au moins ?
— Bien sûr. Tu peux décoller.
— OK, OK, j’y vais…
— Hé ! Laisse-moi le temps de ranger avant !
Il descendit du chasseur, débrancha les câbles d’alimentation en gaz après avoir vérifié le niveau, referma les capots d’accès aux circuits et enleva sa clé de sécurité. Celle-ci empêchait que le pilote, par une quelconque maladresse, ne mette l’appareil en route pendant qu’un technicien opérait dessus.
— C’est dégagé, annonça-t-il.
— Parfait. J’ai quelque chose à faire avec la machine du prof ?
— Non, d’après ce que j’ai vu tout se fait automatiquement. C’est un système autonome alimenté par les batteries du vaisseau, mais qui fait son taf tout seul.
— OK…
Spiros se frotta le visage pour se réveiller, enfila son casque et verrouilla sa combinaison à celui-ci. Il démarra électriquement le chasseur, ce qui alluma les instruments de bord. Il enclencha ensuite le préchauffage des réacteurs, tandis que Pierrick sortait du dock. Lorsque ce dernier eut rejoint la salle de contrôle, il prit le poste de l’opérateur.
— PR-21, paré au décollage ! signala alors Spiros. Attente de l’ouverture des portes.
— Dépressurisation du hangar… Ouverture des portes, rampe de lancement déverrouillée.
— Bien reçu, répondit le pilote. PR-21… décollage !
Il poussa légèrement la manette des gaz et le chasseur se décrocha de la rampe de lancement tout en avançant doucement jusqu’en dehors du bâtiment. Il prit un peu d’altitude avant d’accélérer progressivement et atteindre une vitesse de vol stable.
Aujourd’hui, il décida de passer par un itinéraire différent que d’habitude. Toute la zone autour d’Alpha-3 était couverte sur un diamètre de dix kilomètres par les radars de la station. Si ceux-ci avaient une portée très longue dans l’espace, ils ne pouvaient malheureusement pas envelopper la surface de la lune où ils étaient implantés.
Spiros voulait parcourir un plus grand périmètre sur un secteur de trente kilomètres de largeur, mais étant le seul pilote, il ne pouvait se permettre de mettre trop de distance au cas où les ennemis apparaitraient soudainement. Il devait alors se restreindre à simplement vingt kilomètres et faire également attention aux zones sensibles du satellite où des poches de gaz éclataient régulièrement.
Pierrick avait téléchargé une carte de toutes celles qui étaient connues, mais parfois, de nouvelles s’ouvraient là où l’on ne s’attendait pas. Spiros prenait cela comme un exercice de réflexe, l’obligeant à se concentrer et rester vigilant.
Après quelques minutes de vol sans encombre, une alarme du tableau de contrôle lui indiqua qu’un corps céleste était en approche sur sa trajectoire. L’écran afficha alors une météorite de petite taille dont le point de chute se situait à quatre kilomètres devant, exactement à l’endroit où il se trouverait dans quelques secondes. Un bref calcul de l’ordinateur de bord permit à Spiros de dévier son itinéraire afin de ne subir aucune secousse ou de prendre un projectile dû à l’impact.
Cependant, le nouveau chemin le fit passer non loin d’une zone connue pour ses nombreuses poches de gaz et l’une d’elles éclata très près du chasseur, l’obligeant à manœuvrer rapidement. Il réussit à esquiver les projections de cailloux en se faufilant dans une profonde crevasse dans le sol qui formait un étroit couloir.
Les parois étaient deux murs de roche hauts d’une centaine de mètres, ce qui lui permettait d’être à l’abri de tous projectiles possibles, mais le ravin se rétrécissait par endroit, rendant la navigation parfois compliquée.
Soudain, un piton graveleux se dressa droit devant lui comme un obstacle imparable. Ne pouvant nullement le contourner sur les côtés, il redressa subitement, faisant racler son aile gauche contre une saillie de la cloison rocailleuse. L’ordinateur de bord lui indiqua alors une faible avarie et Spiros sentit une gêne dans le pilotage. Le choc avait dû dérégler quelques paramètres dans le système. Un bon mécanicien comme Pierrik savait sans aucun doute réparer ça.
Après cette brève, mais intense mésaventure, Spiros gagna en altitude afin d’éviter à nouveau ce genre de désagrément.
***
Quelques heures plus tard, le chasseur PR-21 regagna la base Alpha-3 afin d’y établir son rapport routinier. De retour au garage, Pierrick constata avec effroi l’état de l’aile gauche de l’appareil.
— Mais… qu’est-ce que t’as fait pour en arriver là ? demanda-t-il, une pointe d’énervement dans la voix.
— J’ai dû faire un rase-motte dans un couloir aussi petit que cette porte de hangar, répondit Spiros, l’air de rien.
— Regarde-moi ça ! s’emporta le mécanicien. Je vais en avoir pour des heures à remplacer l’extrémité ! C’est toute la carrosserie qui est à réparer !
— Je crois que ça a déréglé le système de navigation. J’ai eu un peu de mal à tenir droit…
— Pardon ? Il faut que je refasse tous mes équilibrages ?
Spiros posa sa main sur l’épaule de l’astromécanicien.
— Allez, j’ai confiance en tes talents. Je vais au réfectoire si tu as besoin de moi.
— Attends !
Pierrick ouvrit le capot sous le fuselage et en sortit une petite disquette.
— Tiens, dit-il en la lui remettant, donne ça au professeur. Il doit être dans l’observatoire.
— OK…
Celui-ci se trouvait à l’autre bout de la station, relié au bâtiment principal par un couloir identique à ceux qui joignaient les dortoirs de l’académie au centre d’accueil sur Neyria. C’était un édifice en demi-sphère, surmonté d’un télescope haut de quarante mètres, orientable sur deux horizons.
Spiros n’était encore jamais venu dans cette partie de la base depuis son arrivée. Après avoir traversé le long corridor, il passa son badge dans la serrure de la porte qui s’ouvrit ensuite. En entrant dans la vaste pièce équipée de divers appareils de mesure, le jeune agent eut comme un vertige.
Le regard en l’air, il contemplait le ciel d’un noir d’encre parsemé de milliards d’étoiles, comme s’il n’y avait pas de toit au-dessus de sa tête. La planète Yaakov lui paraissait aussi nette que si elle était à proximité, sans casque ni visière. Le plafond voûté était un immense écran faisant apparaitre ce que le télescope observait en temps réel.
Pendant quelques minutes, le jeune pilote resta devant la porte, saisi par la beauté du spectacle où seul le bourdonnement des appareils accompagnait l’ensemble. Il finit par se ressaisir, se rappelant pourquoi il était là.
En dehors de cela, la salle était une grande pièce unique avec une mezzanine accessible par un escalier en colimaçon. Malgré sa taille, elle n’était pas facilement traversable avec toutes les machines et tous les ordinateurs qui étaient disposés en un dédale électronique, sans parler des innombrables câbles qui trainaient au sol. Spiros parcourut les divers passages possibles, espérant trouver Jody Corson, lui remettre sa disquette et pouvoir aller manger.
C’est un vrai labyrinthe ! se dit-il, exaspéré de tourner en rond.
— Est-ce que vous cherchez quelque chose ? lança soudainement une voix dans son dos.
Spiros se retourna. C’était Corson, une holotab dans la main.
— Ah, professeur ! s’exclama-t-il, soulagé. Je vous apporte votre disquette.
— Oui, je vois, et… ?
Comment ça, "et ?" s’étonna Spiros. En voilà, une question stupide, qu’est-ce qu’il veut que je lui réponde…
— Et bien… je vous la donne.
— En ce cas, posez-la ici, je vous prie.
Spiros réprima un soupir d’exaspération et laissa la disquette sur un bureau où trainaient divers papiers.
Du papier !
— Vous… vous avez du papier ? Du vrai papier ?
— En quoi cela vous gêne-t-il, jeune homme ?
— C’est que… c’est si rare d’en trouver…
— Sachez, pour votre « légère » culture générale, que ces papiers-là ont presque cent cinquante ans. Ce sont des rapports sur le système solaire de notre monde d’origine.
— Incroyable ! Vous possédez des œuvres exceptionnelles alors !
— Je ne possède rien, c’est la colonie qui les détient. Moi je ne fais que les lire pour mes études.
— Oui, c’est ce que je voulais dire. Et vos recherches portent sur quoi exactement ?
Corson soupira en gardant le nez sur son holotab. La conversation semblait l’ennuyer.
— J’observe les astres qui se situent au-delà de la ceinture d’astéroïdes, répondit-il en pianotant sur l’écran dématérialisé. Le satellite où nous sommes offre un poste idéal pour l’observation. Nous avons une vue d’ensemble sur quasiment tout le système solaire. D’ailleurs, nous entrons bientôt dans un alignement avec Terre Nouvelle et la Lune Noire, vous devriez être sur le qui-vive…
— Le Lunar Centaury ? Comment ça ?
— Vous ne savez pas ce qu’est un alignement ? s’étonna Corson en regardant Spiros par-dessus ses lunettes. C’est affligeant…
— Si, je sais ce qu’est un alignement, mais… pensez-vous que cela va avoir une conséquence pour nous ou… la colonie ?
— À vous de me le dire, c’est vous l’agent de police. Vous avez la charge de notre sécurité, je vous rappelle.
Décidément, ce professeur commençait vraiment à lui taper sur le système avec ces réflexions.
— Je ne suis pas la tête pensante de la Police Spatiale, professeur.
— Non, de toute évidence.
La moutarde monta au nez de Spiros. Il prit une inspiration et lança d’un ton clair et ferme :
— Monsieur, si notre présence au sein de cette base vous dérange, vous m’en voyez désolé. Cependant, nous nous efforçons de déployer les moyens nécessaires pour contrer la menace des Black-Trons. Une collaboration avec l’ensemble de la colonie nous est indispensable pour mener à bien notre objectif.
Corson le regarda à travers ses lunettes, toujours avec son air suffisant.
— Monopoliser ma station ne vous satisfait pas ? répliqua-t-il sans s’énerver. Vous voulez aussi mon papier et ma blouse pendant que vous y êtes ?
— Ce n’est pas…
— Écoutez, jeune homme, coupa le professeur. Faites votre travail et moi, le mien. Utilisez ce dont vous avez besoin, vos collègues le font déjà. C’est ici que nous avons découvert la première fois le Lunar Centaury il y a cinq ans, et vous en avez fait un parfait poste de surveillance. Alors, observez votre Lune Noire et laissez-moi les autres planètes, merci.
Il s’en alla sans rien rajouter en prenant la disquette sur le bureau. Spiros était maintenant dans un état d’énervement et aurait bien envoyé son casque dans la tête de ce professeur hautain, mais il préféra calmer son ardeur.
Je dois protéger les colons en toute circonstance. C’est pour ça que je me suis engagé et ce n’est pas en agissant ainsi que je tiendrais cet engagement.
Ravalant sa rage, il sortit de l’observatoire et alla se restaurer à la cantine.
Les repas n’étaient pas de meilleure qualité que ceux de l’académie. À la différence que, dû à un réapprovisionnement de seulement une fois par mois, les aliments étaient composés de féculents et de viandes séchées sous forme de rations emballées dans des sachets conservateurs. Spiros regrettait même la purée épaisse servie sur Neyria.
Ce régime draconien contenait l’essentiel des besoins journaliers, mais n’avait pas la diversité des goûts des produits frais. De plus, cela donnait une mauvaise haleine et les restrictions d’eau n’arrangeaient pas les choses pour l’hygiène en général. Spiros transpirait beaucoup sous son casque et sa combinaison spatiale. Ne pouvant se laver que tous les trois jours, il avait l’impression de se laisser aller et se sentait mal à l’aise lorsque quelqu’un était à proximité de lui, même si la situation était identique pour tout le monde.
— Tu t’y habitueras, lui avait dit Pierrick en s’asseyant à sa table. Au début, on a du mal à l’assumer, mais au bout d’un moment, tu te dis : « je pue, alors tant pis ». Et ce n’est pas comme si des femmes étaient avec nous en permanence. C’est pour ça d’ailleurs que seuls des hommes sont envoyés dans cette station.
— Une amie de ma promotion avait demandé à être mandatée ici, dit Spiros en se rappelant la requête faite par Morine pour se joindre à lui lorsqu’il reçut son affectation. Mais ils lui ont refusé l’autorisation de venir.
— C’est parce qu’ils ne veulent pas de femme dans une base comme celle-ci. Ils estiment que les conditions sont trop difficiles pour elles.
— Ah bon…
Hormis ces contraintes, la mission n’était pas des plus compliquées et Morine était une pilote très douée. Et la connaissant, Spiros savait très bien que même des circonstances plutôt rudes ne la dérangeraient pas.
Faire des rondes sur la surface de la lune n’avait rien de palpitant en soi, mais Spiros en profitait pour améliorer son pilotage. Il avait remarqué bien des défauts sur le maniement des commandes malgré les premières modifications apportées par Pierrick et avait décidé de lui en parler.
— Je trouve qu’il y a un certain temps de latence entre le moment où l’on tire sur le manche et quand l’engin répond. L’accélération manque aussi de réactivité.
— C’est parce que c’est un des premiers appareils conçus pour la Police Spatiale, répondit Pierrick. Ils ont été fabriqués en toute vitesse avec ce qu’on avait sous la main. Au tout début, on avait de petits chasseurs que l’on a dénichés dans un hangar fermé. Ils étaient déjà là pendant du voyage du Myriam. Ils nous ont permis de nous défendre lors des premières attaques, mais ils avaient leurs limites. C’est alors qu’on a construit les Protectors à partir de ces engins.
— Est-ce que tu pourrais l’améliorer ? Le rendre plus réactif aux commandes ?
Pierrick le regarda, l’air pensif.
— Quoi, j’ai dit une bêtise ?
— Non, je réfléchis…
— Ah !
— Je dois pouvoir corriger la réactivité des commandes, oui. Mais pour les réacteurs, c’est une autre paire de manches. Il faut d’abord remplacer plusieurs pièces pour améliorer le conduit de gaz du réservoir qui va aux propulseurs. Eux-mêmes seraient à changer si tu veux vraiment faire toute la différence. Tu devrais attendre la prochaine génération de chasseur qui est en développement chez Futur-On. Ils auront de bien meilleures performances.
— OK. Mais j’aime beaucoup ce chasseur-là.
— Alors que tu trouves qu’il ne réagit pas suffisamment à tes exigences ?
— Tu ne peux pas comprendre, c’est un truc de pilote.
— Ben voyons…
— Si tu peux déjà améliorer la réactivité des commandes, ça ira. Comment vas-tu t’y prendre ?
— Par des réglages logiciels, répondit-il tout simplement. La mise à jour du système permet des ajustements plus poussés. Mais je ne te garantis pas le résultat. Si ce que je t’apporte ne te satisfait pas, il te faudra un appareil plus perfectionné.
— D’accord.
— Et ne l’esquinte pas à ta prochaine ronde ! prévient le mécanicien. Je n’ai plus de quoi rafistoler la carrosserie.
— J’y veillerai. Penses-tu faire ça rapidement ?
— Dès que j’aurai fait le tour des installations. Je ne m’occupe pas que de ton chasseur.
— Super ! s’exclama le pilote. Je vais dans la salle de contrôle dans ce cas. J’en ai marre d’attendre à ne rien faire entre chaque ronde.
— Comme tu veux…
Spiros laissa Pierrick à ses tâches et se rendit à la salle de surveillance servant aux relevés d’observations. Tous les radars et télescopes, hormis celui du professeur Corson, étaient braqués sur le Lunar Centaury afin d’espionner les moindres faits et gestes. Le but n’était pas de prévenir une attaque imminente, car les communications avec Terre Nouvelle prenaient trop de temps, mais d’en apprendre plus sur la base des Black-Trons. Jéricho était déjà en phase d’alignement avec elle, ce qui rendait l’observation plus aisée. Il fallait donc en profiter pour récupérer et analyser un maximum de données.
— Salut, dit Spiros en entrant dans la salle. Je peux vous aider à quelque chose ?
— Salut, le bleu, répondit Godrik, sans un regard vers lui.
Décidément, ce sobriquet me collera à la peau aussi longtemps que je n’aurais pas fait mes preuves…
— Tu peux te mettre devant cette console si tu veux.
— Et qu’est-ce que je dois y faire ?
— C’est la console qui est reliée au senseur infrarouge. Ça détecte la chaleur dégagée par la cible et ça nous permet de découvrir s’il y a une activité plus intense ou non.
— Je vois.
— Ce n’est pas très palpitant, mais si tu peux prendre les relevés, ça m’arrangerait. Je dois les comparer avec ces données ultrasoniques.
— Tu veux dire… les superposer ensemble ?
— C’est ça ! On cherche à savoir ce qui peut se passer sur cette Lune noire. On a déjà relevé des signes d’activité plus élevée à des périodes assez précises.
— Et ça signifierait… ?
— On ne devrait pas tarder à avoir la réponse. Fais-moi le rapport détaillé sur ce que le senseur a pu constater sur les dix dernières heures.
— Compris !
La tâche n’était, effectivement, pas très palpitante. Après avoir séparé la plage horaire voulue, il suffisait de copier la bande vidéo recueillie et de la sélectionner pour l’envoyer vers une cassette d’enregistrement. La reproduction prenait un certain temps, obligeant à attendre.
Spiros en profita pour se faire former sur les autres appareils de surveillance. Rien n’était compliqué dans l’utilisation, mais la lecture des données était bien plus difficile à interpréter.
— Pour ce qui est des mesures complexes, expliqua Godrik, on laisse le professeur Corson s’en charger, ce qui le rend encore plus bougon. Il le fait quand même, car certaines données lui sont utiles dans ses recherches. Mais il se passerait bien de nous filer un coup de main. L’autre jour, il a insinué qu’on n’avait rien à faire dans la station.
— Pourquoi est-ce qu’il est comme ça ? demanda Spiros.
— Il en veut farouchement à la Police Spatiale d’avoir réquisitionné la station Alpha-3. Mais je pense qu’il y a autre chose.
— Comme quoi ?
— Je ne sais pas et je ne souhaite pas le savoir. Tout ce que je désire c’est rentrer sur Neyria dès que la mission sera terminée et ne plus entendre parler de lui. Il me porte vraiment sur les nerfs et pourtant, Dieu sait combien je suis patient.
— Je te comprends. Moi aussi, il m’a énervé tout à l’heure alors que je lui apportais sa disquette…
— Tiens, la copie est finie. Passe-moi la transmission, je vais la superposer à ce que j’ai relevé.
Ils firent quelques manipulations puis l’écran devant eux afficha deux graphiques : l’un bleu, l’autre rouge.
— Le bleu représente les émissions sonores que nous avons captées et le rouge celui des émissions de chaleur. L’ordinateur va maintenant les imbriquer en fonction de la plage horaire afin d’établir les pics d’activités.
— Heu… Je sais que je ne suis pas astrophysicien, mais… comment peut-on capter du son dans l’espace ?
— C’est une excellente question ! dit Godrik. Personnellement, je ne peux pas t’expliquer avec des mots savants, mais, en gros, nous avons plusieurs antennes autour du cratère de la station. Elles peuvent capter la moindre vibration à des millions de kilomètres sur une surface quelconque. Elles sont par la suite interprétées par un superordinateur et affichées sur les moniteurs ici.
— Whoa ! quelle invention !
Ils attendirent quelques secondes que l’ordinateur finisse ses calculs. Les deux graphiques se superposèrent ensuite l’un sur l’autre.
— Alors…, marmonna Godrik en visualisant le résultat. Recherche d’un accroissement d’intensité… dernière hausse enregistrée… nous y voilà !
Spiros ne saisissait pas la signification du graphique devant lui. Les deux courbes se croisaient et se recroisaient, suivant presque les mêmes hausses sans toutefois être vraiment synchronisées. Pourtant, le regard de l’agent Godrik indiquait que lui comprenait parfaitement ces courbes.
— Je crois que je commence à saisir, dit-il doucement. La station entière est en activité à certaines heures régulières. Il y a constamment une source de chaleur au cœur du Lunar Centaury, sûrement des générateurs d’énergie, mais, sur un cycle de deux jours, cette même source augmente considérablement et semble s’éparpiller comme un essaim de mouches surexcitées.
— Ce qui veut dire… ? demanda Spiros, toujours dans l’incompréhension.
— Eh bien… regarde ce spectre de chaleur que j’ai sorti il y a deux jours justement.
Il montra une image infrarouge de la Lune Noire. Il y avait une tache rouge bien visible au centre puis des traits qui se dispersaient sur la superficie du globe.
— C’est la chaleur dégagée par l’activité de la station Black-Tron, expliqua Godrik. On y voit clairement qu’elle est construite sous toute la surface de la Lune Noire. Elle est vraiment impressionnante.
— Elle est gigantesque, souffla Spiros en prenant conscience de la taille de la base ennemie. Comment ont-ils pu bâtir ça ? Et quasiment sous notre nez ?
— Je ne sais pas… mais sûrement en partie avec les matières premières qu’ils nous ont volées, j’imagine…
— Une station de cette taille doit avoir besoin d’une forte alimentation, fit remarquer Spiros. Mais avec quelle énergie et quelle source ?
— Là est la question, admit Godrik en secouant la tête. Je pense qu’ils se servent de ces particules noires.
Quelques mois auparavant, une intervention près de la ceinture d’astéroïdes sur un transporteur Black-Tron avait permis de récupérer d’importantes informations sur l’ennemi. Leur appellation venait de leur technologie énergétique qui était basée sur d’anciennes théories selon lesquelles des magnétrons, lancés en compression dans des convertisseurs d’antimatière, créaient ce qu’ils dénommaient des "particules noires", de l’énergie à haute densité, supérieure à l’Énergie Pure utilisée par la colonie.
— Mais que se passerait-il si leur base n’était plus alimentée ? demanda Spiros par curiosité.
— Je vois deux cas de figure : ou le globe reste suspendu dans l’espace à la dérive ou bien, happé par l’attraction terrestre de Yohanan, il s’écraserait à la surface de celle-ci. La Lune Noire est demeurée stationnaire depuis leur sortie derrière la planète, ce qui a forcément perturbé son cycle de rotation. Évidemment, ce n’est qu’une théorie.
— Mais comment ça, ils iraient à la dérive ou s’écraseraient sur Yohanan ? s’étonna Spiros. La Lune n’a pas besoin d’énergie extérieure pour garder son orbite autour de la planète, ou alors je ne m’y connais vraiment pas en astronomie.
— Ton raisonnement est juste, approuva Godrik. Mais étant donné que les Black-Trons ont investi le cœur de la Lune Noire pour en faire le Lunar Centaury, ils ont probablement déréglé son mouvement orbital. Et actuellement, la Lune noire reste stationnaire et ne suit plus le courant autour de Yohanan, comme s’il y avait une contre-poussée à ce mouvement. Donc, ils ont besoin d’une immense quantité d’énergie en permanence pour garder sa position, mais aussi pour se déplacer à leur guise.
— C’est pour ça alors qu’ils volent nos ressources ? Pour… « alimenter » leur base stellaire ?
— Peut-être en partie… Mais des rapports ont confirmé qu’ils utilisent surtout le métal dérobé pour la construction de leur armée. Et si nous pouvions percer le secret de leur énergie, nous pourrions développer des systèmes de défense efficaces.
— Et si l’on essayait de les espionner en allant directement sur le Lunar Centaury ?
— L’idée a déjà été proposée et même appliquée, répondit quelqu’un derrière Spiros.
C’était le caporal Abell, qui dirigeait l’équipe sur Alpha-3.
— C’était il y a trois mois, expliqua-t-il en s’asseyant sur une chaise. J’étais en poste sur le Destiny à ce moment-là et j’ai été désigné avec quatre autres agents pour aller se poser sur la surface du Lunar Centaury afin d’installer des bots d’espionnage. Nous n’avons jamais pu l’atteindre parce qu’une flotte Black-Tron nous est tombée dessus. Et heureusement que le Destiny était à proximité et a pu nous porter secours, sans quoi nous aurions été les premières victimes de la Police Spatiale.
— Je n’ai pas entendu parler de cette mission…
— L’affaire est restée confidentielle. Il y avait bien assez de mauvaises nouvelles avec ces histoires de scission sur la colonie, il était inutile de miner le moral des troupes à cause d’un énième échec.
— C’est sûr…
Spiros se rappela fort bien de Julius, habituellement dépourvu de réactions émotives, avoir été dépressif pendant presque deux semaines. Le départ de Centralville de nombreux colons, partisans d’une idéologie plus agressive envers les Black-Trons, avait déstabilisé l’ensemble des habitants restants. C’était une première dans l’histoire de la septième colonie qu’une partie de la population s’en aille ainsi pour fonder une ville ailleurs. Il était prévu dans l’avenir que de nouvelles cités soient construites sur d’autres régions de Terre Nouvelle, mais pour une expansion de la colonie et non suite à un désaccord.
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