Course poursuite
La Comète Bleue volait à travers le dédale d’astéroïdes en évitant soigneusement les petits débris rocheux qui pouvaient aisément lui fracasser une aile ou transpercer la carlingue. La zone était très dense et difficile à traverser. Avec une telle vitesse de vol, la concentration était mise à rude épreuve et la moindre erreur de pilotage pouvait être fatale. L’adjudant Bannoc était certes l’un des meilleurs pilotes de la police, mais ce secteur était très ardu, l’obligeant à faire appel à ses réflexes les plus aiguisés. Avec sang-froid et adresse, il était parvenu à proximité du point de sortie où il pourrait enfin passer en vitesse semiluminique et envoyer ensuite un message au centre de commandement.
Son esprit était malgré tout inquiet. Il espérait que la flotte s’en tire sans dommage et qu’aucun pilote de chasseur ne se fasse abattre. Hélas, contre un ennemi qui usait de manières fortes, il y aurait forcément des morts un jour. Cette pensée le fit frissonner et il pria que cela n’arrive pas aujourd’hui. Puis il se concentra sur ses commandes.
Alors qu’il approchait de plus en plus du point de saut, son radar détecta un signal énergétique à bâbord. Il lança une analyse approfondie et le résultat indiqua quelque chose qui n’avait pas été prévu par l’agent Derry : un troisième escadron Black-Tron !
L’avaient-ils repéré ou bien n’étaient-ils que de passage, il n’aurait su le dire. Ses senseurs étaient également incapables de savoir de combien de vaisseaux cette troisième flotte était composée.
Que fallait-il faire ? Sortir de la zone maintenant était risqué, car la première escadrille ennemie pouvait le remarquer et envoyer un bataillon pour l’intercepter. Si les chasseurs du second escadron ne l’avaient pas localisé, il pourrait sortir à l’endroit prévu et continuer vers le centre de commandement sans être vu. Mais si l’adjudant avait pu détecter cet escadron, eux l’ont probablement aussi repéré, bien qu’un seul appareil soit plus difficile à cela. Bannoc conclut qu’il n’avait d’autre choix que de s’en tenir au plan et d’improviser en cas de besoin.
Le point de sortie se trouvait encore à quinze minutes de sa position. Il réduisit cependant son allure pour éviter d'être remarqué. Cela le faisait rager de devoir perdre ainsi du temps, tout en sachant dans quelle situation étaient ses compagnons. Il contourna un gros astéroïde par la droite, cherchant à mettre un peu de distance entre lui et les parasites du Lunar Centaury.
La ceinture avait une largeur de plusieurs millions de kilomètres, suffisamment de quoi camoufler aux radars un simple chasseur. Pourtant, l’écran de contrôle du Striker indiquait que les appareils ennemis s’approchaient bien de lui.
Que faire ?
L’adjudant arriva finalement au point de sortie lorsque deux Intruders le prirent en chasse et ouvrirent le feu sur lui. Très vite, d’autres prédateurs Black-Tron lui barrèrent la route en passant vers l'avant, lui rendant la situation encore plus difficile.
Ils deviennent de plus en plus stratégiques, remarqua l’officier. Il va falloir être plus prudent à l’avenir.
Le terrain lui donnait un avantage certain. Les corps rocheux étaient majoritairement de petites tailles dans un espace restreint et les esquiver demandait beaucoup d’adresse au pilote, diminuant les possibilités de cadrer les tirs laser. Mais Bannoc était un virtuose, virevoltant dans tous les sens, évitant aisément les astéroïdes et offrant à ses assaillants une cible bien difficile à atteindre. Il s’en donnait à cœur joie et éprouvait une certaine euphorie à réaliser ainsi ce ballet spatial, comme s’il s’agissait d’un jeu entre camarades. Un jeu cependant mortel…
L’un de ses assaillants lança un missile téléguidé qui se mit à le poursuivre avec beaucoup plus de dextérité que son tireur. Bannoc augmenta sa vitesse, mais la torpille était plus rapide. Ne pouvant l’éviter de cette manière, il ne lui restait plus qu’à faire preuve d’ingéniosité afin de contrer cette attaque.
Son artillerie ne pouvait guère l’aider dans cette situation. Le laser était une arme offensive destinée à réduire les boucliers d’énergie et les projectiles IEM n’auraient été efficaces que s’il avait la cible face à lui. Les mines IEM, en revanche, auraient une meilleure utilité, à condition que l'objet entre en collision avec elles, mais avec la vitesse, la chance pour que l’impact se produise n’était que d’une sur des millions.
Plus que quelques secondes !
Bannoc tenta une manœuvre pour l’attirer contre un des corps rocheux. Il coupa les gaz et pointa le nez de l’appareil vers le haut à un angle droit de sa direction initiale. Le chasseur fonça alors sur un astéroïde de taille moyenne, le ventre face à ce dernier. L’adjudant attendit encore une seconde de plus avant de rallumer les moteurs et de pousser à fond leur puissance, au risque de surchauffer les réacteurs.
L'appareil changea brutalement de direction. L’action fut si rapide que le missile n’eut pas le temps de modifier sa trajectoire et vint percuter l’astéroïde dans un flash lumineux, comme s’il ne s’agissait que d’un simple pétard festif. Il était moins une.
Cependant, les chasseurs ennemis étaient toujours à sa poursuite. Bannoc avait dépassé le point de sortie prévu, mais s’il devait prendre la direction de Neyria, il indiquerait à l’escadrille l’emplacement du centre de commandement, ce qui était un risque non négligeable.
La seule possibilité restante était d’effectuer le trajet en deux temps : se rapprocher suffisamment pour qu’un message soit transmis rapidement au centre de commandement afin qu’ils puissent être prêts à accueillir les poursuivants à leur arrivée, puis repartir en vitesse semiluminique, ce qui permettrait au vaisseau Destiny de se préparer. Si l’ennemi ne le rattrapait pas d’ici là.
L’adjudant vira vers le haut et réajusta sa position par rapport au soleil. Il augmenta son allure pour sortir de la ceinture d’astéroïdes, suivit des Intruders qui ne le lâchaient pas d’une semelle. Son propulseur semiluminique était prêt au lancement et la trajectoire déjà calculée. Il devait juste gagner assez de terrain sur ses poursuivants pour avoir le temps de se positionner une fois hors de la zone.
Il manqua de se faire toucher par un bloc rocheux qui venait de se détacher d’un corps plus gros, mais il put l’éviter et se rétablir à temps. Étrangement, un peu avant les derniers kilomètres qui le séparaient du vide stellaire, il remarqua que les Intruders avaient cessé leurs tirs, bien que toujours présents derrière lui.
La réponse lui sauta aux yeux lorsqu’il franchit les derniers astéroïdes de la ceinture. Une armada Black-Tron l’attendait, lui faisant obstacle pour l’empêcher de s’échapper : il était maintenant piégé.
Bannoc compta au moins une cinquantaine de vaisseaux en tout genre : des chasseurs, des transporteurs et des croiseurs de combat qu’il n’avait encore jamais vu.
Plus petits que les Deserters, ceux-ci avaient un aspect différent de leur design habituel. Ils avaient trois cockpits vitrés, dont deux de forme sphérique, sur chaque côté de l’appareil et le troisième au centre formait le nez en pointe du vaisseau. Il y avait également ce qui semblait être des chasseurs, complètement différents des Intruders. Leurs habitacles, situés à l’avant, étaient similaires comme ceux des croiseurs et ils possédaient des ailes déployées en croix, leur donnant un aspect de "mouches spatiales".
Avec un cockpit de la sorte ils sont fortement exposés, se dit l’adjudant en les observant.
Par la même occasion, il essaya de les scanner afin d’obtenir des clichés et des informations sur eux. L’ennemi dut le remarquer, car aussitôt il se prit un tir précis de laser qui manqua de faire tomber son bouclier d’énergie en une fois. Un crachotement dans son communicateur lui indiqua que quelqu’un tentait d’entrer en contact. Il régla sa fréquence et entendit un message d’avertissement de la part de l’ennemi :
— Ce message s’adresse au pilote du chasseur bleu. Nous vous sommons de vous rendre sans opposer de résistance. Un vaisseau de transport va venir vous récupérer. Veuillez désactiver votre arsenal et votre bouclier énergétique.
Bannoc ne répondit pas. Il ne savait pas quoi faire dans une telle situation. Si les Black-Trons le capturaient, ils auraient accès à toutes les informations concernant la Police Spatiale, ses vaisseaux, ses effectifs…
L’opérateur relança un appel :
— Si vous ne coopérez pas, nous serons dans l’obligation d’ouvrir le feu. Je répète, veuillez désactiver votre armement et votre bouclier ! Ceci est le dernier avertissement !
La sueur perla de son front sous son casque. L’adjudant avait bien les codes d’accès pour effacer la mémoire du navigateur de bord, mais cela supprimerait toutes les données de navigation ainsi que les repères de destination. S’il parvenait à s’enfuir d’une quelconque manière, il ne saurait comment rentrer sur Neyria sans les coordonnées.
Il coupa le bouclier d’énergie et mit ses canons laser en stand-by. C’était très risqué, mais si sa ruse réussissait, il pourrait se sortir de cette situation délicate. Un des gros transporteurs se déplaça alors dans sa direction. L’engin était d’une taille démesurée, au moins égale à celle de trois vaisseaux amiraux comme l’Odysséas. Bannoc le laissa s’approcher. Une immense porte s’ouvrit sur l’avant et l’avala entièrement, sous le regard de ses poursuivants qui savouraient leur victoire.
Bannoc était désormais leur prisonnier. Il pria pour que son plan fonctionne, aussi audacieux fût-il.
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