Renforts
Quelques minutes après, Niki longeait la carlingue de l’Odysséas sous la protection du bouclier énergétique. Heureusement pour elle, ce dernier volait à vitesse réduite à cause du cargo, car, en d’autres circonstances, elle n’aurait pu le suivre, même à pleine vitesse. Les salves ennemies étaient encore trop proches pour tenter de rentrer dans le hangar et la jeune pilote attendait de nouveau le feu vert du lieutenant.
La flotte venait enfin de jaillir de la ceinture et était désormais à vue des croiseurs adverses, perdant la protection qu’offraient les immenses corps rocheux, mais leur position ne leur permettait toujours pas d’entrer en contact avec Neyria. Dès lors que les vaisseaux Black-Tron furent en dehors du champ d’astéroïdes, ils gagnèrent en vitesse et pouvaient rattraper l’Odysséas en une heure.
— Capitaine, alerta le lieutenant Perguet. Nous n’avons aucune issue possible. Sans le cargo, nous aurions pu nous en sortir, mais, hélas, il nous ralentit beaucoup trop.
— J’en suis consciente, lieutenant, répondit Ferne. Je crains que la mission de l’adjudant Bannoc n’ait échoué, les renforts n’arriveront pas.
Elle était accablée de fatigue et son ego en avait pris un coup.
Être si près du but et devoir abandonner maintenant…
Elle rageait intérieurement, mais elle ne pouvait incomber la responsabilité de cet échec qu’à elle seule. Tous les visages des membres du personnel étaient tournés vers elle et attendaient une décision de sa part. Après une minute de réflexion, elle prit une grande inspiration et déclara :
— Envoyez un message au cargo M:Tronic. Que tout l’équipage rejoigne les capsules de sauvetage, nous allons les recueillir à bord du vaisseau amiral. Qu’ils abandonnent le navire…
— Abandonner le navire ? s’étonna le lieutenant Perguet. Mais capitaine, ce cargo contient des ressources précieuses pour la colonie ! Sans elles, nous allons tomber en pénurie de matières premières pour l’industrie sur Terre Nouvelle !
— Je le sais parfaitement ! s’emporta Ferne. Croyez que je suis tout à fait consciente des répercussions que cela va avoir, mais si nous voulons sauver nos vies, nous n’avons plus le choix désormais. Transmettez cet ordre immédiatement. Le temps nous est compté.
— Et que faire du cargo ? Allons-nous laisser son contenu aux mains de notre ennemi ?
— Non, nous détruirons le vaisseau après son évacuation.
— Bien mon capitaine, se résigna Perguet.
Tandis qu’il s’avançait vers le poste de communication, Julius se leva de son siège pour se diriger vers son supérieur.
— Capitaine, dit-il, permettez-moi de vous présenter mes excuses…
— Vos excuses ? s’étonna Ferne. Et pourquoi donc ?
— Pour ne pas avoir pu anticiper suffisamment les réactions de l’adversaire et de nous avoir conduit dans cette conjoncture.
— Agent Derry, cela n’est pas votre faute. Malgré votre manque d’expérience, vous nous avez tirés plusieurs fois de mauvaises situations. Personne n’aurait pu imaginer une issue comme celle-ci…
— Certes, capitaine. Mais j’estime que nous aurions pu éviter cela si j’avais su être plus efficace dans mes prévisions.
— Ces erreurs font de vous un être humain, Derry. Malgré l’intelligence des Néo-sapiens, vous n’êtes pas infaillible pour autant.
— CAPITAINE ! s’écria la vigie. Signature thermique en approche !
— De quoi s’agit-il ? demanda-t-elle en se redressant.
— C’est le Destiny ! En vue à onze heures !
Ferne ne put s’empêcher d’ouvrir grand la bouche de stupéfaction. Plusieurs membres de l’équipage poussèrent des cris de joie et de triomphe à l’annonce de cette nouvelle. Ce n’est que quelques minutes après que leur allégresse fut confirmée par l’arrivée du second vaisseau amiral qui sortit de l’hypervitesse et de sa flotte de chasseurs parés au combat.
— Capitaine, il y a un appel du Destiny pour vous.
— Passez-le-moi.
Le visage de l’amiral Bekker s’afficha sur le grand écran devant Ferne.
— Il me semble que nous arrivons à temps, capitaine Ferne, dit-il avec un sourire.
— C’est effectivement le cas, amiral Bekker, répondit-elle avec un soulagement non dissimulé. Nous sommes plus que ravis de vous voir.
— Dites au cargo de poursuivre sa route, nous le protégerons en servant de barrage. Faisons face à l’ennemi ensemble, Bayrénisse.
— Bien, amiral !
Elle se tourna vers son équipage dont la vigueur et l’engouement étaient revenus de plus belle.
— Envoyez un message au cargo pour annuler l’ordre d’évacuation. Qu’il continue d’avancer sans se soucier de nous et qu’il soit accompagné de deux chasseurs. Artilleurs, soyez prêts à lancer vos batteries sur les croiseurs ennemis à mon signal. Au poste de pilotage : barre à tribord, toute, nous faisons face aux poursuivants !
— À vos ordres, capitaine ! s’exclamèrent-ils tous ensemble.
***
Le vaisseau dépanneur finissait d’agripper le chasseur de Spiros afin de le tracter sur la plateforme située à l’arrière. La carcasse du Protector fut hissée par un bras mécanique et déposée en douceur sur un plateau derrière le remorqueur devant les yeux de son pilote qui tirait la moue.
Après une interminable course-poursuite contre les Intruders, Spiros fut secouru au dernier moment par l’escouade de la Police Spatiale envoyée par l’amiral Bekker pour lui porter assistance. Après avoir mis en déroute les chasseurs ennemis, ils escortèrent Spiros jusqu’à Neyria, mais en chemin, l’astronef de ce dernier eut une aggravation de l’avarie due au raclement de la carlingue contre l’astéroïde, l’obligeant à s’arrêter et dépressuriser l’habitacle. L’escouade dut alors faire appel à un remorqueur stellaire pour récupérer l’appareil et son pilote, puis rentrer enfin au centre de commandement.
Spiros s’en voulait d’une telle erreur de sa part alors qu’il connaissait parfaitement les manœuvres de pilotage. Cela allait lui valoir les brimades de ses camarades à son retour sur Neyria.
Le jeune agent était sorti dans le vide spatial, sous le regard des quatre Protectors qui stationnaient au-dessus de lui. Une fois le sien remorqué, Spiros monta dans le cockpit du vaisseau-tracteur accompagné du dépanneur en se déplaçant grâce à leurs jets-packs dorsaux.
L’intérieur de la cabine de pilotage était confortable et spacieux, entièrement immaculé, le tableau de bord recouvert de voyants qui se reflétaient sur la grande verrière saphir. Le style était clairement celui qu’avait adopté Futur-On pour l’ensemble de leurs appareils, hors ceux qui n’étaient pas destinés à la Police Spatiale. Bien que celui-ci faisait partie de la force défensive de Terre Nouvelle, il n’était pas aux couleurs de celle-ci.
L’escadrille resta dans un faible périmètre en cas de retour de l’ennemi. Le pilote du remorqueur pianota sur son tableau de bord et la cabine se chargea en oxygène après fermeture des écoutilles, permettant aux deux occupants de couper leurs propres bonbonnes dorsales et de retirer leur casque. Le convoi reprit alors sa route jusqu’à la lune de Terre Nouvelle.
— Est-ce que nous avons des nouvelles de l’Odysséas ? demanda Spiros.
— Le Destiny est parti en renfort un peu avant notre départ, répondit le réparateur. Nous en saurons probablement plus lorsque nous serons rentrés.
— OK.
— Au fait, moi c’est Jym ! Agent de service mécano et accessoirement dépanneur.
— Spiros, répondit-il pour se présenter en lui serrant la main.
— Alors, tu étais en poste avec Pierrik sur Jéricho avant de te perdre dans le coin ? C’est lui qui a modifié ton Protector comme ça ?
— Oui. Il a réussi à améliorer la propulsion pour gagner du temps entre Jéricho et Neyria.
— Ça ne m’étonne pas de lui… J’ai hâte de décortiquer cet appareil pour voir ce qu’il a fait dessus. Ça pourrait nous être utile pour la prochaine génération de vaisseaux.
— Tu pourrais m’en dire plus sur ces fameux nouveaux vaisseaux ? demanda Spiros, grandement intéressé.
— Je ne sais pas grand-chose non plus pour l’instant, répondit Jym en se frottant le menton couvert d’une barbe naissante. Tout ce qu’on fait au hangar à ce sujet, c’est de faire des rapports sur des tas de trucs différents qu’on envoie ensuite au siège de Futur-On. Ils doivent établir les plans des nouveaux appareils selon les relevés qu’on leur fournit, j’imagine… On nous a aussi demandé de leur transmettre les données d’astronavigation. Pour le coup, ce doit être pour rendre l’engin plus réactif aux commandes du pilote.
— Ça serait génial ! Plusieurs fois, j’ai rapporté que les Protectors manquaient de réactivité.
— La majorité de tes camarades nous ont dit la même chose, c’est pour ça que nous avons créé une mise à jour du firmware de l’ordinateur central. Ça a arrangé pas mal l’affaire, mais si le reste du chasseur ne suit pas, on ne peut pas faire de miracle. En même temps, les Protectors et les Strikers ont été conçus à la hâte pour protéger les convois miniers. Encore heureux qu’ils aient été efficaces jusqu’à maintenant. Mais quand on regarde avec attention les Intruders, ils sont supérieurs à nous.
— Ah bon ? s’étonna Spiros.
— Les Intruders sont technologiquement meilleurs que nos chasseurs. La preuve en est qu’ils sont capables d’être guidés par un ordinateur autonome. Le hic pour eux c’est qu’ils sont apparemment aussi inexpérimentés que nous au combat spatial. Il faut dire également que, même au temps de l’Ancien Monde, il n’y avait jamais eu de bataille dans l’espace. Nous sommes les pionniers dans ce domaine, eux comme nous.
Spiros restait dubitatif. Ainsi la technologie Black-Tron était supérieure à celle de la colonie… Mais dans ce cas, pourquoi n’avaient-ils toujours pas envahi Terre Nouvelle ? Pourquoi ne pas avoir détruit les forces de la Police Spatiale depuis cinq ans ?
Un bout de réponse naquit dans son esprit : Godrik lui avait appris que leur mégastation devait sans cesse être alimentée pour rester en position dans l’orbite de Yohanan. Et avec les pertes qu’ils ont subies, la mise en place de nouveaux vaisseaux doit leur prendre un temps considérable. Il en conclut qu’ils ne possédaient pas suffisamment d’effectifs pour une invasion à grande échelle. Et dire que la Police Spatiale se plaignait de ne pas avoir assez d’astropoliciers…
Le trajet dura plus d’une heure et demie à vitesse du remorqueur. Le Protector de Spiros fut déposé dans le hangar pour réparation tandis que les appareils de l’escorte atterrirent à leurs emplacements habituels.
Le hangar était immense, avec un plafond d’une hauteur de quarante mètres où se mouvaient d’énormes grues qui déplaçaient des chasseurs d’un emplacement à un autre pour les différentes étapes de maintenance. Au sol, les équipes travaillaient en apesanteur, mais certains techniciens étaient équipés de chaussures magnétiques leur permettant d’adhérer au plancher métallique. D’autres étaient à l’intérieur de machines tout à fait particulières : des combinaisons mécaniques.
Sortes d’exosquelettes robotiques hauts de trois ou quatre mètres, ces engins pouvaient soulever des charges cent fois plus lourdes qu’un simple être humain pouvait porter. Grande innovation de Futur-On, ces machines étaient très utiles dans les hangars de vaisseaux ainsi que pour l’exploration et les sites miniers. Dans ses débuts chez M:Tronic, Spiros avait conduit un de ces appareils avant de devenir pilote de satellite de surveillance. Lorsqu’il sortit du vaisseau-remorqueur, l’un d’eux passa près de lui et il se rappela à quel point on pouvait se sentir petit à côté.
— Alors Merig ? lança une voix qui lui était familière. On ne sait plus piloter ?
Il vit Morine qui descendait de son chasseur. Celle-ci enleva son casque et secoua ses longs cheveux pour les démêler.
— Tiens ? s’étonna Spiros. Tu étais dans l’escadrille ? Pourquoi tu ne m’as pas contacté directement ?
— Je ne voulais pas te mettre la honte devant tout le monde, plaisanta-t-elle. Dis-moi plutôt : comment t’as fait pour traverser la moitié du système solaire avec un simple Protector ?
— On me l’a modifié à la hâte pour le rendre plus rapide.
Spiros avait la désagréable sensation de se répéter à chaque fois qu’on lui posait la question et savait que ce n’était pas la dernière fois.
— Ah ouais ? Je veux le même !
— N’y compte pas, je risque même un blâme à cause de ça…
— Pourquoi ? Tu nous as avertis de la situation de l’Odysséas, il n’y a pas de raison de te blâmer sur quoi que ce soit…
— L’amiral Bekker n’était pas vraiment ravi que je sois passé par le Lunar Centaury. Ils m’ont repéré et probablement estimé mon point d’origine.
— Tu t’es arrêté au niveau de la Lune noire ?
— Oui, les changements opérés sur mon chasseur provoquaient de très hautes températures et pour le refroidir, j’ai été obligé de faire le chemin par étape.
— Combien en as-tu faites avant d’arriver au Lunar ?
— Heu… deux ou trois, je crois…
— Donc ils ne peuvent pas repérer ton point de départ, conclut Morine. C’est uniquement possible si tu avais fait le trajet en un seul saut.
— Tu es sûre ?
— Tu n’as pas suivi les cours d’astronavigation ?
— J’avoue n’avoir écouté que la moitié tellement ça me barbait…
— Je vais te les faire réviser, comme le sergent N’Doula.
— Ah non, sûrement pas ! Ou sinon tu iras de force avec moi !
Ils éclatèrent de rire au souvenir des leçons particulières de Spiros avec le sergent instructeur N’Doula, où Morine dut y participer malgré elle. Puis ils sortirent du hangar. Ils défirent leur combinaison dans le vestiaire puis se rendirent dans l’espace-détente pour prendre un café.
— As-tu vu les dernières infos de Terre Nouvelle ? demanda Morine en lui tendant un gobelet chaud.
— Je reviens de plusieurs semaines d’isolement sur une lune déserte, ironisa Spiros. Alors les nouvelles…
— C’est vrai, excuse-moi. Il y a eu un flash spécial hier dans la matinée. Ils montraient la nouvelle cité que les membres du mouvement belliqueux ont mise en place. Ils se sont installés à mille kilomètres de Centralville, dans la région des Sables .
— La région des Sables ? s’étonna le jeune homme. Pourquoi s’être établi dans ce désert ?
— On ne sait pas… ils ont choisi ce lieu sans raison précise. Ils ont maintenant leurs usines de confection afin d’être entièrement indépendants du reste de la colonie.
— Je vois… et les matières premières ?
— Ils veulent leur propre exploitation sur les planètes du système, mais la mise en place d’un spatioport comme celui de Centralville prend du temps. En attendant ils récupèrent une partie de ce que nous récoltons, c’est une décision du Grand Conseil.
— Comme si l’on avait suffisamment de ressources pour eux. Je doute qu’ils puissent devenir réellement indépendants de nous…
— L’avenir nous le dira.
Elle s’assit à côté de lui, but une gorgée de café puis posa sa tête sur l’épaule de son camarade.
— Je peux savoir ce que tu fais ? demanda-t-il, gêné par le poids de son amie.
— Chut… je suis fatiguée…
— Tu as fait une sortie spatiale de trois heures à peine, ce n’est quand même pas ce qui t’a épuisée à ce point ?
— Si. Laisse-moi me reposer un instant comme ça…
— OK…
Ils restèrent un moment ainsi en silence, sirotant leur café. Pas un bruit ne vint les perturber, l’espace-détente était désert, tout comme le réfectoire.
— Au fait, quelle heure est-il ? demanda Spiros.
— Heu… six heures du matin à Centralville, pourquoi ?
— Je n’ai plus la notion du temps. Sur Jéricho, les nuits durent plusieurs jours et les jours parfois à peine quelques heures…
— Heureusement que je n’y suis pas allée alors…
— Tu n’aurais pas aimé y être. Les douches sont très restrictives.
— En plus ! Pourquoi j’avais demandé à y être affectée ?
— Tu voulais sans doute faire ta maline.
— Idiot !
— J’ai faim ! déclara le jeune homme. J’ai besoin de manger quelque chose.
— Va au réfectoire alors. Il y a des sandwichs en ce moment…
— C’est vrai ? Quel miracle !
Spiros se précipita dans la cantine après avoir vidé son gobelet. Morine, surprise par la perte de son appui, s’écroula brusquement sur le banc.
— Mais… ? s’exclama-t-elle. Quel mufle !
Le réfectoire venait d’ouvrir et le personnel emplissait les bacs de nourriture. Spiros prit un plateau et commença à le charger de diverses choses qui lui passaient sous la main pour se faire un pain composé. Morine le rejoignit, l’air mauvais.
— Quecffoummm ne vmm ppmm ? demanda Spiros avec une miche de pain dans la bouche.
— Hein ? répondit la jeune femme en lui retirant la miche de ses dents.
— Quelque chose ne va pas ? répéta Spiros. Tu m’as l’air contrariée…
— Tu as vu comment tu m’as laissée m’écrouler comme un tas de linge sale ? Goujat !
— Oh, voyons ! Assieds-toi à côté de moi et prends une tartine…
— Non merci, j’ai déjà mangé il y a quelques heures…
— Tu devrais prendre des forces tant que tu le peux.
— Mon service est fini dans une heure, j’ai le temps. D’ailleurs, je devrais retourner au hangar au cas où je devrais repartir avec mon escadrille.
— Comme tu veux.
— Tu ne veux pas que je reste ?
— Si tu as du travail ailleurs je ne te retiens pas…
— OK…
Elle se leva subitement et s’en alla sans ajouter un mot sous le regard incrédule de Spiros.
— Elles deviennent vraiment toutes cinglées sur cette lune, marmonna-t-il en finissant son repas.
***
Quelques heures après le retour de Spiros sur Neyria, les flottes de l’Odysséas et du Destiny rentrèrent enfin victorieuses dans l’espace de la colonie après une rude bataille. L’ensemble des policiers et cadets présents au centre de commandement s’étaient déplacés jusque devant les portes du sas du monorail pour saluer les équipages qui sortaient des vaisseaux amiraux.
Ils reçurent des tapes amicales sur l’épaule ou serrèrent des mains qui jaillissaient de toutes les directions. La nouvelle de la capture de nombreux appareils ennemis, dont deux croiseurs Deserters, avait très vite fait le tour du bâtiment. Pas moins d’une trentaine de prisonniers avaient été arrêtés à la fin de la bataille et encore une fois, aucune perte parmi les astropoliciers n’était à déplorer.
Parmi le désordre qui se créait dans le hall, les supérieurs durent faire appliquer l’ordre afin de renvoyer chacun des agents et cadets à leurs postes.
Spiros retrouva Julius dans la caserne. Ce dernier était allongé sur un banc en train de se frotter le visage. Il semblait amaigri et ses cernes montraient clairement une accumulation de fatigue.
— Et bah alors ? lui demanda Spiros. À peine arrivé et tu dors déjà ?
— Spiros ? s’étonna Julius en ouvrant les yeux. Je ne m’attendais pas à te voir ici ! Tu es rentré de Jéricho ?
— Il a bien fallu que quelqu’un aille prévenir Neyria pour te sauver de la galère !
— Comment ça ?
— Bah, c’est moi qui ai averti le centre de commandement qu’une troisième flotte allait vous prendre en tenaille. Sans mon intervention, tu étais bon à passer tes prochains jours sur la Lune noire.
— Tu es en train de me dire que c’est grâce à toi que le Destiny est venu à notre secours ?
— Ça a l’air de te surprendre… je ne suis quand même pas si incompétent !
— Ce n’est pas ça… Peux-tu me raconter ce qui s’est passé de ton côté ?
Spiros lui relata en détail les événements depuis Jéricho, de la transformation rapide de son chasseur jusqu’à la bataille dans la bordure de la ceinture d’astéroïdes. Julius resta silencieux, écoutant avec attention. Lorsque son camarade eut terminé son récit, il fronça les sourcils, l’air anxieux.
— Donc, pour résumer, c’est ton intervention qui a permis au centre de nous secourir, marmonna Julius en réfléchissant.
— Ça fait trois fois que je te le dis. Tu ne sembles pas me croire…
— Bien sûr que je te crois. Mais dans ce cas, nous avons un gros problème sur les bras…
— Lequel ?
— Pendant que nous étions dans la ceinture, l’adjudant Bannoc est parti en solitaire afin de regagner Neyria et chercher du renfort. Lorsque le Destiny est arrivé, nous avions compris qu’il avait accompli sa mission.
— Je n’ai pas d’infos sur l’adjudant, dit Spiros, songeur. Quand je suis rentré, le Destiny avait déjà décollé pour vous rejoindre et je ne l’ai pas croisé.
— Ensuite, nous n’avons pas rencontré de troisième flotte ennemie, ce qui me laisse penser que celle-ci devait se trouver de l’autre côté de la ceinture et que l’adjudant est probablement tombé dessus lors de son trajet vers Neyria.
— Il a dû lui arriver quelque chose. On devrait prévenir les officiers !
— Tu as raison, même si je pense qu’ils sont déjà au courant. Ils sont en réunion en ce moment.
— On fait quoi alors ? On attend ?
— Nous n’avons pas le choix. Aucun ordre de mission ne nous a été donné. Et pour ne rien te cacher, j’ai vraiment besoin de dormir.
— Je confirme. Tes yeux ressemblent à ceux d’un boxeur après un combat sur le ring.
Julius se leva péniblement, aidé par Spiros en lui prenant la main. Jamais de sa vie il ne s’était senti aussi épuisé. Son dernier repos remontait juste avant le début des hostilités et n’avait duré que trois heures en tout. Spiros décréta qu’il serait plus judicieux qu’il l’accompagne au cas où il s’effondrerait avant d’atteindre son lit. Ils quittèrent le vestiaire et se dirigèrent tous les deux vers le dortoir des agents.
— Tu vas revenir sur Jéricho ? demanda-t-il à Spiros.
— Je ne sais pas, répondit celui-ci. Je pense que je devrais y retourner, l’équipe d’observation n’est désormais plus protégée. Mais j’ignore comment je vais y aller, j’ai traversé la moitié du système à bord d’un chasseur modifié qui aurait pu me sauter à la figure. Et en plus, je l’ai salement esquinté pendant que je cherchais à éviter l’ennemi.
— Nous n’avons pas beaucoup de véhicules, fit remarquer Julius. Tu devrais prendre soin des outils que l’on te donne.
— Je sais, j’ai juste fait une mauvaise manœuvre, ça arrive à tout le monde !
— J’espère que tu n’auras pas un blâme pour ça. Les officiers supérieurs sont sur les nerfs en ce moment.
— Le commandant Bekker va me convoquer pour faire mon rapport. Je devrais commencer à le rédiger…
Lorsqu’ils entrèrent dans le dortoir, Julius se mit directement dans sa cabine. Ces compartiments étaient des chambres miniatures de 1,60 m de haut pour 4 m de long. Un lit était placé dedans, ainsi qu’un placard et un mini-bureau équipé d’un écran pouvant être relié à un Holocom. Bien que l’espace fût très restreint, tout était parfaitement agencé et fonctionnel.
Julius s’endormit sans demander son reste tandis que Spiros se posa à sa table pour rédiger son rapport, chose qu'il exécrait par-dessus tout. Il préféra cependant tout mettre par écrit afin de ne pas être pris au dépourvu lorsqu’il serait convoqué dans le bureau de Bekker.
Alors qu’il venait de taper le premier paragraphe, il reçut un message sur son Holocom, l’invitant à se rendre dans l’étage de l’état-major.
Bon sang ! Déjà ?
Sans cacher son agacement, il enregistra le début de son rapport, éteignit son écran et sortit de sa cabine. Julius en faisait de même.
— Tu as été convoqué, toi aussi ? lui demanda Spiros.
— En effet, répondit-il en se frottant les yeux. Le monde entier ne veut pas que je me repose…
— Je peux leur dire que tu n’es pas en état, ils comprendront…
— Ça va aller, merci. J’ai pu dormir vingt minutes.
— Si tu le dis…
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