Chasse contre la mort

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Ferne et Quotor examinaient le plan de la bataille avec une concentration à toute épreuve. Pour l’heure, les pertes au sein de la Police Spatiale n’étaient que de 13 % contre 40 % pour les Black-Trons. La méthode employée par l’agent Merig, malgré sa non-conformité aux règles de la colonie, avait grandement contribué à ce résultat. Mais depuis que le sergent Pellia avait annoncé la récupération de Merig, les Black-Trons commençaient déjà à reprendre le dessus. L’escouade de l’adjudant Bannoc n’avait malheureusement pas réussi à approcher les étranges vaisseaux ennemis et avait été obligée de se replier pour éviter la contre-attaque des croiseurs Deserters.

— Nous n’allons pas nous en sortir à ce rythme-là, déclara Ferne. Nous avons contenu l’armée des Black-Trons, mais ils mettent à mal nos troupes ! Malgré l’intervention de Merig, nous sommes toujours en sous-effectif !

— Je le sais, Bayrénisse. Mais nous ne devons pas nous apitoyer sur notre sort. Il y a d’autres solutions que nous pouvons employer.

— Mais lesquelles ? Notre étau se desserre chaque minute ! Nous n’arrivons pas à cadrer nos effectifs !

— Capitaine, appela la vigie, nous avons un message de Centralville. Le bouclier atmosphérique est prêt à être déployé. Ils n’attendent que nos ordres pour le repli.

— Merci caporal Bein. Amiral, c’est peut-être notre seule chance d’éviter un maximum de perte dans nos rangs…

— C’est vrai, mais un repli maintenant donnerait également l’opportunité à l’ennemi de nous abattre facilement.

— Alors, servons de couverture à nos chasseurs, insista Ferne.

— C’est encore trop risqué pour le moment. Voilà ce que nous pouvons faire : renvoyons l’adjudant Bannoc vers ses troupes sur le flanc gauche afin de les rassembler. Ici, les effectifs Black-Trons sont beaucoup moins nombreux et bien plus épars. De plus, le Séraphin leur apporte un puissant soutien. De cette manière, nous allons repousser l’armée de la Lune noire vers le centre pour les forcer à se regrouper.

— Cela me semble réalisable…

— Et où en est ce fameux prototype ? demanda Quotor. Il pourrait bien nous être utile…

— Amiral ! s’indigna Ferne. Vous voulez renvoyer au front l’agent Merig après ce qui s’est passé ?

— Je crains que nous n’ayons guère le choix. Nous devrions le garder en réserve en cas de besoin, mais si la situation se dégrade encore, il pourrait être notre meilleure chance.

Ferne ne voulait pas l’admettre, mais il avait raison. Cependant, avec le système NG, cela reviendrait quasiment à sacrifier la vie de l’agent Merig.

***

Spiros s’amusait avec les Intruders. Son appareil offrait tellement d’aisance qu’il riait presque d’être aussi supérieur à eux. Niki était à ses côtés en l’aidant du mieux qu’elle le pouvait, mais elle n’avait pas la même efficacité.

— Spiros, ça suffit maintenant ! Les ordres étaient de retourner auprès des vaisseaux amiraux !

— Je sais, ma chérie ! Mais pour le moment, on est bloqué par ces chasseurs alors bon, j’essaye de nous frayer un chemin…

Niki resta bouche bée.

Ma chérie ? Il est sérieux là ?

Elle devint rouge de confusion sous son casque. Ce n’était vraiment pas le moment de la perturber avec ce genre d’appellation mignonne et nunuche.

— Spiros…, soupira-t-elle. Ne m’appelle pas comme ça !

— Quoi ?

— Ne m’appelle pas « ma chérie… », ça me gêne…

— Après la nuit qu’on a passée ? Et le bisou de tout à l’heure dans le hangar ? Ça ne comptait pas ?

— Ce n’est pas le moment de parler de ça…

— Certes, mais tu sais, moi j’ai vraiment apprécié. Je n’ai pas ressenti ça depuis notre rupture et c’était très agréable. J’ai envie de vivre ça encore avec toi et j’espère te retrouver dans ma cabine après cette bataille.

Mais… ! Il divague ? Il a perdu la tête, ce n’est pas possible ! Ça ne lui ressemble pas de dire ça de cette manière dans un moment pareil !

Elle lança un projectile IEM qui se planta dans un Intruder et le neutralisa dans la seconde. Il n’y avait plus aucun chasseur ennemi après celui-là, les deux derniers ayant pris la fuite. Niki souffla, soulagée que Spiros fût toujours autant efficace sans qu’il se soit relancé dans sa folie destructrice. Elle profita de ce moment de répit pour lui parler.

— Écoute…, soupira-t-elle après s’être replacée à ses côtés. Moi aussi j’ai apprécié… mais il y a peu de temps, c’était avec Lioris que j’étais. Tu ne le sais peut-être pas, mais on allait se marier dans les prochains mois. La vie me l’a arraché et je ne m’en suis pas encore remise. Cette nuit… c’était une faiblesse de ma part. Tu comprends ? Sans le vouloir vraiment, j’ai cherché à compenser sa perte avec toi, parce que tu étais accessible et que j’étais perdue dans ma tête… Je n’aurais pas dû, je sais, c’est ma faute. Tu peux me blâmer pour ça et je le mérite. Je ne veux pas que tu t’imagines des choses à cause de cette nuit ensemble… c’est de ça que je voulais te parler après l’affrontement.

Spiros ne répondit pas. Il ne comprenait pas pourquoi elle disait tout ça. Lui voyait très clair dans sa tête. Pour une fois depuis des semaines, il n’avait plus l’esprit embrouillé et savait parfaitement ce qu’il avait dit.

— Si tu ne m’aimes pas, dit-il enfin, pourquoi alors avoir fait ça ?

— Je te l’ai dit, j’étais perdue dans ma tête et… et j’ai profité de toi, voilà !

— Mais moi, je t’aime encore, moi !

— AH OUI ? s’emporta-t-elle soudainement. ALORS, POURQUOI M’AVOIR QUITTÉ IL Y A SIX ANS ? POURQUOI TU M’AS FAIT SOUFFRIR PENDANT CES ANNÉES SI C’EST POUR ME DIRE QUE TU M’AIMES MAINTENANT ?

Furieuse et contenant ses larmes, elle reprit le manche de son Striker et repartit vers la bataille. Spiros la suivit, décidé à poursuivre cette conversation.

— Pendant tout ce temps, tu m’aimais toujours, non ?

— Oh, tais-toi !

— Je voudrais que tu me répondes. Est-ce que tu as encore des sentiments pour moi ?

— Ce n’est pas le moment ! Agent Merig ! Ordre immédiat de vous rendre auprès du Séraphin !

— Ça ne te va pas de donner des ordres pour fuir ta peine et ta douleur. Affronte la situation !

— Spiros, arrête ! Cette fois, ça suffit ! Qu’est-ce que t’as à parler comme ça ? Laisse-moi tranquille, maintenant !

Il y avait vraiment quelque chose d’anormal chez lui. Était-ce ce chasseur prototype qui lui causait un dérèglement mental ? Mais par quel moyen ? Ou alors, c’était le stress du combat.

Sans crier gare, Spiros accéléra subitement et se posta devant elle, l’obligeant à manœuvrer habilement pour ralentir rapidement sans le heurter.

— QUOI ENCORE ?

Là, elle commençait vraiment à en avoir assez. D’une, ce n’était pas le moment d’une querelle d’amants et de deux, elle n’avait aucunement envie d’une telle discussion, surtout en cet instant.

— Très bien, je te laisse à ta peine. Mais moi, je veux que tu saches que je t’aime. Au fond de moi, je n’ai jamais cessé de t’aimer. Te quitter il y a six ans était une erreur de ma part. Je le sais enfin, tout s’est éclairé dans ma tête. Maintenant que j’ai cette puissance dans les mains, laisse-moi te protéger pour cette fois-ci. Et rappelle-toi bien de ceci : je t’ai toujours aimé !

Cette fois, il coupa la communication et repartit vers le front, laissant Niki seule, la tête baissée, n’arrivant plus à contenir ses larmes.

— Moi aussi, je t’ai toujours aimé… et je te déteste pour ça…

Elle reçut une transmission.

— Sergent Pellia, j’écoute ? répondit-elle en se reprenant.

— Ici l’adjudant Bannoc ! Où étiez-vous, bon sang ?

— Je suivais l’agent Merig, mon adjudant. J’ai pu le calmer, mais je confirme que son comportement est étrangement anormal. Quels sont les ordres ?

— Nous n’avons pas réussi à approcher les vaisseaux de l’arrière-garde. Par conséquent, nous restons en défense et nous poussons les troupes ennemies à se retrancher au centre de leur flotte. Le bouclier atmosphérique est en cours de déploiement.

— Allons-nous nous replier ?

— Pas pour le moment, mais c’est envisagé. Il faut se tenir prêt pour un repli imminent. En attendant, regroupez votre équipe.

— À vos ordres ! Et l’agent Merig ?

— Il doit rester avec vous. Ses performances ont montré qu’il est un atout majeur malgré son comportement. Ordre de l’amiral.

Mais… il n’est pas gérable dans son état !

— Bien reçu. Sergent Pellia, terminé.

Elle soupira. Après tout, que Spiros fasse ce qu’il voulait, elle n’en avait cure. Elle contacta tous les membres de son équipe et fut soulagée de voir qu’il n’en manquait aucun.

— OK les gars ! On se regroupe vers C-03, formation Wall. On va les rassembler comme des bêtes de foire !

En route, elle aperçut des agents Black-Trons sortir de leurs chasseurs neutralisés pour se déplacer en jet-pack vers des croiseurs.

Ils veulent regagner les gros vaisseaux comme ça ? Ils n’y arriveront jamais à ce rythme, ils doivent être désespérés…

À ce moment-là, un Deserter débarqua à proximité d’elle et la prit en chasse.

— Changement de plan ! lança-t-elle à son équipe. Croiseur ennemi sur ma position, impossible pour moi de décrocher.

— On arrive, sergent ! avertit un des membres.

— Laissez, je m’en charge, lança Spiros.

— Hein ? Spiros, ce n’est pas le moment !

Son chasseur passa près d’elle en direction du croiseur. Celui-ci ouvrit le feu sur lui, mais rata sa cible. En contrepartie, Spiros lui assena une rafale de laser. Après coup, le Deserter pivota sur lui-même pour manœuvrer et changer de direction, du moins, c’était ce que crut Niki pendant un court instant.

En vérité, il sortait de la ligne de mire d’un second croiseur qui arrivait droit sur elle par le haut. N’ayant pu modifier sa trajectoire, elle subit l’assaut des lasers lourds du bâtiment de guerre qui firent tomber son bouclier énergétique en quelques secondes.

Elle réussit cependant à changer son cap au dernier moment, lui évitant une mort certaine. Elle vit une baisse de régime sur ses réacteurs, physiquement endommagés, et son système de direction était au plus mal.

Mais, à peine en vue de son équipe qui fonçait pour la protéger, un Invader la prit pour cible en usant de tout son arsenal de tir sur elle, achevant ainsi le travail du Deserter. Niki ressentit alors ce que Lioris avait pu ressentir lors de sa propre mort : un froid glacial dans tout le corps, un noir intense qui l’entourait, le bain glacé et sombre des portes de la mort.

Son bouclier n’avait pu se régénérer à temps et ses moteurs explosèrent dans une réaction en chaîne destructrice qui annihila le Striker et sa jeune pilote, perdue à tout jamais.

— NON ! s’écria Spiros, réalisant ce qui se passait sous ses yeux.

Une rage désespérée monta en lui. À nouveau, des lignes de commandes apparurent sur la visière de son casque :

Initialisation //Lancement du programme de combat avancé//Neuro_system link_start

Aussitôt après, il sut parfaitement ce qu’il fallait faire. Il mit les gaz et fonça droit sur le chasseur responsable de la mort de sa bien-aimée tout en tirant sur lui. Ce dernier l’évita de peu et partit en fuite. Spiros le suivit, bien décidé à le détruire quoiqu’il advienne.

Le pilote était plutôt habile, esquivant les tirs de Spiros malgré ses facultés données par le système du prototype. La course-poursuite dura de longues minutes. Personne de la Police Spatiale n’intervint, les agents étant occupés à repousser l’ennemi sur le front.

Petit à petit, ils s’éloignèrent du champ de bataille. L’Invader n’arrivait pas à se défaire de son poursuivant qui le harcelait de laser qui mettait à mal son bouclier lorsqu’il l’atteignait.

Spiros ne ressentait aucune fatigue. Il n’en avait que pour son nouvel objectif : détruire sa cible. Rien d’autre ne comptait. Il le poursuivrait jusqu’aux confins de la galaxie s’il le fallait.

Après une demi-heure, ils arrivèrent dans l’attraction de Lydda, la seconde Lune de Terre Nouvelle. L’astre était plus petit que Neyria. Depuis l’espace, il reflétait une blancheur fantomatique face aux rayons du soleil.

En examinant sa surface bosselée et aux nombreux cratères, le pilote de l’Invader décida de s’y rendre. Après avoir mis un peu de distance avec son assaillant en pleine vitesse, il rentra dans l’orbite de la Lune et amorça sa descente.

Spiros étira un sourire mauvais. Il avait prévu ça et s’était laissé distancé exprès. Une fois à la surface, il pourrait aisément l’abattre parmi les défauts du terrain qui le ralentirait.

Il le laissa descendre encore en peu, encore, encore… puis, lorsqu’ils atteignirent une altitude suffisante, il augmenta de 30 % sa poussée puis, arrivé à bonne distance, recommença ses salves de tir.

Cette fois, il toucha amplement sa cible pour perturber sa trajectoire de descente. Le chasseur Black-Tron perdit le contrôle et partit en vrille de longues minutes avant de pouvoir se rattraper à temps, puis racla le sol lunaire, non sans avoir largué plusieurs petits objets métalliques dans son sillage.

Spiros les détecta juste avant leur explosion, mais l’un d’eux, dans sa déflagration, lui fit faire une embardée à deux cents mètres du sol, l’obligeant à se poser à son tour avec une certaine violence.

Le choc fut suffisamment fort pour décrocher son siège comme s’il avait enclenché l’éjection d’urgence. Son casque percuta la verrière, provoquant un dysfonctionnement dans l’écran de sa visière. Spiros atterrit ensuite à quelques mètres, avec la douceur que procurait le manque de pesanteur.

La visière finit par perdre l’affichage des commandes. Par chance, l’impact n’avait pas causé d’ouverture dans la coque qui aurait engendré une fuite d’air.

Cette fois-ci, il se rappelait ce qui s’était passé, un peu comme dans un vague souvenir, mais n’avait pas perdu sa colère face au pilote qui avait tué Niki.

L’Invader n’était pas très loin de sa position. Il progressa vers lui malgré la douleur dans ses muscles et son essoufflement qu’il ne pouvait expliquer. Mais sa rage lui faisait passer outre sa souffrance et n’avait qu’une envie : faire payer son acte au pilote Black-Tron.

Ce dernier s’extirpa de son cockpit, aussi mal en point que son poursuivant. Lorsqu’il le vit s’avancer dans sa direction, il prit la fuite comme il le pouvait. Arrivé au niveau du chasseur noir, Spiros examina rapidement l’intérieur et trouva ce qu’il cherchait : une arme létale.

Un fusil comme celui qui l’avait blessé sur Damass. C’était peut-être la providence qui l’avait placé là…

Aussitôt après, il reprit sa poursuite du pilote qui tentait d’escalader une dune de roche poussiéreuse.

Le jet-pack de Spiros était encore fonctionnel, il l’enclencha alors pour rattraper le Black-Tron et finit par atterrir sur son dos.

Épuisés tous les deux, ils peinèrent à se débattre l’un et l’autre jusqu’à ce que Spiros réussisse à pointer son arme sur la tête de son adversaire. Le Black-Tron tendit alors les mains devant lui. Le suppliait-il ? Il était impossible de le savoir. Spiros ne chercha même pas à se mettre sur sa fréquence radio pour l’entendre gémir de l’épargner.

Son visage était caché par la vitre noire de son casque, il était plus facile pour l’astropolicier de tirer sans voir un visage empli de pitié. Son doigt posé sur la gâchette, sa main tremblante, il était prêt à venger celle qu’il avait quittée et aurait tout donné pour la revoir en cet instant. Il prit une grande respiration, colla le canon sur la visière… puis abaissa son arme.

Non, il ne pouvait pas faire ça. Il ne voulait pas se rabaisser au niveau de ces meurtriers et en devenir un lui-même. Il ne vaudrait pas mieux que lui s’il pressait la gâchette. Il balança alors le fusil qui flotta légèrement avant de retomber comme une plume sur le sol lunaire.

D’abord remplit d’incompréhension, le pilote en profita ensuite pour se jeter sur Spiros, mais celui-ci le repoussa d’un coup de pied dans le torse tout en dégainant son Magnus II et tira trois cartouches de gel paralysant dans les bras de son assaillant. Une seule traversa une partie de la combinaison dépourvue de métal et lui engourdit tout le côté gauche. Spiros tira une autre cartouche de gel au niveau de l’aine pour lui bloquer ses jambes pendant qu’il irait lancer un appel radio afin de venir les chercher.

***

Deux jours plus tard, sur Neyria. Au centre de commandement de la Police Spatiale, ce n’étaient pas des réjouissances pour avoir réussi à repousser l’ennemi et neutralisé une grande partie de l’armée de la Lune noire qui étaient célébrées, mais une nouvelle cérémonie funéraire, un éloge à tous ceux qui avaient à leur tour trouvé la mort dans ce combat. Cette seconde perte, plus importante encore que la précédente, prouva à tous que cette fois-ci, ils étaient engagés dans une guerre. Ils comprirent également qu’aucun d’entre eux n’était préparé à ça, les agents comme les gradés.

Spiros avait été rapatrié quelques heures après avoir lancé l’appel avec son prisonnier. À son arrivée sur Neyria, il ne fut pas inquiété d’avoir détruit le prototype, mais il lui fut ordonné d’effectuer un examen médical complet, où un scanner du cerveau fut établi sans qu’il ne sache pourquoi. Il ne posa aucune question, son moral étant au plus bas. Cependant, il reçut une convocation pour insubordination, chose qu’il n’arrivait pas à comprendre également.

Il trouva quand même un grand réconfort en retrouvant Julius, Mervin, Néro, Morine et Junie, tous très secoués par cette bataille, mais sains et saufs. Julius avait tenu plus d’une heure dans son chasseur avant de manquer de carburant et de retourner auprès de l’Odysséas pour se réapprovisionner.

Mais le temps de remplir le réservoir, l’ordre fut donné à la flotte toute entière de se replier derrière l’écran atmosphérique de Terre Nouvelle. Cette ultime stratégie poussa l’armée noire à les poursuivre, pensant enfin gagner le combat. Mais leur bouclier ne résista pas un seul instant lorsqu’ils franchirent la barrière d’énergie planétaire et ce fut le coup de grâce.

Le pari avait cependant été très risqué : la protection avait pu être déployée à la limite de la force d’attraction de la planète où seuls les vaisseaux amiraux pouvaient rester stationnaires. Mais des Intruders, neutralisés par le bouclier, furent happés par l’attraction et s’étaient écrasés sur une zone proche de Centralville. La victoire avait été totale, mais laissait un goût amer.

Après la cérémonie funéraire, les corps des victimes qui avaient pu être récupérés furent envoyés à leur tour sur Terre Nouvelle. Celui de Niki n’avait pu être retrouvé, au vu de la destruction de son chasseur. Spiros avait personnellement rassemblé ses affaires dans une boite et l’avait déposé dans la navette afin de les remettre à sa famille. Lui-même ne conserva rien la concernant sur les conseils de Julius.

— C’est un moment très difficile à traverser mon ami et si tu veux arriver à faire le deuil le plus rapidement possible, il est bon de ne rien garder d’elle.

— Tu as raison… mais les souvenirs ne peuvent être jetés…

— En effet… Mais sache que l’Éternel est à tes côtés dans toutes les épreuves que tu rencontres. Parle-Lui de ta peine et de ta douleur, Il t’écoute et te répondra.

— Ouais…

— Si tu as besoin de parler, ou même de prier avec quelqu’un, je suis là, mon frère. Moi aussi je pleure la perte de nos camarades.

Spiros n’était pas encore prêt pour ça. Peut-être qu’il en voulait à Dieu de ce qui se passait. Il ne savait pas quoi songer pour l’heure et même si toutes les questions et pensées de ces dernières semaines s’étaient tues, il était tout aussi perdu.

Lorsqu’il se rendit dans sa cabine pour faire le point, il trouva une barrette à cheveux qui lui avait appartenu et qu’elle avait probablement laissée dans la précipitation. C’était celle qu’elle portait cette fameuse nuit, cette dernière qui lui apparaissait désormais à l’esprit tel un adieu. Son parfum était encore présent, emplissant son nez par sa délicatesse et sa douceur, comme si elle était là, près de lui. Il savoura cet instant en fermant les yeux. Mais il considéra cet objet comme une malédiction qui lui rappellerait son souvenir à chaque fois qu’il sentirait cette fragrance. Julius avait raison, il ne devait rien garder d’elle.

Une idée lui vint alors en tête. Il sortit de sa cabine et se rendit aux bureaux des officiers pour y trouver le capitaine Ferne. Celle-ci lui apparut très abattue moralement, ce qui ne le surprit guère. Il lui exposa sa requête, qu’elle accepta :

— C’est un peu étrange, ce que vous me demandez, agent Merig. Mais si cela vous tient à cœur, alors je vous donne l’autorisation.

Elle lui transmit sur son Holocom son accord. Il partit ensuite au hangar à vaisseau et enfila sa combinaison spatiale. Il y trouva Pierrik, à qui il exposa son idée. Ce dernier, aussi surpris que Ferne, le laissa sortir par un sas utilisé uniquement par les agents en ronde sans véhicule. Une fois à l’extérieur, poussé par son jet-pack, il se hissa au sommet du bâtiment le plus haut, la barrette à cheveux de Niki dans la main. De sa position, il observa tout le centre de commandement, ses tours en pointe, le circuit du monorail, le spatioport, les vaisseaux stationnés sur les pistes…

Tout ceci avait passionné Niki ces dernières années et s’y était consacré corps et âme, jusqu’à la mort. Elle était une pilote hors pair et une très bonne officière. Sa carrière aurait été brillante au sein de la Police Spatiale.

Maintenant qu’elle n’était plus là, Spiros sentait comme un vide dans tout ça, comme s’il manquait un élément important aux bâtiments, aux vaisseaux.

Mélancolique, il contempla dans sa main la dernière chose venant d’elle. Il soupira puis, après une brève hésitation, lança délicatement la barrette à cheveux au-dessus de lui. Elle dérivera ainsi dans l’espace infini.

— Voilà ton dernier vol, dit-il, la voix étranglée. Adieu Niki…

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