L'allée.
Dans mon enfance, j'ai eu la chance de vivre dans un endroit exceptionnel : un château. Ma mère était celle qui organisait les mariages, les anniversaires ou les tournages de film au sein de ce domaine, donc nous avions une petite maison, sur place. J'ai passé mes années à jouer dehors, dans la grande forêt qui bordait le parc du château, sur le terrain de tennis, apprenant à faire du vélo entre les chemins sableux ou construisant une cabane entre les pins mais surtout, il y avait l'allée.
Cette allée du château, c'était quelque chose. Elle faisait un kilomètre, était bordée de peupliers plus ou moins grands en fonction de leur mois de plantation, était composée de deux dos-d'âne et au bout de l'allée, on y voyait le château. Je l'aimais pour sa vue dégagée sur le ciel, quand je rentrais de l'école les soirs d'été. Ou plus grande, lorsque je m'éclipsais pour les soirées et qu'on y voyait les étoiles. Je suis passée avec différents sacs : le cartable à roulette, le sac à dos et le sac à main. Je l'aimais pour les jeux inventés avec ma soeur, on se garait et on faisait semblant d'habiter dans une grande maison, d'être voisines et d'avoir des enfants et un mari. Je ne sais pas pourquoi on aimait tant jouer à quelque chose qui est si loin de moi, désormais.
Il y a des restes, semés le long de l'allée du château. Des restes de souvenirs éparpillés, des morceaux de moi guidés par des évènements plus au moins importants : l'amour, les premières gueules de bois, la dernière fois que j'ai vu une amie, les glissades en vélo, les adieux, la rencontre de nouvelles personnes, Antoine, la conduite sans réussir à passer les vitesses. Des tas de gens ont marché dans cette allée, parcourant les un kilomètre en voiture ou a pied, sans se douter de ce qui les attendaient à la fin du chemin. C'est ça que je préférais, avec cette allée ; on ne savait pas qui allait venir. On voyait l'ombre d'une voiture se découper tout là-bas, et au fur et à mesure qu'elle s'approchait, on pouvait entendre les battements de nos coeurs résonner quelque part entre les tempes et les genoux. Oui, je sens parfois mon coeur qui résonne contre mes genoux.
J'ai tant attendu Antoine. Le soir de mon anniversaire, le lendemain, les années encore après. Je ne sais pas si c'est moi qui ne suis pas chanceuse en amour ou si c'est une question de temps. En tout cas, ça fait longtemps que j'attends. Et puis un jour, comme avec l'enfance, on arrête d'attendre la voiture, la personne ou la petite fille que l'on était. On apprend à faire avec, dans mon cas à faire sans. On s'habitue à tout, même si c'est difficile. Et puis, on a déménagé et j'ai parcouru l'allée du château pour la dernière fois. Je suis si nostalgique des lieux dans lesquels j'ai vécu qu'une nuit, je suis descendue de ma chambre et je suis allée marcher pour faire l'aller et le retour, apprécier le silence de la nuit et la couleur de la lune. Dans l'obscurité, chaque petite étoile qui brille fait monter le volume de ma mélancolie. J'ai pleuré, ce soir-là.
Et c'est la dernière chose que j'ai laissé, une empreinte de mes larmes dans l'allée du château.
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