Chapitre 1
Matthew
Bordel de merde. Je suis au trente-sixième dessous depuis hier matin et le réveil de Léana. Non, en réalité, je suis dans cet état depuis l’incident il y a trois jours. Mais j’avais espéré que Léa se réveillerait en meilleure forme.
Je n’arrive pas à croire qu’elle ait perdu la mémoire. Le médecin dit que cela peut être passager mais ils ne sont certains de rien. Son trou de mémoire représente quand même plus de trois ans de sa vie. De notre vie. En gros, ses souvenirs se sont arrêtés au jour où elle s’est fait assommer par un drogué qui avait appelé les secours en pleine crise de paranoïa. Selon le médecin, c’est parce qu’elle a déjà reçu un choc sur la tête. Le second a déclenché l’amnésie.
En attendant, peu importe la raison, Léana vient d’oublier trois ans de sa vie, trois ans de colocation avec Paul et moi. Et elle a oublié qu’elle et moi sommes plus que des collègues. Ça fait bientôt un an que nous sommes ensemble, et pour elle je ne suis plus qu’un simple collègue de travail. Je dois dire que je suis complètement dévasté. La raison est simple : j’aime cette femme.
Léana a emménagé à la coloc un mois après son altercation avec le drogué. Elle s’était fait jeter de son appartement par son connard de mec deux mois plus tôt et créchait sur le canapé chez Sophia. Ce type était un vrai connard. Infidèle, manipulateur et pas du tout pour elle. Paul et moi cherchions un colocataire et nous nous entendions bien avec Léa. On s’est dit qu’une nana, ça pourrait être sympa. Léana est un vrai cordon bleu et elle est un peu maniaque, ça semblait cool dans le sens où on s’est dit qu’on n’aurait rien à faire à la maison. On s’est totalement fait bouffer tous les deux, elle nous a fait marcher au pas en quelques jours.
- Matt ?
Paul débarque à la colocation après être passé à la caserne.
- Des nouvelles de Léa ?
- Le chef dit qu’elle va pouvoir sortir demain. Comment tu vas ?
Paul est le seul de la caserne à savoir que Léa et moi sommes ensemble. Les relations entre collègues d’une même unité sont interdites, mais difficile de cacher à un colocataire quand on dépasse les limites. On a essayé pourtant.
- On fait aller, soupiré-je.
- Je n’arrive pas à croire qu’elle ne veuille voir personne depuis hier.
- Elle doit être totalement paumée Paul.
- Je sais bien… Tu crois qu’elle va revenir à la coloc ?
- Aucune idée. Je vais essayer d’aller la voir demain matin.
- Je suis désolé mon pote, dit-il en me tapant affectueusement l’épaule. C’est vraiment la merde.
- A qui le dis-tu…
****
Lorsque je frappe à la porte de la chambre de Léana, j’ai les mains moites et je me demande encore ce que je vais bien pouvoir lui dire.
- Entrez !
J’ouvre la porte et passe la tête.
- Je peux entrer ?
- Je… Heu oui, entre.
Je m’exécute et observe la jolie brune qui se tient assise sur son lit. Elle a enfilé un tee-shirt ample et un jogging noir, et même habillé ainsi, elle respire la féminité. Elle n’a plus de bandage sur la tête, mais un pansement au niveau de sa tempe gauche. Son bras toujours en écharpe tient un livre. C’est moi qui lui ai déposé hier après-midi, et je vois qu’elle vient de le commencer. Elle l’avait quasiment fini avant l’accident.
- Comment tu te sens aujourd’hui ?
- Aussi bien qu’on peut se sentir quand on pense avoir encore vingt-cinq ans alors qu’on en a vingt-huit.
Je m’assieds sur le fauteuil à côté de son lit et lui tends un sachet de financiers. Un sourire illumine son visage et, pendant une seconde, je retrouve la jeune femme joyeuse et innocente que j’aime.
- Merci, il ne fallait pas, dit-elle en ouvrant le sachet.
- Léa, je sais que tu ne te souviens pas de ça mais… En fait on vit en coloc, toi, Paul et moi depuis plus de trois ans.
- Hein ? répond-elle la bouche pleine, ce qui me fait sourire malgré son expression choquée. Moi en coloc avec deux mecs ?
- Ouais, ris-je, et je te jure que ça se passe super bien. A vrai dire, tu nous as bien dressés. La maison brille du sol au plafond et aucune chaussette ne traîne.
Elle rit à son tour et ce doux son caresse ma peau. Bon sang, je donnerais tout pour qu’elle retrouve la mémoire et le sourire. Ça me tue de la voir aussi perdue. Ça me tue de ne pas pouvoir la rassurer et ça me tue de ne pas pouvoir la prendre dans mes bras et l’embrasser.
- J’imagine que ça te fait flipper tout ça mais tu peux compter sur nous. Si tu ne te sens pas prête à retrouver la coloc, Sophia propose de t’héberger mais elle n’a pas de chambre d’ami. A la coloc, tu as notre… ta chambre, tes affaires, tes souvenirs. Ce serait peut-être une bonne idée d’y revenir. Enfin je ne sais pas, c’est comme tu le sens.
Je ne peux décemment pas lui dire que nous sommes ensemble. Je ne veux pas la brusquer.
Léana
Bon sang, je ne sais plus quoi faire ni quoi penser. Tout le monde est sympa avec moi, tout le monde veut m’aider et me mettre en confiance, et moi j’ai juste envie de me terrer dans un coin et de ne plus penser à rien. Je veux retrouver la mémoire. Comment peut-on oublier trois ans de sa vie ? J’aimerais avoir ne serait-ce que des flashs, des images qui me disent que, si j’ai oublié, ces trois années ont quand même existé et sont juste enfouies dans mon cerveau, prêtes à se rappeler à moi.
- Je n’en sais rien Matthew. Je ne sais plus. Je suis totalement perdue.
Il attrape ma main et la serre dans la sienne. Moi qui ne suis pas très à l’aise avec les contacts physiques, je n’éprouve aucune gêne quand Matt me touche et ça me fait bizarre.
- Je comprends Léa, mais tu n’es pas seule, je t’assure que tout ce qu’on veut avec les gars, c’est que tu te sentes bien et que tu reprennes du poil de la bête. On a besoin de notre Guerrière à la caserne !
Il me sourit tendrement et moi j’essaie de me remémorer d’où me vient ce surnom, que j’ai déjà entendu hier de la bouche de Paul puis de Théo. Impossible de m’en rappeler. C’est tellement frustrant !
- Il vient d’où ce surnom ? dis-je en soupirant.
- Tu ne t’en souviens pas ? Bien évidemment que non, tu ne te souviens pas… Désolé. Quelques semaines après ton emménagement à la coloc, Paul et moi on est rentré totalement bourrés d’une soirée, avec plusieurs filles. Tu bossais le lendemain et tu as totalement pété un câble et viré les nanas, dont une qui était très accrochée à Paul et riait comme une hystérique. Tu l’as sortie en la trainant par les cheveux.
Il rit, moi pas. Sorti de son contexte, c’est plutôt moi qui passe pour une hystérique.
- A partir de là, Paul et moi t’avons appelée la Guerrière entre nous. Mais le jour où on est intervenu après un concert de rock pour le chanteur qui était coincé dans sa limousine retournée par des fans, tu as joué les gardes du corps pour empêcher les fans hystériques de lui sauter dessus et nous laisser faire notre boulot. Tu as géré comme une chef, et c’est devenu ton surnom officiel à la caserne.
Je souris. Ça c’est plus cool. D’autant plus que j’ai l’impression que Matthew me regarde avec fierté à cet instant. Je n’ai l’impression de le connaître que depuis six mois, mais si nous sommes en colocation depuis plus de trois ans, c’est que j’ai confiance en lui et que nous nous entendons bien. Et je me sens à l’aise avec lui. Trois coups portés à la porte nous interrompent et ma mère passe la tête dans l’entrebâillement.
- Oh maman, m’exclamé-je en me redressant dans mon lit. Je t’avais dit de ne pas prendre l’avion, que tout allait bien.
Ma mère entre, s’approche et me prend dans ses bras. Je fonds instantanément en larmes dans la chaleur réconfortante de son corps, dans mon cocon d’amour et de douceur.
- Je suis là ma belle, je suis-là, murmure-t-elle en me berçant.
Je ne sais pas combien de temps je pleure ainsi, je ne sais pas combien de temps ma mère me berce dans ses bras en caressant mon dos, mais je me sens un peu mieux quand mon nez rougi s’éloigne de son cou.
- Je vais vous laisser, murmure Matthew en se levant. Repose-toi, et n’oublie pas que chaque personne de la caserne est là pour toi d’accord ?
- Merci Matthew, soufflé-je en essuyant mes yeux. Il va falloir que vous me trouviez un nouveau surnom, la Guerrière ça ne colle plus vraiment vu mon état…
- Même une Guerrière a de petits moments de faiblesse. Elle reste humaine, sourit-il en m’embrassant sur le front.
- Matthew, merci de m’avoir téléphoné et tenue au courant, lui dit ma mère.
- Je vous en prie Lisa, c’est normal. Léa, tu réfléchis pour la coloc, ok ?
- Promis, souris-je.
****
Lorsque nous arrivons, Matthew et moi, devant la petite maison en briques rouges et aux grandes fenêtres, je comprends pourquoi j’ai accepté la coloc. Située en pleine ville, cette maison mitoyenne est bourrée de charme. Le porche protège une grande porte en bois foncé, et Paul nous attend à l’entrée avec un bouquet de lys dans la main. Je sors de la voiture de Matt et pousse le petit portillon en fer forgé pour le rejoindre.
- Salut ma belle ! dit Paul en me tendant le bouquet. Bienvenue chez toi !
Matthew m’a dit qu’ils ont pris tous les deux un congé pour m’accueillir, et je suis mal à l’aise mais touchée par cette attention. Je dépose un baiser sur la joue de Paul et le remercie. Ce geste me semble si naturel que je fige un instant. Est-ce que c’est juste une impression de déjà vu ?
- Allez, entre avant de prendre froid.
Il ouvre la porte et je découvre une grande pièce de vie alliant à la perfection la brique rouge et le style industriel. C’est très masculin mais des touches féminines qui pourraient bien venir de moi y ont été ajoutées. Contre le mur derrière la porte, une imposante commode en bois brut et un grand miroir servent à déposer les affaires. Sur la gauche, en continu sur le mur de la porte, un grand écran plat et deux canapés et un fauteuil noirs. Dans le coin, un poêle à bois et deux fauteuils en cuir. A l’autre bout de la pièce, une grande cuisine ouverte, mélange de bois et de blanc, et une table en bois brut pour huit personnes.
- Ta chambre est là, dit Paul en me montrant la porte en face de celle de l’entrée.
- Merci les gars.
- Donne-moi le bouquet, je vais le mettre dans un vase.
Je lui donne puis entre dans ma chambre et je me sens tout de suite apaisée. Dans une teinte beige, hormis le mur de la fenêtre en briques, elle est composée d’un grand lit sur la droite, d’un bureau et d’une armoire. Tout un pan de mur est recouvert de photos. Ma famille, mes amis en France, les gars de la caserne et Sophia. Bon sang, concernant les photos de la caserne, beaucoup ne me disent rien. Il y a pas mal de photos ici, j’imagine que la coloc est un lieu de rendez-vous fréquent. Il y a aussi pas mal de photos dans un bar. Sur beaucoup de clichés, je suis proche de Matt et de Paul.
J’entends frapper à la porte et la tête de Matt passe par l’entrebâillement.
- Tout va bien ?
Je me laisse tomber sur le lit et fonds en larmes. Matthew vient s’asseoir à mes côtés et me prend dans ses bras. Il me berce doucement en caressant mon dos.
- Tout va bien, tout va bien, murmure-t-il à mon oreille.
- Non… rien ne va, reniflé-je.
- Léana, tu es en vie, c’est le principal pour le moment. Tu aurais pu y rester. Tu es là, en bonne santé, c’est le plus important. Les souvenirs vont revenir, j’en suis sûr. Il ne peut pas en être autrement…
J’ai l’impression qu’il dit ces derniers mots autant pour me convaincre que pour se convaincre lui-même.
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