Chapitre 3
Léana
Lorsque je remets enfin les pieds à la caserne, j’ai l’impression de revenir à la maison. Certaines choses ont changé, comparé à mes souvenirs tout du moins. Un panier de basket est accroché sur la place à l’extérieur, ce qui n’était pas le cas avant, enfin, il y a quatre ans. Dans le garage, un petit coin a été aménagé en une sorte de salle de sport, avec un banc et des haltères. Je pose les yeux sur notre ambulance, qui semble bien neuve, et Sophia m’accueille en klaxonnant.
- Elle est magnifique n’est-ce pas ?
- Mon dieu, on l’a eu y a combien de temps ?
- Six mois environ ! C’est un bonheur à conduire, je te jure, tu vas adorer.
- Tu me laisses le volant ?
- Tu n’as pas oublié comment on conduit ? sourit-elle malicieusement, et ça fait du bien de rire de la situation pour une fois.
- Je ne crois pas, c’est comme le vélo non ?
- Je crois bien ouais. Allez, viens voir la cuisine ! Tu vas être bluffée !
Je traverse le garage et m’engouffre dans le couloir ouvert à gauche sur la cuisine et le coin détente. Effectivement, c’est totalement différent. Et pour cause : Théo et Paul sont en train de préparer le petit-déjeuner.
- Nouveaux équipements ! Enfin, ils ont trois ans, rit-elle en me désignant la cuisine.
Mais ce n’est pas vraiment ça que je regarde. Je n’en reviens pas de voir Théo et Paul en cuisine. Ça me parait impossible. Mon regard incrédule doit être bien visible car Matthew pose sa main sur mon épaule et la presse doucement avant de prendre la parole.
- Sophia et toi les menez à la baguette. Vous leur avez appris quelques plats et ils assurent leur tour de cuisine sans broncher maintenant.
- Ouais, on est une équipe de choc, partenaire ! ajoute Sophia.
Je souris, même si ça me fait bizarre de ne pas avoir tous ces souvenirs. Je crois que je commence à m’habituer à cette sensation.
Paul et Théo nous saluent de la main et continuent à s’affairer en cuisine. Je me souviens quand je suis arrivée ici, ces deux-là commandaient des pizzas au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner lorsque c’était leur tour de préparer le repas. Comme quoi, le temps fait son œuvre.
****
Trois ans plus tôt
J’entre timidement dans le garage et repère de suite la vieille ambulance que je vais partager avec Marie, que j’ai eue au téléphone la semaine dernière. J’ai entendu beaucoup de choses sur cette caserne, pas que des positives d’ailleurs, mais je suis contente de changer. Le chef de mon ancienne caserne était un connard misogyne, j’espère que le Chef Jones est plus juste.
- Bonjour ! Vous êtes la nouvelle ambulancière ? me demande un homme d’une quarantaine d’année, grand roux aux yeux d’un vert si clair qu’il paraît transparent. Je suis le Chef Jones, bienvenue !
- Léana Legrand, enchantée, souris-je en serrant la main qu’il me tend.
- Venez, je vais vous présenter la brigade, puis Marie vous fera visiter.
Je le suis à travers le garage et entre dans une cuisine avec une grande table pour une dizaine de personnes. En face, une salle de réunion cloisonnée par de grandes fenêtres, où se trouvent mes nouveaux collègues, les yeux tous rivés sur le Chef et moi. Nous entrons dans la pièce et nous dirigeons au fond, devant un grand tableau blanc, alors que mes collègues s’installent sagement à leurs tables.
- Bonjour à ceux que je n’ai pas vu. Je vous présente Léana Legrand, notre nouvelle ambulancière. Elle va bosser sur nos trois prochaines gardes en trio avec Marie et Armando, puis elle remplacera Armando qui, le veinard, prend sa retraite.
- Bonjour à tous, souris-je timidement.
- Marie, je te laisse gérer les présentations. Encore bienvenue Léana, ajoute-t-il avant de répondre à son téléphone et de sortir de la pièce.
Un jolie blonde d’une trentaine d’années se lève et s’avance devant moi vêtue de son uniforme d’ambulancière, un grand sourire aux lèvres.
- Salut, moi c’est Marie ! Je vais te présenter les sacs de testostérone, viens, rit-elle.
Elle me prend la main et m’entraîne au centre de la pièce avant que j’aie le temps de respirer.
- Je te présente Paul, dit-elle alors qu’un grand black canon s’avance vers moi.
- Je te souhaite bon courage avec Marie, elle est dingue, rit-il en me serrant la main.
- Très drôle mon lapin ! Lui c’est Steeve, le petit chef de la troupe, dit-elle en me montrant un brun gringalet qui me fait la bise et me souhaite la bienvenue. Ça c’est Matthew, le sauvageon de la troupe, ajoute-t-elle en papillonnant des yeux.
Je souris au grand brun qui s’avance et me fait la bise. Il a des yeux bleus dans lesquels on se noierait bien. Je comprends mieux le papillonnage de ma collègue, il est canon. J’adore les hommes barbus et j’avoue que physiquement, il ne me laisse pas indifférente. Il a un charme fou et il le sait, vu son sourire en coin. Pas de chance mon grand, je suis très douée pour jouer l’indifférente.
- Je ne suis pas un sauvageon, n’écoute pas ses conneries, rit-il. Je déteste simplement qu’on me fasse chier.
- Je prends note, souris-je.
- Bienvenue à la maison, dit-il en me faisant un clin d’œil avant de tourner les talons en interpellant le Chef.
- Armando, notre vieux bougre adoré, reprend Marie en embrassant sur la joue l’homme que je vais remplacer.
Il rit à son tour, me fait la bise et me souhaite la bienvenue. Il a la soixantaine, des cheveux grisonnants et un regard bienveillant.
- Et lui c’est Théo, dit-elle en me montrant un petit blond avec quelques kilos en trop. Il est un peu bourru mais c’est un gros nounours.
Il me serre la main en riant, avant de se tourner vers ce qui semble être un livreur.
- Le petit-déjeuner est arrivé !
Bon sang, des pizzas. Ils sont vraiment sérieux ?!
Matthew
J’attrape la main de Léana. Elle a l’air totalement perdue dans ses souvenirs et je prie intérieurement pour que ce soit positif.
- Hé, tout va bien ?
- Oui oui, dit-elle en secouant la tête comme pour se remettre les idées en place.
- Tu t’es souvenue de quelque chose ?
- Rien qui concernerait ma période d’amnésie, non, sourit-elle tristement.
- Voilà la plus belle !
Théo nous rejoint et prend Léa dans ses bras.
- Bon retour à la maison ma belle ! ça me fait plaisir de te voir. Tu rayonnes !
- Ça me fait plaisir de te voir aussi Théo, lui répond-elle en le serrant dans ses bras. Vous m’avez tous manqués ! Enfin, sauf toi Jérémy, désolée !
Le pauvre Jéjé n’existe pas dans la mémoire de Léana. Je me plains de ma condition, mais c’est pire pour lui. Il rit doucement, un peu gêné, mais lui fait la bise.
- Je m’en remettrai. Quand tu en auras envie, on papotera pour rattraper le temps perdu Léa. Content de voir que tu vas bien en tout cas.
L’accueil est chaleureux de la part de tout le monde, tout simplement parce que tout le monde s’apprécie, et tout le monde apprécie particulièrement Léana. Son fort caractère n’a d’égal que sa douceur. Elle inspire confiance et son regard bienveillant et son sourire sont réapparus à l’instant où les collègues l’ont saluée. Ça fait plaisir à voir.
- Léana, enfin de retour ! sourit le Chef Jones en arrivant, avant de la prendre à son tour dans ses bras.
- Je suis contente d’avoir enfin été autorisée à reprendre du service, Chef, je ne tenais plus en place.
- Je confirme ! s’exclame Paul en riant. La maison a été récurée de fond en comble, on fait un repas à même le sol demain soir si vous êtes intéressés.
Léa lui donne un coup de poing dans l’épaule en lui demandant un café. Il mime un salut militaire et va lui préparer une tasse. Petit toutou !
- Allez, en salle de réunion, ce matin on débriefe l’incident qui nous a conduits à ces retrouvailles de pleureuses.
Le Chef essaie de détendre l’atmosphère mais nous devons rediscuter de l’incident qui a causé l’amnésie de Léa. Elle n’aurait jamais dû être blessée et nous devons faire un rapport détaillé à nos supérieurs pour relater les faits et éventuels manquements. Ce ne sera pas une partie de plaisir, et ça risque d’être compliqué pour Léa qui ne se souvient de rien.
J’entre dans la salle de réunion et m’installe en l’observant discuter avec le Chef devant le tableau blanc. C’est ici que nous nous sommes rencontrés il y a plus de trois ans.
****
Trois ans plus tôt
Paul me donne un coup de coude alors que nous discutons en salle de réunion.
- Tu crois que c’est elle la nouvelle de l’ambulance ? Bordel, elle est canon !
Je me retourne et suis son regard. Une petite brune d’environ un mètre soixante-cinq discute avec le Chef Jones. Je caresse son corps du regard. Elle porte un jean moulant et un chemisier blanc rentré dedans, sous une veste en cuir ajustée. Ses cheveux légèrement ondulés tombent sur ses épaules. Son chemisier est ouvert sur quelques boutons et laisse deviner une poitrine assez rebondie. Son jean moule des hanches pulpeuses. Une silhouette en huit, un pur délice pour des mains baladeuses.
- Je crois bien que c’est elle oui. Marie dit que c’est une Française expatriée depuis cinq ans.
- On s’en fout, mate-moi ce cul ! murmure-t-il alors qu’elle entre et suit le Chef.
Effectivement, elle a un cul d’enfer. J’attrape le bras de Paul, qui bave comme un crapaud, pour le faire asseoir. Jones se racle la gorge avant de prendre la parole.
- Bonjour à ceux que je n’ai pas vus. Je vous présente Léana Legrand, notre nouvelle ambulancière. Elle va bosser sur nos trois prochaines gardes en trio avec Marie et Armando, puis elle remplacera Armando qui, le veinard, prend sa retraite.
- Bonjour à tous, dit-elle avec un sourire timide.
Et cette voix suave n’est pas pour aider à calmer mes ardeurs
Alors que Marie approche avec elle pour faire les présentations, je détaille davantage son visage. Elle porte peu de maquillage et ses longs cils mettent en valeur ses yeux, d’une couleur bleu-gris divine. Quant à ses lèvres charnues et rosées, elles sont un appel aux baisers et à des choses peu catholiques qui me viennent en tête. Merde, il faut vraiment que je tire un coup, je crois que je suis en manque.
- Ça c’est Matthew, le sauvageon de la troupe, dit Marie en papillonnant des yeux dans ma direction.
Je n’ai rien contre Marie, elle est belle, sûre d’elle, intelligente et gentille, mais les relations au boulot sont interdites et je ne compte pas déroger à la règle pour la jolie blonde.
La nouvelle me sourit tout en me matant des pieds à la tête. Je ne peux pas lui en vouloir, j’ai fait de même il y a quelques instants et je lutte pour garder mon regard sur son visage plutôt que sur ce décolleté qui appelle à être embrassé. Je lui lance un sourire en coin quand ses yeux reviennent aux miens.
- Je ne suis pas un sauvageon, n’écoute pas ses conneries, ris-je. Je déteste simplement qu’on me fasse chier.
- Je prends note, sourit-elle alors que ses yeux dévient sur mes lèvres.
- Bienvenue à la maison.
Il faut que je me sorte de là tout de suite, parce que mon corps est très réceptif à sa voix suave. Je lui fais un clin d’œil puis tourne les talons en interpellant le Chef. Je vais bien trouver quelque chose à lui dire.
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