Chapitre 21

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Paul

Assis dans la salle d’attente des Urgences, j’observe tout ce qui se passe autour de moi. Une mère berce son bébé qui ne cesse de pleurer alors que mes camarades prennent place sur les sièges vacants. Un couple regarde d’un air absent la porte qui sépare la salle où nous sommes du grand couloir où les soignants s’activent. Ils étaient tous là avant moi, avant Théo, avant Jeremy, avant le Chef Jones. Je fatigue, et je me dis que nous passons beaucoup trop de temps dans ces foutues Urgences.

Matt n’aurait jamais dû bosser. Depuis quasiment deux semaines que Léana a disparu, c’est une pile électrique et je peux le comprendre. Ce n’est absolument pas le style de notre colocataire de disparaître aussi longtemps et de ne pas répondre à son putain de téléphone. Seulement un message à Matt, Sophia et moi par jour, un insipide « je vais mieux » ou « j’ai encore besoin de temps ». Chacun de ses messages me fait littéralement bondir d’agacement. Je soupire lourdement et sors prendre l’air. Je n’en peux plus de tous ces drames. J’aurais mieux fait d’être prof, ou serveur, ou je ne sais quoi d’autre, pour ne pas voir les gens souffrir, pour ne pas voir mes amis en danger.

La joie de Matt n’aura pas duré longtemps. Lorsqu’il a débarqué dans ma chambre il y a de cela douze jours, un grand sourire aux lèvres pour me dire que Léa et lui avaient remis le couvert, j’ai cru que tout allait être plus simple à présent. Après des mois à le voir ruminer la perte de mémoire de sa douce, savoir qu’ils s’étaient plus ou moins retrouvés même si la mémoire de Léa n’était pas réapparue, m’a ôté un poids énorme de la poitrine. Mais quand nous avons trouvé le petit mot sur la table à manger, un simple « Je me souviens… Besoin d’air, ne me cherchez pas svp. Je vous <3 », j’ai vu le monde de Matt s’effondrer à nouveau dans ses yeux. Encore du drama. Pourquoi les choses ne peuvent pas être simples, merde ?!

Je sors mon téléphone et appuie une fois de plus sur le contact de Léa. De nouveau, je tombe sur sa messagerie après plusieurs sonneries. Jusqu’à présent je n’ai pas voulu l’affoler par rapport à l’état de santé de Matt, mais peut-être qu’en le faisant, elle rappliquera son joli cul à l’hosto, non ?

- Léa, je ne sais pas ce qui t’arrive mais ici c’est la merde. Matt a eu un accident, un plafond lui est tombé dessus pendant un incendie. Putain Léana Legrand, réponds-moi ! J’ai beau t’adorer, je te jure que je vais te faire la peau si tu continues à m’ignorer !

Pourquoi n’est-elle toujours pas revenue ? Pourquoi ne répond-elle pas ? Retrouver la mémoire, c’est ce qu’elle voulait non ? Je ne comprends pas son attitude. Léana ne fuit pas, elle se bat. Et là, elle fuit clairement quelque chose. Mais quoi ? J’étais certain qu’elle comprendrait nos motivations à ne pas lui avoir raconté ces années perdues, mais est-ce vraiment le cas ? Je commence à douter. Je me dis que prendre le large devrait lui permettre de se mettre à notre place et ainsi comprendre et nous pardonner, mais là c’est moi qui ai besoin d’elle, et Matt aussi. Nous n’avons pas réussi à la trouver. Impossible de savoir où elle a fui. Matt a téléphoné à sa mère en France, elle lui a assuré que sa fille n’était pas de retour dans l’hexagone.

Nous ne savons pour le moment rien de son état de santé. Matt était inconscient lorsque nous l’avons trouvé sous les décombres. Après un premier examen, Sophia n’a constaté aucune fracture, cependant lors de son transport à l’hôpital, elle a décelé une hémorragie interne et il a été emmené immédiatement au bloc en arrivant. Habituellement, Léa joue le rôle de soutien pour tout le groupe. Elle nous rassure, nous explique ce qui va être fait, les conséquences possibles. Sophia est partie à la recherche d’informations au sujet de notre collègue et j’ai besoin de ma meilleure amie. Vraiment besoin là. Je n’ai pourtant pas l’impression de demander la Lune. Je l’appelle une fois de plus avant de rejoindre mes camarades et tombe à nouveau sur la messagerie. Le contraire aurait été étonnant.

- Léa, murmuré-je sans cacher le timbre désespéré de ma voix. Ils viennent de l’emmener au bloc, Sophia dit qu’il fait une hémorragie interne. Je ne sais pas ce que tu fuis mais… Matt a besoin de toi et moi aussi.

****

Léana

Je pousse la porte de la coloc pour la première fois depuis quasiment deux semaines. J’ai profité de deux jours en bord de mer avant de rentrer plus ou moins à la maison. J’ai appelé le Chef Jones et posé des congés sans solde. Nul doute qu’à ce rythme je vais finir par me faire virer ou me retrouver interdit bancaire. Il m’a assuré son soutien mais m’a demandé de ne pas trop tarder à revenir. Je n’ai pas encore repris le travail, mais je suis rentrée rapidement. Hébergée par une amie de l’hôpital, j’ai profité de ce temps loin de la colocation pour me réapproprier mes souvenirs mais aussi pour consulter à nouveau le psychologue de l’hôpital. Cela m’a permis de prendre de la distance par rapport à tout ce qui s’était passé ces derniers mois, à déculpabiliser (du moins à essayer !) par rapport à ce que j’avais pu faire sous le nez de Matt et à tenter de comprendre pourquoi mes colocataires ne m’avaient rien dit. J’avoue avoir encore du mal à mettre de côté ma rancœur à ce propos mais je suis allée voir le neurologue qui m’a suivie suite à mon accident et il m’a expliqué le discours qu’il avait tenu à mes amis.

Je suis contente de constater que la coloc est silencieuse. Il me reste un peu de temps pour me faire à l’idée des retrouvailles avec Matthew. Il me manque atrocement et je rêve de me blottir contre lui pour oublier tous mes tracas. Paul n’est pas en reste, je crois qu’il me manque autant que lui, même si mes envies ne sont pas les mêmes. J’appréhende cependant les retrouvailles après avoir fui si longtemps. J’ai continué à donner des nouvelles mais n’ai répondu à aucun des appels de mes colocataires, pour la simple et bonne raison qu’à chaque fois que le nom de Matt ou de Paul s’affichait sur mon téléphone, les larmes me montaient aux yeux. Je voudrais effacer ces derniers mois d’amnésie, les actes qui ont pu faire du mal à Matt. Il m’est insupportable de concevoir l’idée de l’avoir fait souffrir. Matt est quelqu’un de bien, je suis profondément amoureuse de lui et je me dégoûte d’avoir couché avec un autre homme, je n’arrive pas à passer au-dessus de ce fait.

Mon téléphone sonne dans ma poche alors que je me débarrasse de mon sac de voyage dans ma chambre. Paul tente encore de m’appeler alors qu’il ne l’a pas fait depuis plusieurs jours. Je ne réponds pas mais lui envoie un message pour l’avertir que je suis à la coloc et que je ne repars pas. J’hésite à l’envoyer mais me dis que de cette façon, je ne pourrais pas fuir si j’ai un coup de panique. Puis je récupère ma trousse de toilette, des vêtements propres et file à la salle de bain. Je me déshabille et me démaquille en observant mon reflet dans le miroir. J’ai encore des cernes après ces nuits mouvementées, mais ma nouvelle coupe de cheveux, un carré plongeant aux épaules, me plait beaucoup. J’avais besoin de prendre un nouveau départ et changer de coupe m’a paru logique et nécessaire. Je file sous la douche, prends le temps de me bichonner, de faire un soin du visage et de dompter mes cheveux, les sèchant et lissant mes mèches rebelles. Anticernes, fond de teint léger, je m’habille avant de retourner dans ma chambre et de me laisser tomber sur le lit. Mon portable bip, annonçant l’arrivée d’un message de Paul qui date d’il y a plus de vingt minutes.

Paul :

Ecoute tes messages merde ! Je suis à l’hôpital, Matt est en chirurgie !

Oh bon sang ! Je bondis sur mes pieds, enfile mes baskets et me précipite à l’extérieur, récupérant mon sac à main au passage et mes clés. Une fois dans la voiture, j’appelle Paul et démarre. Je tombe sur messagerie, retente ma chance à nouveau et obtiens le même résultat. Mérité je dois l’avouer. Je profite d’un feu rouge pour interroger mon répondeur et constate que Paul est aussi paniqué qu’énervé. Je vais prendre cher, c’est sûr.

Lorsque je débarque aux Urgences, je remarque tout de suite mes collègues assis en salle d’attente dans leurs habits de feu. Paul tourne quant à lui en rond dans la pièce devenue exigüe vu le nombre de personnes qui y patiente. Il se rue sur moi quand il m’aperçoit et me prend dans ses bras. C’est une étreinte brute et je suis comprimée contre son grand corps musclé. Il sent la fumée mais je perçois en fond son odeur habituelle, mélange rassurant qui me fait me sentir chez moi. Lorsqu’il s’éloigne, le soulagement sur ses traits se mélange à la colère.

- Bordel, je vais te faire la peau Léa je te jure !

- Je suis désolée, dis-je penaude. Je te promets que tu pourras m’incendier autant que tu le souhaites plus tard. Quelles sont les nouvelles pour Matt ?

- Non, je ne vais pas attendre, s’agace-t-il. Ça t’intéresse vraiment de savoir comment il va ? Et ça t’a intéressé pendant le temps où tu t’es barrée ?

- Paul…

- Non merde ! Tu nous as lâché Léa ! Tu as fui sans te préoccuper de savoir ce que ça nous ferait ! Matt était dans un état déplorable par ta faute alors je te repose la question : ça t’intéresse vraiment de savoir comme il va ?

- Evidemment que ça m’intéresse, m’énervé-je à mon tour. Je l’aime bon sang ! J’ai paniqué en retrouvant la mémoire.

- Tu l’aimes ? dit-il en haussant le ton. Et tu abandonnes les gens que tu aimes ?! Comment crois-tu qu’il l’ait pris ? Sa mère l’a abandonné, son père n’a pas fait mieux et toi… toi non plus bordel !

Je sais, et c’est ce qui m’a poussé à revenir et à tenter de trouver les réponses à mes questions, les solutions à ma peur même si je suis encore terrifiée à l’idée d’affronter Matt. Je ne suis pas du genre à fuir d’ordinaire, mais la peur panique de voir la déception dans ses yeux, la rancœur qu’il pourrait éprouver envers moi m’a poussée à partir. Parce qu’il est évident que maintenant que j’ai retrouvé la mémoire, nous allons mettre ces derniers mois sur le tapis. Comment peut-il me pardonner alors que moi-même je n’y arrive pas ? J’attrape le bras de Paul et le tire vers l’extérieur car nos collègues ont tous les yeux rivés sur nous. Autant dire que ma relation avec Matt n’est plus un secret, Paul a crié haut et fort que j’étais amoureuse de lui, mais nous règlerons cela plus tard, si tant est qu’il y ait encore un nous après toutes ces galères.

- Paul… Je devais partir d’accord ? Je devais régler certaines choses et… J’ai consulté le psychologue de l’autre fois, j’ai vu le neurologue qui m’a parlé de votre conversation. Je… Je vous en voulais de ne pas m’avoir dit pour Matt et moi, il me fallait du temps.

Paul soupire et se frotte le visage. Ses traits sont tirés et je le prends dans mes bras et le serre contre moi. Il pose son menton sur ma tête et referme ses bras autour de mon corps.

- J’ai trompé Matt, Paul… J’ai tellement honte si tu savais.

- Tu ne te souvenais de rien ma belle, ce n’était pas de la tromperie, dit-il plus calmement.

- Bien sûr que si ! Matt ne pourra jamais oublier ça.

- Nous avons décidé en connaissance de cause de ne rien te dire de ce que tu avais oublié Léa, Matt savait à quoi il s’exposait.

- Je ne comprends pas… Pourquoi il ne m’a pas arrêtée avec Romain ? Il aurait pu trouver je ne sais quelle excuse pour me ramener à la maison quand on était au bar ou pour m’empêcher de sortir une seconde fois avec lui mais… Il n’a rien fait.

- Léa, tu es une tête de mule, tu l'aurais fait quand même. Matt ne voulait pas te brusquer, il n’y a pas à chercher à comprendre. Il t’aime comme un fou et ne t’en veut pas pour ça, d’accord ?

Je reste silencieuse un moment, profitant de l’étreinte de mon meilleur ami et tentant de m’imprégner de ses mots.

- Comment va-t-il ? Vous avez des nouvelles ?

- Aucune, non.

- On y retourne ?

Paul attrape ma main et me ramène à l’intérieur. Il se laisse tomber sur une chaise pendant que j’embrasse mes collègues et salue le chef Jones. C’est à présent mon tour de faire les cent pas dans la salle d’attente, dans l’espoir d’avoir au plus vite des nouvelles de mon, je l’espère, toujours petit-ami. Il est évident que je vais devoir me faire pardonner et, non pas seulement ma coucherie mais également mon abandon.

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