01. Le quotidien du basketteur
Liam
— Liam, réveille-toi ! Tu vas être en retard pour le travail ! me hurle mon père depuis le bas des escaliers.
Je sursaute car je dormais vraiment bien. Il faut dire que la nuit n’a pas été de tout repos, mais je ne regrette absolument pas la partie de jambes en l’air avec la jolie Sarah. Qui aurait cru qu’une intello comme ça pouvait autant se lâcher au lit ? Et qui aurait pu penser qu’elle accepterait aussi simplement de me suivre pour ce coup d’un soir qui était vraiment quelque chose ? Rien que de penser à la façon dont elle a utilisé sa bouche, mon excitation revient au galop. Ou peut-être que c’est simplement le fait que je me réveille…
— J’y vais, Daddy. T’inquiète pas pour moi !
J’essaie d’émerger mais j’ai vraiment du mal. Peut-être que je n’aurais pas dû jouer au gentleman et raccompagner Sarah chez elle à deux heures du matin… Elle n’avait qu’à rester avec moi plutôt que de demander à rentrer au plus vite. On aurait dit Cendrillon avec une permission de minuit. Je me suis bien moqué d’elle à ce sujet d’ailleurs, et je crois que je l’ai un peu énervée, mais bon, c’est aussi ça qui est cool avec les coups d’un soir. On peut se lâcher vu qu’on ne va jamais se revoir. Quoique… Si elle me propose à nouveau de la baiser, c’est sûr que je ne dirais pas non. Avec un cul comme ça, franchement, j’aurais tort de me priver !
Je vois cependant qu’il est déjà bientôt sept heures trente et je dois être dans une demi-heure au supermarché où je vais tenir la caisse pour la matinée. Quand je pense que d’autres étudient pendant leurs heures disponibles, moi, je ne peux me le permettre et j’essaie de gagner de quoi survivre jusqu’à la fin du mois. On ne peut même pas dire que je me rattraperai le soir parce que là, souvent, je bosse au Unicorn Café jusqu’à la fermeture. J’essaie de jongler entre ça, les cours et les entraînements de basket que je ne peux négliger non plus car c’est grâce à ce sport que j’ai pu m’inscrire à l’université. Vu mes capacités sportives, j’ai la scolarité gratuite et franchement, ça me soulage car sinon, jamais je n’aurais pu m’offrir une éducation valable.
Je me lève et souris en voyant l’état du lit. Quelle sauvage, cette Sarah, quand même ! Sous ses airs de Sainte Nitouche, elle n’y est pas allée de main morte, hier soir. Je n’ai pas le temps de tout ranger et je prends une rapide douche avant de me précipiter au supermarché où je passe la matinée à scanner article après article, carte bancaire après carte bancaire. C’est ennuyeux à souhait, mais au moins, ça paie régulièrement. Et quand je n’ai pas cours comme aujourd’hui, je peux faire assez d’heures pour m’assurer que nous n’allons pas tous mourir de faim. Ce n’est pas avec ce que gagne mon père qu’on pourrait s’en sortir de toute façon. Il est agent de nettoyage au commissariat de la ville. Je ne comprendrais jamais pourquoi il est fier d’aller récurer les toilettes de ces gars qui chient sur notre communauté. Franchement, tous ces racistes qui pensent que les noirs sont juste bons à faire le ménage ou sont des criminels en puissance, moi, jamais je n’irai travailler pour eux !
Quand je rentre à la maison vers midi, je ramène des sandwichs que m’a préparés ma collègue, Renee, qui bosse au rayon frais. Elle sait que c’est un peu la galère pour nous, et dès qu’elle me voit, elle me refile de quoi manger. L’entraide entre blacks, elle appelle ça. Moi, je dis que c’est le partage de la pauvreté, plutôt. Nos clients sont pour la quasi totalité tous blancs, et nous, les blacks, on n’est plus dans l’esclavage mais on est resté à leur service. De bons petits toutous qui doivent leur sourire, en plus. Tu parles d’un esclavagisme moderne !
— Salut Megan, je suis passé récupérer Judith. Elle est dans le jardin ? Tiens, voilà tes courses.
Megan est notre voisine, une petite dame rondelette, la quarantaine, un mari routier et cinq enfants qui remplissent la maison de leurs cris et bousculades. Heureusement, elle ne travaille pas et peut s’occuper de ma petite sœur quand mon père et moi sommes occupés. Nous n’avons pas d’argent pour la payer, mais je m’occupe de tondre sa pelouse et de faire des petits travaux chez elle quand elle a besoin. Je lui ramène aussi ses courses comme je suis en train de le faire quand je bosse au supermarché. C’est un arrangement comme un autre, et il a l’avantage de nous fournir une solution de garde pour Judith quand nous ne pouvons pas nous occuper d’elle. C’est ce qui nous a sauvés depuis que ma mère est partie, il y a maintenant plus de trois ans.
— Bien sûr qu’elle est dans le jardin, mon Grand. Elle y passe sa vie, sourit-elle. Entre donc. Tu veux boire quelque chose ? Un truc à grignoter ? Tu as l’air fatigué, en tous cas.
— Non, ça va aller, j’ai ce qu’il faut dans mon sac. Et tu as assez à faire avec tous tes gamins.
— Oh, un de plus, un de moins. Tu n’es pas le plus désagréable, mais garde ça pour toi surtout !
Je soupire et évite le regard qu’elle pose sur moi. Je suis sûr que comme beaucoup de ménagères de moins de cinquante ans, elle fantasme sur les blacks et pense qu’on est bien montés et prêts à l’utiliser à la moindre sollicitation. Franchement, elle n’a pas tout à fait tort, mais jamais je n’envisagerais quelque chose avec elle ! Je récupère ma petite sœur qui a du mal à lâcher ses copines et l’emmène avec moi dans notre petite maison. La couleur jaune des murs extérieurs pourrait être jolie si elle n’était pas aussi abîmée. Il faut dire que ça fait longtemps que personne n’a entretenu quoi que ce soit. Notre proprio dit toujours qu’il fera les travaux bientôt, mais tout ce qui l’intéresse, c’est de récupérer le loyer qu’il vient chercher lui-même tous les débuts de mois. Le Mexicain, comme on l’appelle tous, possède plein de maisons, et son boulot, c’est de faire la terreur un peu partout pour s’assurer que tout le monde le paie. En liquide bien sûr, il ne faudrait pas non plus qu’il y ait des traces et des impôts à payer…
— Judith, tiens, voilà ton sandwich pour ce midi. Ne renverse pas tout sur le canapé, j’ai pas le temps de nettoyer, d’accord ?
— D’accord, Liam. On fait quoi, cet après-midi ? me demande-t-elle en grimpant sur le canapé.
— Tu veux pas regarder les dessins animés à la télé ? J’ai besoin de travailler un peu pour mes cours. Et si tu veux, pendant que je fais du basket, tu pourras jouer dehors. Ça te va comme programme ?
— Oui, ok. Mais c’est pas drôle, c’est ennuyant à force, les dessins animés. J’ai envie d’aller au parc, moi.
— S’il te plaît, Judy chérie, sois sage pendant une heure et après, je t’emmène au parc. Tu pourras faire du toboggan. Mais seulement si tu te tiens tranquille jusqu’à ce que je te dise que c’est bon, d’accord ?
— Heureusement que le sandwich, il est bon, marmonne-t-elle la bouche pleine en attrapant la télécommande.
Je prie le ciel qu’elle me laisse vraiment tranquille et regarde le courrier que j’ai ramené de la boîte aux lettres. J’ouvre celui de l’électricité et vois que c’est un rappel car nous n’avons pas payé la dernière échéance. Et pourtant, Papa avait dit qu’il s’en occuperait ! Si ça continue, on va finir par vivre dans le noir et sans chauffage.
Je mets le courrier bien en évidence sur le petit meuble qui sert de bureau à mon père et monte dans ma chambre pour aller étudier. Ce n’est pas parce que j’ai une bourse d’études pour faire partie de l’équipe de basket que je peux me permettre de négliger mes autres cours. Au contraire, l’université veut que ses sportifs soient des modèles pour les autres et qu’ils aient au moins d’aussi bons résultats scolaires que le reste des étudiants. Ce qui veut dire que ce cours de Biologie, je dois l’assimiler et faire tout ce qui nous est demandé par le prof, même si je reste crevé et que j’ai du mal à me remettre de ma courte nuit.
Quand je redescends, je suis inquiet de ne pas trouver ma sœur devant la télé. Je fais le tour de la maison mais elle n’est pas là. Je me précipite donc dans le jardin et j’ai le soulagement de la voir en train de s’amuser avec les enfants de Megan qui me sourit. Elle est assise sur son porche et surveille tous les petits.
— Judith, je t’avais dit de rester à l’intérieur ! la grondé-je en m’approchant du groupe d’enfants. Tu aurais pu me prévenir que tu sortais !
— Mais j’avais pas le droit de t’embêter ! Tu travaillais, je voulais pas te déranger, moi.
Je soupire et ne peux rien dire à cette petite bouille trop mignonne qui sait qu’elle peut tout obtenir de moi avec un de ses sourires ou un de ses câlins.
— Tu veux quand même aller au parc ou tu es contente de rester ici ?
— Megan ? Vous venez avec nous au parc ? dit-elle en se tournant vers notre voisine alors que les petits approchent en sautillant, suppliant déjà leur mère.
— Non, non, c’est l’heure de Maria et les banditos, je ne veux pas rater mon épisode.
Ah la la, Megan et ses séries mexicaines. Je ne comprends pas ce qu’elle trouve à ces histoires toutes plus stupides les unes que les autres, mais notre voisine ne veut en rater aucun épisode. Il y a toujours des histoires d’amour un peu cucul, des meurtres inexpliqués, des rebondissements tous plus rocambolesques les uns que les autres…
— Alors, Judy, on y va ou pas ? m’impatienté-je.
— Ben oui, moi je veux jouer avec toi, me répond-elle en attrapant ma main.
J’attrape mon ballon de basket et nous faisons le court chemin jusqu’au parc, main dans la main. Plusieurs fois, je lui fais des passes qu’elle parvient à capter sans trop de difficulté. Nous passons un bon moment à jouer à deux et je l’aide à monter sur les structures présentes. Quand elle se met à la balançoire, je profite du panier présent pour m’entraîner à faire des lancers directs. J'enchaîne les trois points jusqu’à ce que ma sœur vienne me chercher et me demande à rentrer.
A la maison, mon père vient d’arriver et s’est déjà installé sur le canapé. Il est en train de pianoter sur son téléphone et a l’air exténué après sa journée passée à nettoyer le bureau de police.
— Tu as vu la facture d’électricité, Daddy ? Il faut la payer, sinon on va avoir des problèmes.
— Oui, oui, je sais Liam, soupire-t-il, un poil agacé.
— Et tu comptes faire ça quand ? Quand ils vont tout couper ?
— Dis-moi, rappelle-moi qui est le père, ici ? Je sais ce que j’ai à faire, je te remercie.
— C’est toi le père, mais c’est aussi toi qui passes ton temps à jouer sur ton téléphone. Tu deviendras jamais riche comme ça, Daddy, et tout l’argent que tu mets dans les applications, tu ferais mieux de le mettre dans les factures. C’est des pièges à fric, ces trucs-là.
— Ça suffit, gronde-t-il froidement. Je sais ce que tu fais pour cette maison, mais ne dépasse pas les bornes. Je me tue à la tâche tous les jours, si j’ai envie de me poser et de dépenser un peu de fric sur mes applis, je ne vais pas me priver de ce plaisir. Tu vas bien dans tes soirées pour ramener des gonzesses à la maison, toi. Tu crois que c’est plus malin ? Tu ferais mieux de bosser davantage.
Ah mince, il a dû nous entendre hier soir et je préfère ne pas insister auprès de lui. C’est clair qu’on n’a pas été très discrets, mais Sarah était vraiment déchaînée, et moi, je l’ai trop kiffée, cette fille. Elle m’a retourné le cerveau. Et le lit. Franchement, ça vaut le coup d’être fatigué toute la journée du lendemain après une nuit comme ça.
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