13. Papaoutai ? Où es-tu caché ?
Liam
Le cours d’anthropologie se termine enfin et je soupire de soulagement. Je sais pourquoi j’ai choisi ce cours, j’adore cette introduction à cette discipline qui nous permet de mieux comprendre le monde dans lequel on vit, mais c’est souvent la dernière classe que j’ai avant les matchs de basket et ce n’est vraiment pas le meilleur moyen de m’y préparer. Comment passer d’un cours sur la culture papou dans les îles du Pacifique à l’état d’esprit nécessaire à l’obtention de la victoire dans un match contre de jeunes étudiants d’une autre université ? La transition est difficile, souvent, et j’ai à peine refermé mon ordinateur que j’essaie de me concentrer sur la compétition du soir. J’essaie d’entrer dans ma bulle et de me représenter le terrain sur lequel nous allons évoluer. Pour gagner, car seule la victoire est belle. Il n’y a que les Français pour croire que l’important, c’est de participer. Discours de loser, ça. Moi, ce que je veux, c’est la gagne !
En me dirigeant vers le parking où je me suis garé ce matin, j’envoie des messages à mes coéquipiers pour voir s’ils sont dans le bon mood pour le match de ce soir. Souvent, lire leurs mots d’encouragement, ça m’aide à me retrouver dans le bon état d’esprit. L’équipe me motive plus que je ne le serais si j’étais le seul à aller au combat. Et tous me répondent quasiment du tac au tac pour me dire qu’on va les bouffer, ces Floridiens, qu’ils n’ont aucune chance et qu’ils comptent sur moi pour montrer la voie vers la victoire. C’est vraiment cool qu’ils me considèrent comme leur leader et que c’est derrière moi qu’ils veulent défier nos adversaires. Je souris comme un imbécile devant le dernier message d’Abdul qui espère surtout que les fans et leurs gros lolos seront au rendez-vous quel que soit le résultat. Mais ce sourire s’efface rapidement quand je lève les yeux et que je tombe sur Miss J’ai-Trop-de-Fric-Pour-Ne-Pas-Te-Faire-La-Charité qui se dirige vers sa voiture.
Je me demande si elle a fait exprès de garer sa magnifique Toyota bleu ciel juste à côté de ma bécane toute pourrie. Est-ce qu’elle veut continuer à me narguer avec son fric ou bien n’est-ce pour elle qu’un jeu afin de me provoquer ? Si elle pense que c’est ça qui m’attire chez elle, elle se trompe magistralement. Mais quand elle m’aperçoit, je n’ai d’ailleurs pas le droit à un sourire et son regard passe à travers moi, comme si je n’existais pas. Elle démarre rapidement et sa petite citadine disparaît du parking, me laissant toujours immobile et frustré de n’avoir pas été assez rapide pour aller lui parler. Elle a beau être riche et snob, j’ai quand même toujours envie de la retrouver dans mon lit. Peut-être qu’elle va venir au match, ce soir, et que je la verrai ?
Quand je gare ma moto devant notre maison, je suis surpris de ne pas voir le vélo de mon paternel à sa place habituelle. Il n’est pas encore rentré du travail ? C’est étrange, ça. Et, où est Judith ? La maison semble fermée et vide. Je vais frapper chez Megan qui me crie d’entrer. Chez elle, c’est un véritable Capharnaüm, je constate que trois de ses enfants sont déjà habillés et qu’elle est en train de s’occuper des deux plus petits alors que ma sœur les regarde faire, assise tranquillement sur une chaise de la cuisine, en train de manger des chips.
— Megan, tout va bien ? Pourquoi Jude est chez toi à cette heure-ci ?
— Eh bien, parce que ton père n’est pas venu la chercher, pardi ! Tu crois quoi, que je l’ai kidnappée, Joli Cœur ?
— Il n’est pas rentré ? C’est pas dans ses habitudes, ça. Il t’a prévenue au moins ? Parce que sinon, c’est inquiétant.
— Il m’a envoyé un message pour me dire qu’elle pourrait rentrer quand tu arriverais, qu’il avait un empêchement. D’ailleurs, heureusement que tu ne tardes pas trop, parce que je dois partir, moi.
— Oui, je vois ça, désolé pour le dérangement. Viens, Judith, on rentre à la maison. Bonne soirée Megan.
Je file à la maison avec ma sœur et envoie immédiatement un message à mon père.
— Tu es où, Daddy ? Tu rentres bientôt ? Je dois partir dans moins d’une heure, j’ai un match, ce soir.
— J’avais oublié pour ton match, désolé Fils, mais je ne peux pas rentrer. Tu voulais de l’argent, je fais en sorte d’en avoir. Tu vas devoir gérer ta sœur.
Je voulais de l’argent ? Mais il déconne ou quoi ? C’est pas le soir pour me laisser en plan avec Judith. J’adore ma sœur, mais me priver de basket, c’est juste pas possible. Je presse le bouton d’appel et, dès qu’il décroche, je m’en prends à lui.
— Je ne sais pas ce que tu es en train de faire, mais les soirs de matchs, on a toujours été d’accord que je pouvais me libérer pour y aller. Il faut que tu rentres, Daddy, et vite, sinon je vais être en retard ! Je suis le Capitaine, je ne peux pas abandonner mon équipe !
— Pas ce soir, Liam, je suis désolé. Emmène ta sœur au match, au pire. Et embrasse-la pour moi. Bonne soirée, Fils.
J’en reviens pas, là. Il m’a raccroché au nez ! Et quand j’essaie de le rappeler, je tombe directement sur sa messagerie. Je regarde l’heure qui tourne et commence à m’affoler.
— Tu peux me laisser ici toute seule, au pire, Liam. Je serai sage, promis !
— Tu n’as que cinq ans, Jude ! Je ne peux pas te laisser seule ! Tu ferais quoi si quelque chose arrivait, hein ?
— Pourquoi il arriverait quelque chose ? Il arrive jamais rien ici, à part Papa et toi qui vous disputez. Je suis grande maintenant.
— Non, Jude, ce n’est pas possible, je… Je vais rester avec toi, tant pis. Je ne vais pas te laisser seule, et tu es plus importante qu’un match de basket. Je vais prévenir mon coach que je ne vais pas pouvoir aller au match…
— Mais non ! T’aimes trop le basket, Liam, tu peux pas rater le match ! Je peux venir te voir ?
— Non, sur place, il n’y a personne pour te garder. Et puis, ça va finir tard, tu sais. T’inquiète pas pour moi, ma Puce. Je survivrai. On va rester à la maison.
Enfin, c’est clair que ça ne va pas me faire mourir, mais j’ai la haine contre mon père qui ne pense qu’à lui. Déjà qu’à cause de lui, on va se retrouver à la rue prochainement, mais en plus, il préfère aller s’amuser avec je ne sais qui au lieu de respecter les engagements qu’il a pris auprès de moi. Un peu dégoûté par tout ça, je saisis mon téléphone et cherche le numéro du coach dans le répertoire. Quand le nom de Sarah, pas Clara apparaît, une folle idée s’empare de mes pensées. Et si…
Non, je ne peux pas lui demander un coup de main. Pas après ce qu’il s’est passé il y a deux jours à la bourse aux vêtements ! Mais bon, si elle veut faire office de bon Samaritain, ça pourrait être une belle occasion pour elle, non ? Mais ça fait quoi de moi alors ? Si elle me rend ce service, il faudra que je lui en rende un aussi. Et j’ai horreur d’être redevable de quoi que ce soit, même si c’est pour cette fille qui me fait tant tourner la tête. Je peux quand même lui demander conseil. Elle a peut-être une amie qui fait du babysitting ?
— Allo, Sarah ? C’est moi, Liam… commencé-je timidement.
— Salut… Que me vaut cet appel ?
Le ton est un peu froid, bien loin de ce que j’ai pu connaître quand elle s’est abandonnée dans mes bras. Je me dis que j’ai fait une erreur en l’appelant.
— Non, rien, désolé, je ne voulais pas te déranger. Ce n’était pas une bonne idée… Je vais te laisser te reposer, Sarah. On parlera demain.
— Attends… Liam, y a un problème ? Pourquoi tu m’appelles ? me demande-t-elle. Quelle idée ?
— Non, rien, tu vas me prendre pour un fou si je t’explique. Je te laisse, Sweetie, je te rappelle très vite.
— Bon dieu arrête de jouer au têtu, bougonne-t-elle à l’autre bout du fil. C’est comme quand tu prends la mouche pour des conneries, ça, ça me donne envie de te gifler, heureusement pour toi que tu es trop grand. Dis-moi ce que tu veux, enfin !
— Tu as envie de me gifler ? demandé-je, surpris. Mais pourquoi ? Je n’ai rien fait qui… Mais…
J’ai horreur de ça, quand je perds tous mes moyens et me mets à bafouiller comme ça. Je pensais que j’étais guéri de cette difficulté, mais il faut croire que parler à Sarah me renvoie à mon adolescence où je n’ai pas toujours été le gars costaud et sûr de lui que je suis devenu aujourd’hui.
— Parce que tu m’as plantée comme une conne l’autre jour en te faisant des idées stupides sur le pourquoi du comment, alors que je voulais juste faire plaisir à ta sœur. Et ça me gonfle que tu ne me voies qu’à travers le fric alors qu’en faisant ça, tu ne fais pas mieux. Bref, passons, soupire-t-elle avant que je n’entende le sourire dans sa voix. Si tu veux tirer ton coup après le match, un message suffisait, tu sais. Mais si c’est pour autre chose, j’aimerais bien savoir pourquoi. Qu’est-ce que tu veux, Capitaine ?
— Ok, désolé pour l’autre fois… J’ai cru que... Tu voulais me faire la charité. Je suis désolé de l’avoir mal pris. Et ce soir, c’est pas pour tirer un coup que je t’appelais. Enfin, ça ne me déplairait pas, hein, m’embourbé-je un peu plus, mais j’ai un souci et peut-être que tu connais quelqu’un qui pourrait m’aider.
Oh la la, c’est pathétique, ce petit discours. On dirait un ado trop timide pour s’exprimer. Je sens que je vais baisser dans son estime et qu’il va vraiment falloir qu’elle fasse preuve de charité si je veux la revoir dans mon lit.
— Je t’écoute, Liam. Quel est le problème ? Arrête de tourner autour du pot, mon Chou, je suis toute ouïe.
Il faut que je me ressaisisse, là. Si je suis capable d’affronter une équipe de basketteurs agressifs et qui veulent ma peau, je dois pouvoir parler à la fille qui me plaît tant et qui m’appelle “Mon Chou”, quand même.
— Eh bien voilà, me lancé-je avec plus d’assurance. Ce soir, j’ai un match et je n’ai personne pour garder ma petite sœur. Mon père est parti je ne sais où et la voisine n’est pas dispo. Tu connaîtrais pas quelqu’un dans tes amis qui cherche des heures de babysitting et qui n’est pas trop cher ?
— Je vois, dit-elle après un moment de silence. Je te proposerais bien Becca, mais elle n'acceptera qu’un paiement en nature. Evan risquerait de faire brûler la maison… Je te proposerais bien ma petite personne, mais je n’ai pas envie que tu me raccroches au nez. Dommage pour toi, tu aurais fait des économies, j’accepte aussi les paiements en nature.
— Toi ? Mais je ne vais pas bousiller ta soirée pour mon match de basket, Sweetie. C’est gentil, et le mode de paiement me va bien, mais ce n’est pas pour ça que je t’appelais.
— Je comptais aller au match, en fait. Mais, si tu me le racontes en rentrant et que j’ai le Capitaine rien que pour moi, je crois qu’on ne parlera pas de soirée bousillée, tu sais. Je suis là dans quinze minutes, Bichon, tu seras prêt pour le match ?
— Je ne sais pas comment te remercier, Sweetie… Tu sauves ma soirée… Et je peux t’assurer que le paiement sera à la hauteur du service que tu me rends !
— Y a intérêt, rit-elle. Mais je l’aurais fait sans l’option orgasmes, tu sais. Et pas par charité, juste pour rendre service. On peut s’entraider quand on se tripote derrière un café et qu’on fait des cochonneries ensemble, non ? A tout à l’heure, mon Chat. Je me dépêche, sinon tu vas être en retard.
— Merci Sweetie, à tout de suite.
Je raccroche et reste un long moment le téléphone à la main, incrédule quant à cette conversation que je viens d’avoir avec mon plan cul qui va débarquer chez moi, non pas pour baiser, mais pour venir s’occuper de ma petite sœur. Et en plus, j’ai hâte de la voir, cette splendide jeune femme qui vient faire du babysitting, même si ce n’est que pour quelques minutes avant de partir pour le match. Je crois que je suis vraiment tombé sur la perle rare avec elle, et je pourrais bien me laisser tenter par la charité, si la contrepartie consiste à la retrouver ensuite dans mon lit.
Annotations