20. Incompréhension du matin, chagrin
Sarah
Je prépare le petit déjeuner alors que Liam se promène au rez-de-chaussée comme s’il visitait un musée. Je choisis d’en rire, mais cela me met quand même un peu mal à l’aise. J’ai l’impression de vivre dans une opulence incompréhensible pour lui alors que c’est mon quotidien. Je crois qu’il ne nous juge pas, mais j’imagine qu’il envie un peu notre situation, surtout vu celle avec son père.
Oui, je préfère penser à ça plutôt qu’à ce que j’ai ressenti hier soir, cette nuit ou ce matin. Tout plutôt que de me poser des questions sur ce que je peux éprouver pour ce mec qui veut juste prendre du plaisir.
Je dépose tout le nécessaire au petit déjeuner sur le bar de la cuisine et pars à sa recherche. Ce n’est pas si grand que cela, en soi. Un salon pour recevoir, la suite parentale, une grande salle à manger où on ne mange jamais ou presque, certes… Et puis la cuisine où ma mère et moi passons le plus de temps, notre salon où j’ai tant de souvenirs en famille. Liam est dans le salon où je prends mes cours de piano, devant la bête, justement. Je me glisse sous son bras et l’enlace.
— Tu viens manger ? Ou tu comptes l’admirer encore longtemps ? C’est… Mon père qui l’avait acheté pour ma mère. Elle rêvait d’apprendre le piano. Au final, elle a arrêté d’en jouer quand il est mort. Comme moi, d’ailleurs, même si j’ai fini par reprendre. Je te jouerai un morceau un jour, si tu es sage, souris-je. Et si ça t’intéresse, évidemment.
Un jour ? Voilà que je fais des plans sur la comète. Un coup à le faire fuir, ça. Je l’entraîne dans la cuisine et nous nous installons pour manger. J’ai un fou rire stupide en voyant Liam poser avec délicatesse ses couverts sur le plan de travail en marbre, comme s’il n’osait rien toucher de peur de casser et de devoir rembourser.
— Tout va bien ? lui demandé-je. Tu sais que tu as beau être grand et fort, c’est solide, c’est fait pour, hein ?
— Oui, oui, ça va. J’ai… J’ai pas l’habitude, c’est tout. Comment vous faites pour le ménage dans toutes ces pièces ? Vous passez votre vie à nettoyer, non ?
— Heu… On a une femme de ménage, soupiré-je, pas très à l’aise. Enfin, ça ne nous empêche pas de faire le ménage dans les pièces qu’on utilise le plus, elle vient surtout pour les autres…
— Eh bien, je ne te pensais pas aussi riche. Heureusement que tu restes simple et que tu ne t’affiches pas comme d’autres sur le campus. Je ne supporte pas ces fils ou filles à papa qui se croient tout permis parce qu’ils sont riches !
— On ne l’a pas toujours été, en fait… J’étais petite, mais je me souviens de notre petit appartement défraîchi avant que mon père ne se lance. C’est bon, tu ne vas pas me fuir ? souris-je.
— Après le traitement que tu m’as fait ce matin, je serais fou de m’enfuir ! rit-il. Tu as vu comme tu es passionnée et sexy ? Franchement, j’accepte un peu d’opulence pour tout ça, Princesse.
Une partie de moi est rassurée de savoir que tout cela ne le fait pas trop flipper, mais l’autre est piquée parce qu’il rapporte tout au sexe. Voilà, on en arrive là où je ne voulais absolument pas arriver.
— Tu sais que… Enfin, jusqu’à hier soir, je n’avais jamais reçu de mec ici. Les règles sont strictes, ris-je nerveusement. Tu es un privilégié.
— C’est quoi, vos règles ? demande-t-il, intrigué. Je suis en tous cas touché que tu aies accepté de m’inviter ici pour que je ne dorme pas à la rue.
— Pas de sexe dans cette maison ? Pas de type qui se trimballe à poil dans les couloirs ? Pour le reste… C’est plutôt cool. Mais c’est excitant aussi, de braver ces règles, souris-je en l’embrassant dans le cou.
— Ah mince, tu vas avoir des soucis, alors, parce que s’il y a bien une chose que j’aimerais encore avoir dans cette maison, c’est du sexe ! Avec toi, c’est magique, Sweetie.
Je me lève pour débarrasser ma table et me resservir du café, ou surtout pour ne pas répondre trop vite et sans réfléchir. Peut-être que c’était une mauvaise idée de l’héberger cette nuit, en fait, parce que là, j’ai l’impression d’être un peu trop à fleur de peau.
— Tu sais, je me disais… Puisque… Enfin, puisque toi et moi on a envie de continuer, tous les deux… Je sais pas, peut-être que… Peut-être qu’on pourrait faire des tests et éviter d’acheter des préservatifs ? bafouillé-je stupidement.
— C’est vrai que ce serait pas mal, ça. Tout à l’heure, sur la banquette, j’ai bien cru que tu allais y aller sans protection, et ça m’a super excité ! Tu sais que c’est impossible de te résister ?
— Ouais, soupiré-je. J’ai bien compris que tu avais envie de moi tout le temps. Bref, je… J’ai jamais fait sans préservatif, j’ai bien envie de tester avec toi…
— Eh bien, je suis chanceux, moi ! Premier dans ta maison, premier dans ta chatte sans protection, j’aime bien explorer toutes ces terres inconnues avec toi !
— Peut-être que tu pourrais envisager autre chose que juste du cul avec moi, quitte à explorer des terres inconnues ensemble, dis-je sans réfléchir.
Merde, Sarah, qu’est-ce que tu fous ? Vas-y, enfonce-toi encore plus dans ta connerie tant que y es. Dis-lui que tu es accro, que tu le kiffes ! Pourquoi pas lui demander de faire des bébés, tant qu’on y est ? Mais quelle conne.
— Tu sais, je n’ai pas beaucoup d’argent, et les sorties, c’est compliqué, répond-il, visiblement loin de mes considérations. Et si c’est toi qui m’invitais à chaque fois, je crois que je serais très gêné. Mais je comprends, si on ne reste que sur du cul, tu risques de vite te lasser de moi… Ce serait dommage.
Son regard est vissé sur mon décolleté car mon peignoir s’est entrouvert lorsque je me suis penchée pour ramasser la fourchette que j’ai fait tomber.
— Parce que tu crois qu’il n’y a que le sexe qui m’intéresse, Liam ? Enfin… Je ne dis pas que le sexe n’est pas cool, mais tu n’es pas qu’une queue sur pattes, Capitaine. Enfin, merde, soupiré-je, je t’apprécie toi, pas que pour le cul, toi en tant que personne.
— Oh c’est gentil, ce que tu dis, Sweetie. Moi aussi, je t’apprécie beaucoup en tant que personne. Et comme toi, il n’y a pas que ton cul que j’aime, ajoute-t-il tandis que ses yeux sont toujours plantés sur ma poitrine pendant que je referme mon vêtement.
C’est ce qu’on appelle se prendre une veste, non ? Je me sens ridicule et vraiment mal à l’aise, mais au moins, je n’ai pas l’impression qu’il ait compris où je voulais en venir, ça m’évite l’humiliation en prime.
— Tu n’as jamais eu de relation sérieuse ? Je suis curieuse.
Oui, je crois que je cherche l’humiliation ultime, en fait. Je ne peux pas m’en empêcher. Qui sait, sur un malentendu, ça pourrait marcher, non ?
— Ah non, j’ai jamais été attiré par une fille à ce point-là, tu sais. Déjà, avec toi, c’est assez incroyable car je ne pensais pas qu’on se reverrait après la première fois.
— Eh bien… Quelle chanceuse je fais, baragouiné-je en me mettant à la vaisselle. Et il te faut quoi, pour qu’une nana vaille la peine que tu brises ta règle imaginaire comme quoi il faut profiter de la vie et ne pas te fixer, hein ? Oh, me regarde pas comme ça, vous êtes tous pareils, vous, les mecs.
J’y mets toute la décontraction possible, comme un pote qui parle à un autre, en priant pour que l’amertume que je ressens ne se retranscrive pas dans ma voix. Mais j’avoue qu’après notre soirée confidences et cette nuit, j’avais espoir qu’il partage un minimum mon envie de plus que juste des soirées de sexe. La vérité est beaucoup moins agréable à vivre qu’une partie de jambes en l’air avec le Capitaine de l’équipe de basket, clairement.
— Tu me fais quoi, là ? demande-t-il, réalisant enfin toutes les questions que je suis en train de lui poser. Tu t’attaches, c’est ça ? C’est pas forcément une bonne idée, tu sais. J’ai jamais autant joui qu’avec toi, c’est sûr, tu es vraiment la meuf la plus sexy que je connaisse, mais, franchement, je ne sais pas si je suis prêt à m’engager davantage. Déjà que je t’ai promis l’exclusivité, tu sais, c’est pas rien.
— Eh bien, figure-toi que bonne ou mauvaise idée, on ne contrôle pas vraiment ce genre de choses, marmonné-je. Laisse tomber, fais comme si j’avais rien dit, tu veux ? Ça vaut mieux comme ça. Surtout que tu ne penses qu’à mon physique ou à ma chatte, c’est mieux que ça ne reste que tu cul, ouais.
Là, aucun doute que l’amertume déborde et j’ai honte de m’être mise dans cette situation.
— Si tu veux prendre une douche avant de rentrer chez toi, tu ne devrais pas tarder… Sinon tu risques d’arriver en retard en cours, continué-je en rangeant le jus de fruits au réfrigérateur pour éviter son regard.
— Tu viens prendre la douche avec moi ? demande-t-il comme si nous ne venions pas d’avoir cette petite discussion. Sinon, je vais rentrer chez moi.
— Merci, mais je crois que j’ai ma dose de cul ce matin, et je voudrais être en forme pour les cours. L’intello, tu vois ? La nuit a déjà été courte. Désolée, dis-je en fuyant au salon pour lui ramener ses affaires restées éparpillées au sol, vestige de notre possible dernière soirée à deux, vu comment je merde ce matin. Tu es sûr que tu ne veux pas te doucher dans ma salle de bain de bourge en marbre ?
Je dépose ses affaires sur ses genoux en soupirant. Je suis tout simplement pathétique, là. J’ai envie de me secouer moi-même.
— Je t’ai fâchée ? demande-t-il bêtement. J’en suis désolé, vraiment, ce n’était pas mon intention. Si tu insistes, je veux bien aller prendre la douche, peut-être que tu seras tentée de m’y rejoindre ?
— Tu fais comme tu veux, Capitaine, la douche est à toi si tu en as envie. Et je ne suis pas fâchée, juste… Contrariée, dirons-nous. Tu sais, même quand ce n’est que pour du cul, une femme aime bien qu’on parle d’autre chose que de son corps, tu vois ? Alors forcément, quand tu ne vois que mon physique et que tu me dis concrètement que si on ne baisait pas, tu ne me remarquerais pas, c’est pas facile à entendre… Mais soit, je ne vois pas trop à quoi je m’attendais d’autre avec un plan cul.
— Mais, ce n’est pas ce que j’ai dit ! bafouille-t-il, visiblement décidé à se rhabiller. Enfin, si c’est ce que tu as compris, j’en suis désolé, mais… Non, rien, je vais te laisser, ça vaudra mieux. Clairement, on ne se comprend pas.
Il semblerait qu’on ne se comprenne pas, en effet. Ou qu’il ne veuille pas vraiment comprendre, en fait. Je n’en sais rien, je suis complètement paumée et blessée, trop pour réfléchir de manière logique.
— Peut-être, oui… On s’appelle, alors… Et passe le bonjour à ta sœur de ma part, tu veux ? Je… Je suis désolée, je crois que ça ne me réussit pas de contourner les règles, ris-je nerveusement alors qu’il enfile ses baskets.
— Non, je crois juste qu’on n’est pas dans le même mood. Moi, je vais retourner m’engueuler avec mon père, ça n’aide pas à se concentrer sur toi, désolé. Je t’appelle, promis.
Je soupire et me mets sur la pointe des pieds pour l’embrasser. Bon sang, si seulement il était sur la même longueur d’onde que moi, ce serait bien plus simple. Si la complicité psychique était comme la physique, ce serait bien moins galère. Mais je comprends que sa situation personnelle soit compliquée, quand bien même ce n’est pas vraiment une excuse.
— Bon courage, Capitaine. Je suis sûre que ça va aller.
Je l’accompagne au g arage sans pouvoir m’empêcher de zieuter les voisins. J’espère vraiment qu’ils ne vont pas proférer je ne sais quels commérages, même si j’ai conscience qu’il y a peu de chance que je passe au travers des gouttes. Quand je vois Liam s’éloigner sur sa moto, une furieuse envie de me frapper me prend. Comment j’ai pu merder à ce point ? Il a été très clair dès le début, il n’est pas fautif dans cette situation. C’est juste moi et mon petit cœur d’artichaut qui sommes stupides. Ça m’apprendra à vouloir tester le plan cul avec un mec qui me plaisait d’entrée.
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