28. Coup bas au salon
Sarah
Je me gare devant la maison des Sanders en soupirant. Enfin, ancienne maison plutôt, puisqu’ils sont tous bien installés chez moi. On est jeudi, ils sont là depuis à peine cinq jours et je suis déjà de corvée de taxi. J’y crois pas, sérieusement. Heureusement que c’est pour Judith, parce que sinon, je crois que j’aurais envoyé bouler ma mère. La gosse est contente de vivre à la maison, elle s’y plaît bien, je crois, mais elle s’ennuie. Tu m’étonnes, passer d’une baraque pleine de gosses à la nôtre, je peux comprendre.
La petite me court dans les jambes lorsque leur ancienne voisine m’ouvre la porte, et le sourire me revient immédiatement.
— Bonjour, ris-je en la prenant dans mes bras. Je suis Sarah, je viens chercher le petit chimpanzé qui ne me lâche pas.
— Bonjour, Sarah. Jim m’a dit que vous passeriez. C’était bien de revoir la petite, je crois qu’elle s’est bien amusée.
— C’est cool, elle en avait besoin, je pense. Ça manque d’enfants, chez moi. Les vôtres ont apprécié le gâteau au chocolat ? Judith était contente de cuisiner avec ma mère.
— Oh ! Je n’ai pas cru la petite qui me disait que c’était elle qui l’avait fait. C’est bien de vous en occuper comme ça, la pauvre, avec la mère qu’elle a eue, ça fait du bien un peu de normalité.
— La mère qu’elle a eue ? Heu… Je… Je ne suis pas au courant. Tu vas chercher tes affaires, Jude ? J’ai pas mal de boulot ce soir, il faut qu’on rentre, dis-je en la reposant avant qu’elle ne s’engouffre dans l’appartement. Je croyais que sa mère était décédée, en fait. Enfin, Liam ne m’a pas dit clairement les choses.
J’ai l’espoir malsain qu’elle m’en dise plus. C’est mal, j’en ai conscience, mais vu la réaction de Liam quand on a abordé sa mère, je ne peux m’empêcher d’être curieuse.
— Ah, non, elle n’est pas décédée. Enfin, pas que je sache. Allez Jude, tu reviens quand tu veux, hein ?
Raté. Merde.
— Vraiment ? Parce que vous me manquez, lui répond la petite en l’enlaçant de ses petits bras.
— Peut-être que la prochaine fois… Vous pourriez venir à la maison, un weekend, quand il fera beau. On a… Une piscine, les enfants pourraient en profiter.
— Avec les cinq enfants ? C’est gentil, mais ça me semble compliqué. Merci de proposer, vous êtes gentille, sourit-elle.
— Comme vous voulez. Réfléchissez-y, je suis sûre que ça pourrait être sympa. On y va, Jude ? C’est bon pour toi ? Bonne soirée, Megan, et encore merci pour la petite.
Nous regagnons la voiture et je soupire en ouvrant la portière arrière. Me voilà avec un siège auto dans ma citadine. Si ça, c’est pas se prendre un coup de vieux, je me demande ce qu’il me faudrait de plus. Lorsque je démarre, je monte le volume de la musique alors que Judith chantonne, et je me dis qu’on pourrait très bien bosser la chanson toutes les deux, ça lui plairait, je suis sûre, et elle est douée, la petite. En tous cas, elle semble satisfaite de son après-midi, elle rayonne et est encore toute excitée.
— Oulah, on se calme, Princesse, ris-je en la descendant de la voiture. On fait comme hier ? Tu dessines pendant que je travaille et on joue un peu après le repas ? Ça te va ?
Je ne sais pas pourquoi je m’acharne à essayer de l’occuper. Elle a un père, après tout. Enfin, je ne peux au moins pas lui enlever ça, il continue à aller bosser. Ma mère lui a proposé sa voiture, mais il a dit que le vélo lui permettait de garder la forme. Son regard chaud comme la braise en direction de ma mère m’a filé la gerbe. Mais au moins, j’en arrive, peut-être un peu, à la même conclusion que Liam : il semble amoureux.
— Je peux regarder la télé plutôt ?
— La télé ? Très bien, soupiré-je en entrant dans la maison. Hep, les chaussures, Mademoiselle Sanders.
Jude bougonne en les enlevant et je souris en faisant de même. J’adore cette gamine, c’est fou. Même quand elle me demande encore la télévision. Nous traversons donc la cuisine en entendant du bruit dans le salon. Les parents doivent être tranquillement installés devant la télévision pendant que je joue le taxi, sympathique.
Je pousse un cri en entrant dans la pièce et cache immédiatement les yeux de Judith alors que j’ai le grand déplaisir de tomber sur le derrière de beau papa en action, ma mère sous lui sur le canapé familial. Je ferme les yeux avec la folle envie de vomir.
— Non mais vous êtes sérieux, là ? Vous n’avez pas honte ? Un peu de tenue, merde !
— Oh Sarah ! Tu es déjà là ? s’inquiète Jim en se relevant pour se rhabiller avec précipitation.
— Jude, va jouer un peu dans ta chambre, d’accord ? dis-je en poussant la petite dans la cuisine. Je te rejoins.
Ma mère est en train de s’habiller lorsque je me retourne. Enfin, elle enfile plutôt une robe de chambre, comme si elle avait passé la journée en peignoir, prête à se faire… Beurk.
— Sérieusement, vous avez quel âge ? Vous ne pouvez pas faire ça dans votre chambre ? Foutue libidio, grogné-je.
— Tu sais, parfois, le désir nous prend, s’excuse ma mère. Mais on fera plus attention à l’avenir. On n’a pas pensé que Judith pourrait nous voir…
— Ben voyons ! Vous n’avez pas l’air de penser à grand-chose, ces derniers temps, hormis vos petites personnes et vos parties de jambes en l’air ! J’ai l’impression d’avoir deux ados à la maison, sérieux, vous trouvez ça normal ?
— Ta mère a dit qu’on allait faire attention, Sarah. Ne t’inquiète pas, ça ne se reproduira plus. Enfin, ici, sourit Jim en déposant un baiser dans le cou de ma mère.
Je me laisse tomber sur le second canapé en soupirant lourdement. Ça ne va pas le faire, c’est sûr.
— Vous allez me faire partir en live avec vos conneries. Et t’es pas censé être encore au boulot, Jim ? Vous avez passé la journée à baiser comme des lapins ou quoi ?
— Non, j’ai posé mon après-midi, c’est tout. J’avais… Enfin, ta mère me manquait, quoi.
— C’est ça, et ça ne pouvait pas attendre quelques heures. Non mais… Franchement, vous imaginez si c’est Jude qui vous avait vue ? Vous voulez la traumatiser ou quoi ? C’est bon, hein, je vous assure que la situation est déjà suffisamment traumatisante pour nous trois, pas besoin d’en rajouter une couche. Et tes règles, Maman, aux oubliettes ? Moi aussi je peux tirer mon coup n’importe où dans la maison, ça y est, c’est open bar ?
— Les règles, c’était bon quand on était célibataire, voyons ! Et puis, à mon âge, si je ne profite pas maintenant, quand est-ce que je vais le faire ?
— T’as qu’à profiter dans ta chambre ! J’y crois pas, bon sang ! Si tout le monde baise n’importe où, on n’est pas dans la merde ! Est-ce utile de te dire que Liam est capable d’en ramener une différente tous les soirs ? C’est cet environnement-là que vous voulez donner à Judith ? C’est ça que tu imaginais dans notre maison ?
— Ah non, ce n’est pas pareil. Et on t’a dit qu’on allait faire attention. Arrête d’en faire tout un plat, me dit ma mère sans réaliser ce qu’il se passe vraiment.
— Et en quoi c’est pas pareil ? Et j’en fais tout un plat si je veux, bon Dieu ! Je viens de vous voir baiser sur le canapé où je m’assieds quasiment tous les jours, enfin ! Vous êtes pas possibles, j’ai l’impression d’être la plus mature de cette maison, vous vous rendez compte, quand même ?
— Tu es surtout la plus coincée, dit Jim l’air de rien. Tu ne nous verras plus baiser, promis. Allez, il faut oublier tout ça, ce n’est pas si grave.
— La plus coincée ? m’esclaffé-je. Je te signale que je suis allée chercher TA fille pour te laisser baiser MA mère, alors je te permets pas ! Commence par t’occuper de tes gosses avant de te permettre de me faire ce genre de réflexions, tu veux ?
Merde, je crois que je vais finir par retourner voir le psy, moi. Tout ça, c’est trop. Et de quel droit se permet-il de me parler comme ça, sérieusement ?
— Ecoute, Sarah, je comprends que me savoir avec un autre homme qui n’est pas ton père, ça te perturbe. Mais on te l’a dit et on te le redit, ça ne se reproduira pas. Ce n’était pas prévu ce soir, et on fera attention à l’avenir. Ça te va comme ça ?
— Y a plutôt intérêt. Et ce qui me perturbe, c’est qu’un mec que tu connais depuis quoi, trois, quatre semaines ? Que ce mec s’installe chez nous avec ses gosses, ouais ! Le coup de foudre, hein ? J’espère surtout que c’est pas un coup de foudre pour ton compte en banque, ou juste pour ton cul, parce que je te rappelle que tout ça, c’est pas juste à toi, Maman.
— Arrête avec ça, Sarah. Tu es désagréable, à la fin. Jim ne m’a rien demandé, c’est moi qui lui ai proposé. Il n’est pas là pour l’argent. Et si c’est pour mon cul ou le coup de foudre, l’important est qu’il soit près de moi et que je sois heureuse. Compris ?
— C’est ça, encore et toujours toi. C’est fou comme être amoureuse te rend égoïste. Mais j’espère me tromper. Et j’espère que vous ouvrirez les yeux pour voir que nous, on n’est pas heureux dans cette situation. Mais comparé à votre petite partie de jambes en l’air au beau milieu du salon familial, qu’est-ce que le bonheur de vos enfants, hein ?
— Sarah ! Tu viens ?
Je soupire en entendant Judith. J’ai juste envie d’aller chialer dans ma chambre, là, et de me terrer sous ma couette.
— Bon, eh bien, continué-je. On sera là-haut avec Jude, au cas où ça vous intéresserait. Et faites gaffe, Liam doit finir à vingt-heures, je crois. Je doute qu’il réagisse mieux que moi.
Je monte sans attendre leur réponse et réclame un câlin à Judith qui ne semble pas avoir besoin d’être suppliée pour me le donner. Heureusement qu’elle est là, elle. Parce qu’entre les parents qui font n’importe quoi et le fils qui me prend pour une chatte sur pattes, je me demande comment je vais faire pour tenir le coup, moi.
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