Sarah

J’adore quand la maison est calme comme ça, et je ne la retrouve ainsi que le soir, une fois Judith au lit, les parents dans leur chambre et Liam… Je ne sais où. Entendons-nous bien, j’adore la petite, elle est adorable et je crois qu’elle va être le ciment de notre nouvelle “famille”. Ce mot m’horripile, vraiment. Nous n’avons rien d’une famille. Pas de liens de parenté, pas de complicité. J’évite Jim au maximum, je dois être trop coincée. Et Liam n’est jamais là ou presque. Il rentre dormir, je le croise le matin, vite fait le soir, parfois, selon ses entraînements, son boulot ou ses sorties. Mais chaque fois que je le vois, c’est compliqué pour moi. J’aimerais revenir en arrière, retrouver la relation qu’on avait, même si c’était simplement pour le sexe. Au moins, on ne s’écharpait pas. Ou plutôt, je ne l’agressais pas en permanence. Parce que c’est clairement ce que je fais, soyons honnête. En même temps, l’entendre réduire notre relation à de simples parties de jambes en l’air n’est pas très agréable, aussi vraie soit cette qualification. J’avais malgré tout l’impression qu’il se créait quelque chose de plus, mais j’ai dû me faire des films. Liam n’en a qu’après mon cul. Il n’en avait qu’après lui d’ailleurs, et c’est fini. A cause des deux adultes de cette maison. Mais, j’ai du mal à passer à autre chose, clairement. En même temps, j’étais quand même un peu dans l’optique de lui proposer de sortir ensemble. Ou dans l’insinuation, tout du moins. Donc, l’équation est simple, tu ne fais pas ce genre de propositions si tu n’as pas un minimum de sentiments pour la personne. Sentiments clairement pas partagés, vu sa réaction. Et au cas où j’en douterais encore, il me suffit de me rappeler l’appel de Becca d’hier soir, et ma journée de cours. Elle n’a pas cessé de me rabacher qu’elle allait enfin se taper Liam, qu’il ne l’avait pas repoussée et qu’au contraire, il lui avait assuré que c’était pour bientôt. Je devrais m’en foutre totalement, mais ce n’est pas le cas. Loin de là. Voilà ce que ça fait de s’attacher à son plan cul. En plus de devoir supporter sa vision tous les jours à la maison, je vais maintenant me demander tous les soirs, comme en ce moment-même, s’il n’est pas en train d’en baiser une autre. Happiness.

Je referme le bouquin de cours en soupirant. Autant dire que l’intello n’a pas été très efficace ce soir. D’un autre côté, qui bosse un vendredi soir sur ses cours ? J’aurais mieux fait de sortir avec Becca comme elle me l’a proposé, mais je ne supportais plus de l’entendre parler de Liam. Ça me donne des envies de meurtre, et je ne sais pas si c’est davantage la tête de ma meilleure amie que je veux couper, ou celle de mon plan cul. Ex plan cul. Frère. Beurk.

Les lumières sont allumées au rez-de-chaussée lorsque je descends l’escalier, et je prie pour ne pas encore tomber sur ma mère en train de se faire sauter. Franchement, qui ne partirait pas en live en voyant ça ? Pas besoin d’être coincée pour ne pas vouloir assister à ce genre de scènes. Je me fige en entendant des voix en entrant dans la cuisine et m’apprête à faire demi-tour quand je reconnais celle de Liam. Me voilà à espérer qu’il n’ait pas ramené Becca ici pour la sauter juste sous mon nez, en prime. Mais non, c’est la voix de son père qui lui répond.

— Tu peux arrêter de travailler, Liam, je te l’ai déjà dit. Pourquoi tu t’acharnes à avoir encore deux boulots ?

Ben oui, voyons, c’est belle maman qui régale maintenant, Liam. Et puis, je t’ai dit que je m’en foutais de l’argent, moi.

— Jamais je n’arrêterai de travailler, Daddy. D’abord, parce que ça me permet d’être indépendant, de faire ce que je veux de mon argent, mais aussi parce que je me suis engagé auprès de Sarah pour rembourser nos dettes. On n’est pas des gigolos, Daddy.

— Tu t’es engagé auprès de Sarah ? Tu sais que c’est sa mère qui nous a aidés ? Enfin, Liam, je veux bien que tu veuilles être indépendant, mais tu pourrais au moins lâcher l’un de tes boulots pour être moins surchargé, non ? Je suis sûr que Sarah comprendra, surtout qu’elle, elle n’a jamais bossé, je suis sûr.

— Je sais bien que c’est sa mère qui nous a aidés, mais tu trouves normal que ta meuf paie tes dettes ? C’est pas comme ça que tu nous as élevés, Daddy. Franchement, tu me déçois là-dessus. Tu l’aimes au moins, Vic ? Parce que si tu n’étais là que pour son argent, franchement, ça me décevrait encore plus.

Il est trop mignon quand il appelle son père comme ça. Le mec plutôt viril et macho qui devient un petit garçon chaque fois qu’il parle à son “Daddy”.

— Bien sûr que j’aime Vic ! Pour qui tu me prends ? s’énerve son père. Je ne voulais pas de son argent. Je n’ai accepté que pour arranger la situation pour vous, Liam. Ça me tuait de te voir trimer, de voir ta sœur chez la voisine tout le temps parce qu’on bossait, de ne pas pouvoir lui offrir tout ce dont elle avait besoin.

— Mais pourquoi accepter son argent ? Tu donnes juste l’impression que tu n’es avec elle que pour ça. Et peut-être aussi pour son cul. Sarah m’a dit que vous étiez en train de baiser dans le salon quand elle est rentrée avec Jude. Vous ne pouviez pas vous contrôler un peu ? Un peu de discrétion, c’est pas plus mal, non ?

— Oh, ça va, Liam, rit Jim. Tu sais ce que c’est, dans le feu de l’action, tu ne réfléchis plus avec ta tête. Et puis, Vic n’a pas eu d’homme depuis que son mari est mort, et moi personne depuis ta mère. Tu imagines ce que ça fait d’être à nouveau amoureux ? Tu ne penses pas au fait que tu puisses être surpris à ce moment-là. On fera plus attention, on lui a dit, mais faut se détendre un peu, Fils, on ne fait rien de mal.

Non, vous baisez juste sous les yeux de vos enfants, dont une gamine de cinq ans. Tout va bien, Jim. Je veux bien être coincée si ça m’évite d’avoir ce genre de comportement, moi.

— Me détendre ? Quand tu baises devant Jude ? C’est ça l’éducation que tu veux lui donner ? On aurait pu rester là-bas pour ça. C’est n’importe quoi, je comprends que Sarah était en colère.

— Liam, combien de nanas Jude a-t-elle vues sortir de la maison parce que tu les avais ramenées pour une nuit, hein ? Je crois que tu peux t’abstenir de me juger là-dessus.

— C’est pas pareil, Daddy, et tu le sais. Jamais je n’ai pris le risque de me faire surprendre dans le salon ou devant elle ! Et puis, tu as bien vu, c’était à chaque fois pour une nuit, pour le fun. J’ai jamais pris le risque de recommencer avec la même fille, tu vois, sinon, je sais que je me serais attaché et que j’aurais pu faire des bêtises comme tu en fais avec Belle Maman. Maitrisez-vous tant qu’on vit avec vous. Déjà qu’on n’a pas choisi de vivre ensemble, si en plus, on doit vous traiter comme des ados en chaleur, ça ne va pas le faire !

Jamais, hein ? Et je suis quoi, moi ? Une nana bien vite oubliée ? Encore une fois, je ne peux que noter le manque de considération pour le peu que nous avons vécu tous les deux. A quel moment je me suis faite avoir ?

— Bizarrement, quand c’est pour nous reprocher toutes les misères du monde, vous vous entendez bien, tous les deux. On est loin de vos chamailleries de dimanche dernier, c’est déjà ça. Alors, comme ça, vous vous entendiez bien avant d’emménager ? C’est d’elle dont m’a parlé Jude ? La fille de l’association ? La babysitter ? Tu as réussi à devenir ami avec une fille sans la coller dans ton lit ?

Il y a un silence et je suis curieuse de savoir ce qu’il va répondre à cette question. Clairement, Liam est un coureur de jupons et son père doit avoir des doutes sur notre relation. Je tends l’oreille pour entendre la réponse du basketteur.

— Tu sais que les filles bien, je suis capable de les respecter, Daddy ? Elle est superbe, comme fille, hein, mais il faut bien savoir se tenir parfois. Et elle a été super avec Jude. Franchement, alors que tu étais en train de prendre ton pied quelque part, heureusement qu’elle était là. Et peut-être que si vous ne vous étiez pas mis en couple tous les deux, avec sa mère, ça aurait pu se faire, mais là, à cause de vous, on doit mettre tout ça de côté, ajoute-t-il amèrement.

Je devrais avoir honte d’écouter leur conversation comme ça, mais la curiosité me ronge et je n’arrive pas à faire demi-tour, surtout vu les propos de Liam.

— Attends, t’avais le béguin pour elle, Fils ? lui demande son père, un sourire dans la voix.

— Tu as vu comme elle est canon ? Et en plus, elle est intelligente, gentille, il n’y a pas grand-chose à jeter, répond son fils avec le même sourire.

Ce qui ne l’a pas empêché de me jeter quand j’ai osé lui proposer plus. J’ai presque envie de débouler dans le salon pour lui faire remarquer, mais une partie de moi se repasse ses mots encore et encore et me fait trouver cette situation d’autant plus merdique. Peut-être que j’aurais eu ma chance, à un moment donné.

— Ouais, désolé de t’avoir cassé ton coup. Quelle idée, aussi, t’imagines le bordel dans cette maison si tu te tapais Sarah ? Enfin… Judith n’arrête pas de me dire combien elle est contente d’avoir une grande sœur et, techniquement, on est une famille recomposée. Effectivement, je crois que ce serait bien d’éviter ça, pour Jude, pour l’équilibre de la famille… Ce serait un peu malsain.

— Ouais, il faut que je pense à autre chose et tu vois le sacrifice que tu me fais faire, Daddy. T’as vraiment intérêt à assurer avec Vic, sinon, je te jure que je t’en voudrais !

— Le sacrifice ? J’aime Vic, Liam. Ce n’est pas un gros sacrifice que de devoir éviter de baiser sa fille, surtout que tu peux avoir qui tu veux, non ? Alors, une nuit de cul de sacrifiée pour une vie d’amour, c’est pas non plus la mort.

On voit bien que ce n’est pas lui qui est à notre place, tiens…

— Ouais, eh bien, je vais me contenter de la mater discrètement alors. C’est tout ce que je peux faire. Et vous, les vieux, profitez-en, hein, mais pas devant tout le monde !

— Vous êtes aussi coincés l’un que l’autre, tous les deux, rit Jim. J’ai presque envie de vous appeler Papa et Maman, quand je vous écoute, c’est un peu flippant. Allez, je vais retrouver ma Déesse au lit. Bonne nuit, Fils !

Je n’écoute pas la suite et me précipite dans la salle à manger pour me cacher. Me voilà bien conne, à jouer la James Bond girl en mission secrète alors que beau papa passe tout près pour entrer dans la chambre. J’hésite à sortir, mais je n’ai pas entendu Liam monter et je me retrouve à attendre cinq minutes au moins avant qu’il ne daigne enfin aller se coucher. Quelle idée d’écouter aux portes, sérieusement. Surtout que je ne sais pas trop quoi penser de cet échange. Enfin, Jim a assuré à son fils qu’il aimait ma mère, c’est déjà ça. J’espère qu’il ne ment pas. Quant à Liam, je suis encore plus perdue après l’avoir entendu se confier.