Liam

L’ambiance est encore une fois très calme au café. Janet devait partir plus tôt, donc c’est moi qui fais la fermeture. Il n’y a que deux jeunes qui discutent dans un coin, un rendez-vous amoureux sûrement vu comme il regarde la meuf. Elle a l’air beaucoup plus détachée de l’histoire, à la limite de l’ennui, et elle m’adresse énormément de coups d'œil. A un point même que j’ai un peu pitié du gars qui est en train de ramer pour capter son attention. Je m’approche de leur table mais garde une bonne distance de sécurité par rapport à la demoiselle.

— On ferme dans quinze minutes, pour information. Vous voulez que je vous ramène encore quelque chose où je peux clôturer ma caisse pour ce soir ?

— Non, ça ira, on va y aller, me sort la fille en se désintéressant complètement de son compagnon.

— Bien, je ne vous mets pas dehors non plus, il vous reste quinze minutes encore.

— Tu m’invites à prendre un verre après ton service, alors ? continue-t-elle sous les yeux tristes du gars avec qui elle est.

— Non, pas ce soir, je suis occupé. Mais Monsieur se fera un plaisir de vous inviter, je pense. Bonne soirée.

Je vois que le gars a repris espoir et qu’il recommence à discuter avec elle, mais elle s’en moque et se lève, le plantant sur place avant de sortir sans un regard ni pour lui, ni pour moi. J’aurais peut-être dû accepter car ce soir, je n’ai rien à faire à part retourner à la maison et bosser mes cours. Mais bon, je suis sur le coup avec Becca qui n’a pas arrêté de m’envoyer des messages depuis l’épisode du weekend, et je n’aime pas courir plusieurs lièvres à la fois.

Alors que je vais à la porte d’entrée pour fermer la devanture, une voiture s’arrête devant moi en klaxonnant. Je m’interromps dans mon geste et suis surpris de voir que ce sont certains de mes coéquipiers qui débarquent. Ryan et Jo sont à l’arrière, Abdul au volant. Ils viennent me donner chacun l’accolade et je leur demande ce qu’ils font ici, à cette heure tardive.

— Salut Frérot ! On vient te chercher, Mike organise une soirée pour son retour chez les vivants ! Il voulait faire un petit truc juste avec l’équipe, mais tu connais le bouche à oreille, j’ai entendu certaines Kappa dire qu’elles seraient là, me dit Abdul en se frottant les mains, tout sourire.

— Ah non, les gars, pas ce soir, je suis crevé, c’est mort, je ne bouge pas. Mike, il aurait pu consulter son capitaine avant de faire ça, quand même. Pourquoi je suis le dernier au courant ?

— Parce que tu te barres plus vite que ton ombre à la fin des entraînements et que tu ne viens plus aux soirées T’as pas le choix, Capitaine, tu peux pas manquer le retour de Mike !

C’est clair que je ne peux pas vraiment rater ça. Mike est tellement content de s’en être sorti avec une simple jambe cassée, je comprends qu’il ait envie de faire la fête. Et en tant que capitaine, je me dois au moins d’aller sur place et de le saluer.

— Vous savez que j’ai deux boulots, des cours et des entraînements ? C’est usant tout ça… Bref, c’est où la fête ? J’y vais avec ma bécane, par contre. Comme ça, quand j’en ai marre, je rentre à ma case.

— Ta case ? ricane Abdul. Ton château, tu veux dire ! Allez, traîne pas trop, tu vas rater plusieurs tournées sinon !

Ils viennent tous me taper la main comme si on avait marqué un panier et je les observe alors qu’Abdul démarre, pied au plancher, pressé d’aller retrouver toutes les filles qui seront aussi à cette fête. Parce qu’il va y avoir du monde, c’est sûr. On est plutôt populaires, nous, les basketteurs, et quand on organise une fête, même en petit comité, on est vite à cent ou cent cinquante personnes… Je finis de tout fermer au café et enfourche ma moto pour me rendre sur le campus, dans le bâtiment où se déroule la soirée. Dès que j’approche, j’entends les basses et le bruit sourd des percussions et me dis que l’alcool doit déjà couler à flots. Quand j’entre, je suis directement accueilli par Mike qui rayonne en me voyant arriver.

— Salut Mike. Ils t’ont laissé sortir ? Ils n’ont pas remarqué qu’avec ta folie, ils auraient dû te garder encore une dizaine d’années ? Content de te voir en tous cas !

On se fait une accolade malgré sa béquille et il m’adresse un nouveau sourire de franche camaraderie.

— Non, ils ont décrété que ma folie était bonne pour le moral de tout le monde. En revanche, ils s’inquiètent pour toi, mec. Depuis quand tu rechignes à aller en soirée ? Tu voulais m’abandonner ?

— Ben non, je ne t’abandonne pas, tu vois ? Je suis là et j’ai ordre de te faire interner à nouveau si tu déconnes trop. Et pour les soirées, je fatigue un peu avec tout ce que je fais en ce moment. En plus, j’avais ce qu’il fallait pour tirer mon coup, mais bon, je suis à nouveau sur le marché, je vais faire un effort. Content de te voir debout, en tous cas !

— Eh bien, tu ne devrais pas avoir de problème à te trouver une gonzesse, mon pote, vu les nanas qu’il y a là ! Mais trinque avec moi quand même avant de partir en chasse, j’ai trois jambes, mais toujours une descente en béton, rit-il.

Encore une fois, on se fait un check et je le suis, clopin-clopant, jusqu’au bar où il se prend une bière et m’en offre une. Voilà une soirée qui est bien partie car, comme il l’a dit et comme je le pensais, il y a effectivement de quoi profiter avec toutes ces nanas court vêtues et en chaleur. Je laisse Mike continuer à accueillir nos camarades et vais me déhancher un peu au milieu de la pièce, mon verre à la main. J’essaie d’oublier la fatigue et de rentrer dans le mood de la soirée.

— Salut, Beau Capitaine !

Une voix féminine résonne dans mon dos et je me retourne pour me retrouver face à face avec Becca, dont la tenue est à tomber, accompagnée de Sarah, plus sobrement habillée, et Evan. Becca me saute au cou et me fait une bise bien appuyée au coin des lèvres. Tous les regards sont portés sur elle, dans son mini tailleur blanc et son haut transparent qui révèle un soutien-gorge rouge en dentelles.

— Bonjour Becca ! Bonjour Sarah et Evan ! Je ne pensais pas vous voir ici.

— Becca nous a suppliés de venir, je comprends mieux pourquoi, ricane Evan. On vous laisse maintenant ou on peut espérer pouvoir boire un verre avec toi, Bec ?

— Oh oui, et même plus qu’un verre. Le Capitaine est tellement occupé qu’il me fait languir. Je n’en peux plus d’attendre, alors s’il me veut, il faudra qu’il patiente aussi désormais. Ce soir, c’est soirée copains, copines !

Et elle me plante là, comme un con, en emmenant ses deux amis vers le bar. J’hallucine un peu, moi qui pensais que la soirée allait bien tourner, la voilà qui me snobe parce que je n’ai pas pris le temps d’aller la voir ! Elle abuse, même si elle a un beau cul, quand même. Bon, en revanche, la voir s’éloigner avec Sarah m’amène à faire la comparaison et elle ne tourne pas à son avantage. Ma future sœur est ravissante et beaucoup plus attirante dans sa sobriété. La robe qu’elle a passée lui donne un petit air sage qui contraste avec ce que je sais d’elle quand elle se lâche. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à la remarquer car mes amis basketteurs les matent toutes les deux et Ryan s’approche de moi.

— Tu sais si elle sort avec Evan, ta sœur ? J’ai rien contre Rebecca, mais un peu moins de vulgarité, ça ne fait pas de mal.

— Non, non, elle est libre, avoué-je avec réluctance. Tu t’intéresses à elle ? Tu l’attires pas dans un de tes coups foireux, hein ? Elle est fragile, la petite, je ne veux pas qu’elle soit mêlée à tes histoires de trafic ou tes plans de merde où ça baise dans tous les coins.

— Fragile ? Dis-donc, tu es déjà bien protecteur, le frangin ! se moque-t-il. Tu sais, généralement, les petites nanas qui ont l’air sage… Quand elles se lâchent au pieu, ça vaut le détour. Ça me tente bien, moi !

— Ouais, ben tu fais ce que tu veux, hein ? Elle n’est pas vraiment ma sœur de toute façon, et elle est assez grande pour se défendre. Mais tu es sûr que tu préfères pas sa pote ? Franchement, elle a l’air plus open, Becca.

— Elle est open pour toi, mon Lapinou, pouffe-t-il. Je crois que tu pourrais la prendre dans la seconde au beau milieu de la pièce. Moi je préfère les petites timides qui se révèlent des lionnes sous la couette.

Il m’agace, Ryan, avec ses allusions qui sont tellement proches de la vérité. Parce que ce que j’ai vécu avec Sarah, je ne l’avais jamais connu avant. Une telle communion, tant d’orgasmes, c’est sûr que cette fille se révèle encore plus quand elle est au lit.

— Ouais, j’aurais bien aimé, mais ce soir, elle a décidé de me snober. J’aime pas quand on me fait ça, même quand on a de gros nichons. Bref, c’est pas ma soirée, j’aurais mieux fait d’aller me coucher.

— Eh bien, tu vas pouvoir t’en trouver une autre sans problème, Capitaine ! Moi, je t’abandonne, ta frangine est toute seule, je vais sauter sur l’occasion. Espérons que je puisse sauter autre chose que l’occasion, d’ailleurs !

Je lève les yeux au ciel alors qu’il s’éloigne de moi, le mode chasse activé. Je croise le regard de Sarah qui me capte alors que je l’observe et je pense que c’est ce qui la motive à ne pas repousser la main de Ryan qui s’est posée sur le bas de son dos. Elle répond à son sourire, mais c’est vers moi que ses yeux sont tournés, comme si elle n’acceptait l’approche de mon ami que pour me faire chier, que pour me rendre jaloux. Et le pire, c’est qu’elle y arrive. J’en reviens pas de ce que je ressens alors que j’ai moi-même tout fait pour m’éloigner d’elle, que j’étais à deux doigts de me taper sa pote dans la cuisine. Un prêté pour un rendu, ça doit être ça. Œil pour œil, dent pour dent, pote pour pote. Franchement, si c’est ça, vaut mieux que je me casse.

Je file récupérer mon casque et mon blouson, salue Mike en prétextant un fort mal de tête pour excuser mon départ et me sauve, non sans avoir remarqué que Sarah a suivi Ryan au bar et qu’ils se sont installés côte à côte pour discuter. J’espère qu’elle ne va pas rentrer trop tard ce soir, sinon, je vais me faire plein de films qui sont tous plus répulsifs les uns que les autres. Et ce n’est pas le frangin qui est protecteur, c’est l’ex qui est jaloux qui parle.