64. Chaude sortie
Sarah
Je jette un œil du côté de Jude, qui semble hypnotisée par l’écran, à fond dans le film, ce qui n’est absolument pas le cas de Liam. Je sens sa main caresser ma cuisse sous mon manteau que j’ai posé sur moi pour éviter que sa sœur ne tombe sur ce genre de scènes, et il s’amuse à remonter de plus en plus haut, venant frôler mon entrejambe. J’ai envie de le repousser lorsqu’il se penche vers moi, mais mon cerveau perd toute notion du danger lorsque je sens ses lèvres dans mon cou, traçant un délicieux chemin jusque sur ma mâchoire. Merde, il prend des risques, là. Judith pourrait nous griller, et lui me donne envie d’aller nous enfermer à la maison pour se couper du monde extérieur et profiter de la vie à deux, imbriqués l’un dans l’autre jusqu’à connaître de nouvelles délicieuses petites morts.
— Qu’est-ce que vous faites ?
Jude refroidit l’atmosphère en un quart de seconde et Liam se réinstalle correctement sur son siège, sans pour autant lâcher ma cuisse. Moi, je dois être toute rouge, embarrassée, et je peine à trouver une explication alors que la petite a lâché l’écran du regard et nous scrute tous les deux.
— Ton frère… Me disait à l’oreille qu’il trouvait le film un peu ennuyeux, chuchoté-je. Mais t’occupe pas de ça, moi, j'aime bien, Jude.
Elle tire la langue à son frère dans la pénombre du cinéma et se replonge dans ce dessin animé vraiment moyen, mais qui semble la passionner. Quelle idée de passer son samedi après-midi ici, à manger du pop corn en jouant les baby-sitters, sérieusement ? Jim et ma mère étaient ravis de nous voir sortir tous les trois, comme une vraie petite famille, et ce mot me fait encore plus grimacer depuis que Liam et moi fricotons quotidiennement.
Voilà une semaine que j’ai décidé de lâcher prise, le temps d’une soirée, qui s’est transformée en six autres qui me laissent perplexe et m’empêchent de reprendre mes distances. Liam est un amant formidable, et je suis tellement heureuse d’avoir retrouvé notre complicité d’avant que les réveils matinaux pour regagner nos chambres ne parasitent que très peu tout le reste. Évidemment, la réalité nous tombe toujours dessus au petit déjeuner, mais la nuit ayant été embrumée par le plaisir, et la suivante pleine de promesses, je n’ai jusqu’à présent pas vraiment touché terre.
Lorsque le film se termine, je ne sais pas trop si j’ai envie de crier “déjà !” ou “enfin !”. Liam est très doué pour m’exciter et je me sens particulièrement frustrée par ce tripotage qui ne mènera à aucune délivrance. Ma seule satisfaction est de voir qu’il doit se rajuster discrètement en se levant avant d’aider Judith à mettre son manteau.
Je sens sa main se poser sur ma hanche alors que nous nous faufilons entre les sièges pour sortir de la salle, et il va même jusqu’à se presser dans mon dos tandis que j’attends que la foule de gosses dévale l’allée pour pouvoir m’y engager à mon tour. J’ai l’impression de retrouver un peu d’air lorsque nous sortons du cinéma et qu’il doit s’éloigner de moi.
— Alors, Jude, qu’est-ce que tu veux faire, maintenant ? lui demandé-je en fermant mon manteau.
— On peut aller au Mcdo ? demande-t-elle, pleine d'espoir. Daddy a dit de ne pas rentrer trop tôt.
— Jude, ce n’est pas trop l'heure pour ça, répond Liam. Et puis, je suis sûr que Daddy a fini ses câlins avec Vic. Tu en penses quoi, Sarah ?
La fille bien élevée pense qu’elle n’a pas trop envie de prendre le risque de manger un burger sous les yeux du mec avec qui elle couche, en fait. Mais bon, vu le regard de Jude, je ne peux pas trop résister.
— Eh bien… J’en pense que ça fait longtemps que je ne suis pas allée chez McDo. On peut se balader un peu en attendant l’heure, et y dîner avant de rentrer ? Les parents nous ont un peu mis dehors, quand même.
— Youpi ! Je pourrai avoir le dessert au chocolat ? s'enthousiasme la petite sous nos regards amusés.
— Tout ce que tu veux, sœurette. Allons nous promener vers le centre-ville. Il y a une aire de jeux où tu voulais aller.
Jude attrape nos mains et nous entraîne à sa suite en direction du centre-ville. Elle est vraiment trop mignonne et, une fois de plus, je me dis que j’ai une chance folle de l’avoir vue débarquer dans ma vie, même si cela signifique que Liam et moi ne devrions pas faire ce que nous faisons actuellement. Ils ont, tous les deux, assurément remis un brin de folie dans mon quotidien, et ça fait du bien.
La petite tornade fuit rapidement vers les jeux lorsque nous arrivons sur l’aire, et Liam l’observe avec une tendresse clairement affichée dans le regard.
— Tu as les yeux du frère capable de tout accepter pour sa petite sœur, souris-je. Fais gaffe, elle le sait et elle en joue.
— Oui, je sais. Je suis comme ça avec toutes mes sœurs, répond-il, taquin.
— Ne m’appelle pas comme ça, grimacé-je en allant m’asseoir sur un banc libre.
C’est vrai, c’était drôle, et encore, quand on ne couchait plus ensemble. Là, c’est vraiment glauque. Si nos parents savaient ce qui se trame derrière leur dos… Je suis sûre que ma mère m’étriperait. Quel scandale dans le quartier, la mère et la fille qui couchent avec le père et le fils, elle ne s’en remettrait jamais.
Liam se positionne derrière le banc et pose ses mains sur mes épaules qu'il masse doucement, protecteur.
— Détends-toi. On ne fait rien de mal. Ce n'est pas comme si on faisait dans la consanguinité !
— Je sais bien, soupiré-je, mais ça n’en reste pas moins bizarre de s’appeler comme ça quand on sait qu’il y a quelques heures, on jouissait ensemble sous la douche, tu vois ? Enfin, je suis pas à l’aise avec ça, moi.
— Je vois très bien, oui, j'ai encore en tête le goût de ton excitation, Sweetie, me confie-t-il en se penchant près de mon oreille. Et j'ai hâte d'y goûter à nouveau si tu veux tout savoir.
Liam dépose un bisou à la base de mon cou qui me fait frissonner.
— Et tu balances ça comme ça, dans un parc avec plein de gamins, sans gêne ? pouffé-je avant de l’embrasser sur la joue. Tu devrais avoir honte, petit dévergondé !
— Petit ? Tu ne disais pas ça cette nuit, jolie diablesse. Vivement ce soir en tous cas.
Il ne se lasse pas. Une semaine qu'on fait l’amour quotidiennement comme des lapins, et il semble avoir toujours la même envie de moi. C’est fou quand on sait qu’il dit ne coucher qu’une fois avec une fille. Enfin… Une nuit, quoi.
— Je ne sais pas si je suis dispo, ce soir, le taquiné-je alors que je croise le regard d’un type qui semble nous observer en approchant. Tu sais, les nuits sont courtes en ce moment !
Liam semble l’avoir lui aussi repéré tandis que Jude s’amuse à descendre un toboggan avec deux petites blondes pas bien plus âgées qu’elle.
— Est-ce que ça va, Miss ?
— Pourquoi ça n'irait pas ? l'attaque immédiatement Liam qui réagit au quart de tour.
— Toi, je ne te parle pas, répond-il dédaigneusement. Je discute avec la miss, pas avec un mec comme toi.
— Un mec comme moi ? s'indigne mon amant en se redressant derrière moi, menaçant.
— Liam, laisse tomber, soupiré-je en me levant, comme si je pouvais faire quoi que ce soit si ces deux-là décidaient d’en venir aux mains. Je vais très bien, je ne vois pas où est le problème, Monsieur. Bonne journée.
— Ah oui, je vois. Tu es du genre à fricoter avec les négros, toi. Bitch, jette-t-il méchamment.
Je n’ai pas vraiment le temps de réaliser à quel point ce type est immonde que Liam a déjà bondi au-dessus du banc et le surplombe de toute sa hauteur, visiblement énervé. Je ferais moins la maligne à la place de ce type, mais il l’a cherché. Pour autant j’espère que mon basketteur va savoir se tenir, je ne voudrais pas qu’il ait des problèmes.
— Tu dégages tout de suite, mec, ou je te promets que le négro que je suis va te faire la peau. Tu seras tellement amoché que même ta famille ne te reconnaîtra pas. Je compte jusqu'à trois avant de te défoncer, sale raciste. Un… Deux… commence-t-il à compter devant le gars qui se met à paniquer.
— C’est bon, c’est bon, je m’en vais, dit-il en levant les mains devant lui. Comme d’habitude, hein, menaces et violence. De vrais animaux.
Il fait demi-tour comme il est arrivé, sans avoir oublié de déverser sa haine au passage, et c’est un Liam furibond qu’il me laisse, prêt à bondir et à faire un carnage, si j’en crois son visage crispé et ses poings serrés.
— N’y pense même pas, Liam. Laisse tomber, il n’en vaut pas la peine, lui dis-je en me mettant devant lui, sans vraiment être convaincue que je pourrais l’arrêter s’il décidait de partir à la poursuite de ce raciste provocateur.
— Je ne vais pas le laisser se barrer comme si de rien n'était, crache-t-il, excédé en faisant un pas vers moi. Il t'a traitée de salope, ce connard.
— Si, tu le laisses se barrer et tu essaies de redescendre avant de faire une bêtise que tu pourrais regretter toute ta vie. Pense au basket, à ta carrière, à ta sœur. On s’en fout du reste…
Il se retourne et donne un coup de pied violent dans le banc en poussant un cri qui attire l'attention de toutes les personnes présentes dans le parc. Jude se précipite et se jette dans ses bras, ce qui a au moins le mérite de le calmer un peu.
— Tu as raison, Sarah, mais ça m'énerve ces types qui passent leur vie à nous rabaisser et à nous mépriser. J'ai la rage et encore plus parce qu'il t'a insultée.
— T’es mignon de vouloir défendre mon honneur, Sanders, souris-je en me glissant sous son bras libre pour lui murmurer à l’oreille. Compte sur moi pour te remercier comme il se doit ce soir, même si je suis une grande fille.
L'éclat que je devine dans son regard me fait comprendre que ma proposition a réussi à capter son attention et il me serre fort contre lui, sa main agrippant fermement mes fesses.
—Tu as raison, Sarah. Allons nous détendre devant un bon burger. Et vivement ce soir pour que la nuit me fasse oublier tout ça.
— Tu apprendras à tes dépens que j’ai toujours raison, Capitaine !
Je dépose un baiser sur sa joue avant que nous ne nous mettions en route pour le fast food. Je ne sais vraiment pas comment il fait pour se maîtriser quotidiennement. C’est fou comme un blanc peut être con et méchant, même encore aujourd’hui. N’y a-t-il pas déjà suffisamment de violence dans ce monde pour qu’en plus, à petite échelle, des gens se fassent agresser verbalement sans rien avoir fait d’autre que de respirer ? Heureusement que Jude était là, je crois, je doute que j’aurais réussi à désamorcer la bombe si elle n’avait pas déboulé. Et pourquoi est-ce que ça m’excite qu’il prenne ma défense, d’abord ?
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