Liam

Je suis un con. Un gros con. Et franchement, je mérite de me retrouver couché dans ce canapé, seul et malheureux, parce que j’ai grave abusé, là. Tout avait bien commencé, pourtant. Et Vlan ! Je fous tout en l’air à cause de mon ego surdimensionné. Enfin, ça, c’est ce que me disait ma mère. Comme quand elle disait aussi que je ne réussirais jamais dans la vie sauf en vendant mes charmes parce que j’avais un visage de star. Elle avait sûrement raison, en plus, quand je vois où je me retrouve.

Je me lève et sors sur la terrasse après avoir revêtu mon manteau. J’écoute le léger clapotis des vagues qui viennent se heurter au petit ponton qui se situe devant notre cabine. Le cadre est vraiment idyllique, même si là, avec l’obscurité qui règne, on ne distingue pas grand-chose, je parviens quand même à discerner de l’autre côté du lac la colline qui le surplombe. Une masse informe et sombre, un peu comme mon avenir si je continue à ne pas savoir me contrôler.

En même temps, Sarah sait que je n’ai pas d’argent, que nous avons dû déménager chez elle pour cette raison, que je continue à bosser juste pour pouvoir rembourser la dette qu’a payée sa mère au Mexicain. Pourquoi faut-il qu’elle fasse ses bonnes oeuvres avec moi ? Si elle veut baiser, elle n’a qu’à demander, je n’ai pas besoin de tout ce faste pour m’unir à elle. Elle me prend pour quoi, un gigolo ? Si elle voulait qu’on passe du bon temps ici, pas besoin d’aller dans un de ces restaurants de bourges qu’elle semble affectionner ! On n’a pas fait les courses pour tout jeter à la fin du séjour parce qu’on est trop allés au resto, quand même !

Je marche un peu sur la plage, en évitant de trop m’éloigner de la cabine où se situe la seule source de lumière à des miles à la ronde. Je m’assois à même le sable en essayant de ne pas penser à toutes ces femelles moustiques qui me tournent autour et ne pensent qu’à venir profiter de mon sang. Ces succubes me font parfois penser à nos groupies qui viennent s’agglutiner au bord des parquets pour nous piquer un bisou, un autographe ou juste un sourire. Je réfléchis à nouveau à ce qu’il s’est passé et je me dis qu’à cause de moi, le weekend de Sarah est en train d’être gâché. Et je m’en veux de lui faire subir ça, à elle qui se faisait un tel plaisir de se retrouver auprès de ce lac Winnebago qui est vraiment magnifique.

Je retourne à l’intérieur car j’en ai marre d’entendre des bourdonnements dans mes oreilles. Je me dirige vers la porte de la chambre et frappe discrètement. J’espère secrètement qu’elle va répondre, me dire oui, et que ce petit différend sera vite résolu, mais c’est le silence qui répond à ma tentative de renouer le contact. Soit elle dort et ne m’a pas entendu, soit elle ne dort pas et je suis beaucoup plus mal embarqué que je ne le pensais. Résigné, je me recouche et essaie de me convaincre que c’est juste une petite dispute, que ce n’est pas la fin définitive de notre relation.

Mon esprit torturé s’amuse à tourner autour de ce terme : “relation.” Parce que c’est clair que nous ne savons pas trop ce que nous sommes l’un pour l’autre. Techniquement, nous sommes demi-frère et demi-sœur, même si le mariage de nos parents n’a pas encore eu lieu. Ce qui rend nos ébats fusionnels encore plus tabous. Mais bon, ça, je suis prêt à passer dessus, même si nos parents vivent ensemble, ça ne fera jamais de nous des frères et sœurs. Aucun risque et aucun lien du sang entre nous.

J’examine la deuxième option : Plan cul. Alors, là, pour ce qui est du sexe, le contrat est rempli. Quand on se retrouve, le plaisir est au rendez-vous, et plutôt dix fois qu’une. Tellement que j’ai dérogé à ma règle de la nuit unique et que je suis heureux d’y retourner chaque soir et chaque journée. Enfin, ça, c’était avant, parce que là, c’est régime sec. Chacun dans son coin. Et c’est terrible comme ça me désespère et me met en colère en même temps. Ce qui m’amène à la troisième option… Si c’est plus qu’un plan cul, ça veut dire qu’on est en couple ? Enfin, “était,” en couple.

C’est clair que je dois me faire une raison. Moi, l’éternel célibataire qui profite de la vie, je suis en train de me caser avec Sarah. Cela fait maintenant des semaines que je n’ai plus fait l’amour à aucune autre femme. Cela fait même des semaines que je n’ai pensé à aucune autre sauf elle. Encore elle. Toujours elle. Et puis, la jalousie que je ressens dès qu’un gars s’approche trop près d’elle ne ment pas. Je suis accro à ma Sweetie et je ne supporterais pas qu’elle se mette en couple ou même qu’elle montre de l’intérêt pour un autre que moi.

Je tourne et retourne dans mon lit de fortune sans trouver le sommeil. Je soupire et me lève à nouveau, ressors de la cabine et en fais le tour pour m’approcher de la grande vitre qui donne sur la chambre. J’essaie de frapper au carreau pour réveiller Sarah mais de ce que je peux discerner, elle ne bouge pas. Je colle mon visage au carreau mais le manque de luminosité ne me permet pas de voir quoi que ce soit. Si je veux lui parler, il va falloir que j’attende demain. Je me résigne à aller dormir dans mon canapé, seul alors que tout ce que j’aimerais, c’est la prendre dans mes bras et lui expliquer que je suis un gros con qui a dit des bêtises et qu’il faut qu’elle me pardonne.

Je me remets à nouveau à bouger dans le canapé quand j’entends la porte de la chambre grincer. Je m’immobilise pour écouter ce que fait Sarah, et le parquet du salon se met à grincer alors qu’elle approche.

— Tu viens te coucher ? Le lit sera sans doute plus confortable que ce canapé trop petit…

C’est un cessez-le-feu, ça, on dirait ! Qu’est-ce qui a motivé son changement d’attitude à mon égard ? Peut-être qu’elle a simplement eu pitié de ma posture dans ce petit canapé d’où je dépasse à tous les niveaux.

— Tu es sûre que c’est ce que tu veux ? Je ne veux pas déranger, non plus…

— Est-ce que je t’ai déjà donné l’impression de faire quelque chose que je ne voulais pas ? Allez, viens, le coach va m’étriper si tu as mal au dos ou te pètes une côte en tombant du canapé dans la nuit.

Je me lève prestement sous son regard que je ne parviens pas à déchiffrer. Elle n’attend pas que je sois prêt pour retourner immédiatement dans la chambre où elle va se coucher le plus loin possible de moi. Je prends donc l’autre côté et me glisse sous la couette, en lui tournant le dos, dans mon coin à moi. Il y a du mieux, mais on est passé du conflit armé à la guerre froide, là. Très froide, si j’en juge la distance que nous maintenons entre nous alors que le lit n’est pas si grand que ça.

Je me retourne, ne parvenant toujours pas à trouver le sommeil. L’horloge m’indique qu’il n’est qu’une heure du matin et que la nuit va encore être longue. En plus, le temps ne passe pas et j’ai l’impression qu’il est comme figé au moment où j’ai merdé. Je soupire et me rapproche de la femme qui partage mon lit en me glissant près d’elle. Je n’ose pas la toucher par contre. Même si j’ai réduit la distance, les quelques centimètres qui nous séparent sont encore plus marquants par leur caractère infranchissable.

— Sarah ? Tu dors ? chuchoté-je doucement.

— Non, tu n’arrêtes pas de gesticuler, difficile de dormir…

— C’est parce que je ne supporte pas d’être aussi éloigné de toi… Je sais que ce n’est pas le moment de discuter, mais… Non, rien, juste te dire que je suis désolé.

— Désolé de quoi ? De pourrir notre weekend ? De me prêter de fausses intentions stupides ? Ou juste désolé de ne pas pouvoir baiser à ta guise ? marmonne-t-elle, visiblement encore énervée.

Je ne sais pas quoi répondre à ça. Parce qu’elle a raison d’être énervée. J’ai tout gâché avec ma stupidité, alors qu’elle avait tout fait pour que ce weekend soit inoubliable.

— Désolé d’être con, Sweetie. Je n’avais pas du tout envie de te pourrir le weekend, tu sais… Mais je sais que je n’ai pas assuré. Et ça me rend dingue de me dire que tu es malheureuse à cause de moi.

— Je ne suis pas malheureuse, je suis énervée. Ca me tue que tu puisses penser que je me sers de toi, que je cherche à te rabaisser ou que je ne pense qu’au sexe. Et ça me vexe.

C’est vraiment le message qu’elle a compris ? C’est fou parce que je sais que ce qu’elle fait, ce n’est pas vraiment pour ça. Mais mon esprit torturé m’a fait dire des choses qui l’ont blessée, et je ne sais pas comment réparer ce que j’ai cassé.

— Je me suis mal exprimé, Sarah, marmonné-je. J’ai juste voulu te donner un ressenti que j’avais. Je pense que ça vient de mon passé, mais je ne sais pas comment lutter contre ce sentiment qui me prend quand quelqu’un m’offre quelque chose qui est hors de mes moyens. Tu comprends ? Enfin, non, tu ne dois pas pouvoir comprendre, parce que je ne te donne pas tous les éléments. Il est tard et on devrait dormir… Tu me laisses te prendre dans mes bras pour nous apaiser un peu tous les deux ?

— Il faut vraiment que tu arrêtes de focaliser sur l’argent, Liam, soupire-t-elle en se tournant vers moi pour poser sa tête contre mon épaule.

— Je sais… Même si ça ne se voit pas, j’essaie… Je me sens déjà mieux maintenant que tu es contre moi, souris-je doucement. On reparle de tout ça demain, au réveil ?

— Hum… Oui, on verra ça. Bonne nuit, Liam…

— Bonne nuit Sweetie.

Je réponds en passant mon bras derrière elle pour nous rassembler dans une étreinte chaste mais chaleureuse. Je suis content que le dialogue ait été renoué, même s’il reste fragile et limité. Et je suis content aussi que nous nous soyons rapprochés physiquement. Tout de suite, je me sens mieux. Tout de suite, je suis calmé. Et contrairement à ce que j’aurais pu penser, je ferme les yeux et m’endors presque immédiatement, vers des songes où la présence de ma mère et celle de Sarah se superposent.