89. La chaleur d'un conseil avisé

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Liam

La tempête de neige qui a fait rage la nuit dernière a laissé place à un ciel gris et une température toujours froide. Rien de surprenant pour Chicago, mais ça contraste encore plus avec les photos et vidéos que m’a envoyées Sarah hier soir avant d’aller se coucher. Seule, a priori. Ce qui n’est pas le cas de Becca que j’ai entendue gémir sur une des vidéos, et pas discrètement. J’ai plaint sa voisine de chambre qui m’a répondu qu’elle avait l’habitude, mais m’a avoué qu’elle aurait aimé que je sois là. Bref, on a fini la soirée de la meilleure des façons, à se chauffer l’un, l’autre par messages interposés.

Ce matin, l’ambiance est nettement plus fraîche. Je suis dans la chambre de Jude et nous regardons le jardin devant la maison couvert de neige. Tout est blanc, saisi par le gel.

— C’est beau, hein, Jude ?

— Oui ! C’est plus joli qu’à notre ancienne maison. Là, y a plein de neige, les voitures, elles vont pas dans la cour pour tout salir.

— Moi, j’aimais bien. Avec Megan, on faisait de beaux bonhommes de neige, non ? Si tu veux, on pourra en faire un cet après-midi s’il ne neige pas trop fort.

— Oh oui ! Un gros, hein ?

— Oui, un gros qui donnera envie à Sarah de rentrer plus vite pour le voir !

Je ne sais pas pourquoi je dis ça devant ma sœur, c’est quand même le meilleur moyen de me faire griller, mais elle a l’air de trouver ça normal.

— Moi aussi elle me manque, Sarah. Je préfère quand vous me lisez l’histoire tous les deux, moi. Et, Liam ? On pourra piquer une de tes carottes pour le nez du bonhomme de neige ?

— Une de mes carottes ? demandé-je sans comprendre de quoi elle veut parler.

— Ben oui, une de tes carottes ! T’en manges tout le temps, du coup, Vic elle dit que c’est pour toi à chaque fois qu’elle en achète au magasin, rit-elle.

— Mais je vais mourir de faim, s’il me manque une carotte ! Enfin, je vais faire un effort. On fera ça tout à l’heure, si tu veux. Là, il faut que je te laisse un peu. D’accord ?

— Tu vas où ? Toi aussi tu t’en vas comme Sarah ?

— Non, juste un truc à voir avec Megan, je serai là pour midi, ou en début d’après-midi si elle me garde à manger.

Parler d’elle m’a fait penser qu’elle pourrait m’aider, peut-être.

— Et je peux pas venir voir Megan avec toi ?

— Non, toi, il faut que tu t’occupes de Daddy. Comme Vic est partie chez une amie, il est tout seul. Il va être triste si on l’abandonne tous les deux. Et quand je rentre, tu me diras tout ce qu’il a fait, d’accord ?

— D’accord, Liam. Mais tu rentres vite, hein ?

— Dès que Megan me relâche !

Je l’embrasse et sors de sa chambre pour finir de me préparer. Avec le temps qu’il fait, impossible de prendre ma moto et je n’ai pas envie de déneiger devant le garage pour sortir la voiture. Je me décide donc à sortir à pied et me couvre en conséquence avant de revêtir mes après-skis. Ainsi emmitouflé, je peux affronter le froid et profite de ma marche dans la neige pour réfléchir à ma relation avec Sarah, à notre avenir qui apparaît si bouché, aux propositions du Mexicain. J’aime bien ces moments où je suis le seul fou à mettre le nez dehors. Personne ne me dérange, et à l’exception de quelques voitures, j’ai l’impression un peu folle d’être seul au monde.

Sarah doit être en train de se préparer pour aller à la plage. A part lors de nos soirées, on a décidé de se montrer discrets et de ne pas trop échanger pour ne pas se faire capter. Difficile, mais nécessaire séparation qui met encore plus en lumière le besoin qu’on ressent d’être ensemble. Je l’imagine en maillot de bain, et l’impression qui en ressort est vraiment irréelle, à la fois parce qu’une femme aussi jolie qu’elle pourrait avoir n’importe quel type et parce que la différence de climat me donne l’impression qu’elle est partie à des années lumières, sur une autre planète. Je lui fais quand même un selfie que je lui envoie.
Je suis jaloux. Il fait froid ici ! Tu veux un peu de neige ?

Sa réponse ne tarde pas à arriver et je suis obligé d’ôter mon gant pour déverrouiller à nouveau le téléphone.
— Ce serait vraiment désagréable, vu ma tenue, Capitaine ! Dis-moi… Rouge ou bleu, le maillot ? Lequel tu préfères ?

— Je préfère le bleu, alors mets le rouge ! Que je garde le privilège d’apprécier ton décolleté dans le bleu ! Une photo pour me montrer le résultat ?

— Je te laisse apprécier le décolleté, mais pour info, je préférerais faire du topless avec toi… Suis-je une vilaine fille ?

Elle me joint une photo d’elle en selfie, son téléphone en hauteur me permettant d’apprécier le push-up de son maillot comme je le ferais si j’étais en face d’elle.

— Tu es loin d’être vilaine. J’adore la vue. Elle me manque. Je te laisse, mes doigts gèlent à t’écrire !

J’ai failli clôturer par un “Je t’aime” que je ressens mais je me suis souvenu à temps du deal qui m’empêche de le faire.

— Contente de savoir que ma poitrine te manque… Je te dirais bien que tu me manques tout entier, mais je passerais pour une fleur bleue du coup, comparé à toi… Bonne journée. Des bisous à Jude et à toi aussi, Capitaine Chéri.

Je relis mon message et je pensais avoir été clair sur le fait que ce qui me manquait, c’était de la voir elle, mais elle a interprété ça de manière plus restrictive. Toujours mon image de bad boy qui me joue des tours. Et si j’avais conclu mon message comme je le souhaitais, je suis sûr qu’elle aurait mieux compris. Quand j’arrive enfin devant chez Megan, je sonne pour qu’elle vienne m’ouvrir, ce qu’elle fait, Jordan dans ses bras, le sourire aux lèvres.

— Coucou Megan, je peux entrer ? Je vois qu’il y a quelqu’un dans la maison à côté, je ne peux plus retourner chez moi, tu vois ?

— Entre, beau gosse, sourit-elle en s’effaçant. Qu’est-ce que tu fiches ici ? Ton quartier pourri te manquait ?

— J’avais envie de te voir et d’avoir des conseils, en fait, indiqué-je en pénétrant dans la chaleur de sa maison.

Je me débarrasse de mes chaussures et mon manteau à l’entrée afin de ne pas tout salir et la retrouve dans sa cuisine, entourée de tous ses gamins. Elle a l’air heureuse, malgré la précarité de sa situation. Le regard appréciateur qu’elle porte sur moi ne cache pas non plus qu’elle n’est pas mécontente que je sois venu lui rendre visite.

— Alors, à propos de quoi est-ce que tu as besoin de conseils ? Ne me dis pas que tu as rencontré une petite nenette qui t’en fait voir de toutes les couleurs ?

— T’inquiète pas pour ça, si je veux des conseils pour faire un bébé, je te demanderais, mais je n’en suis pas là. Tu veux que je nous prépare un café ou c’est bon pour toi ?

— Fais donc ça, si tu veux reculer un peu le terrible moment où tu vas demander de l’aide, toi le fort Liam qui peux se débrouiller seul, dit-elle en me faisant un clin d'œil.

J’aime pas comment elle sait me percer à jour, mais faire le café me laisse en effet un peu de temps pour savoir comment aborder la question. Je fais chauffer l’eau, puis verse la poudre dans deux mugs que j’apporte à table. Elle s’occupe et discute des enfants mais s’interrompt une fois qu’elle m’a en face d’elle.

— Je t’ai mis le sucre, déjà, n’en rajoute pas, lui conseillé-je. Sinon, ma demande concerne le Mexicain…

— Le Mexicain ? Je ne suis pas sûre d’être de bon conseil… Qu’est-ce qu’il se passe avec lui ?

— Tu te souviens comme mon père avait une dette pour le loyer quand on est partis d’ici ?

— Oui. Ce n’est toujours pas remboursé ? Je croyais que sa nana avait du fric ?

— Si, on a remboursé rapidement en plus. On pensait être tranquille, mais là, je pense qu’il a senti l’argent et ne veut pas le lâcher. Il m’a proposé un marché, mais je ne sais pas si je dois l’accepter ou pas…

— Oh non, Gamin, ne me dis pas qu’il te rackète ? Et c’est quoi, son marché ?

— Si, il me réclame mille dollars. Par mois. Pour éviter des malheurs à ma famille. Tu sais comme il est fou et capable de le faire en plus ! Et son marché… commencé-je avant qu’elle m’interrompe vivement.

— Mille dollars par mois ? Oh quel petit con, celui-là ! Et il t’a proposé quoi, alors, de le rejoindre, c’est ça ?

— Comment tu as deviné ? Parce que oui, c’est ce qu’il voudrait que je fasse… Et ça me tente bien, tu vois, je pourrais enfin être riche et indépendant si j’acceptais.

— Oh Gamin, je t’en prie, ne fais pas ça. Tu as réussi à quitter ce quartier sans tomber entre ses griffes, ce n’est pas pour plonger les deux pieds dedans maintenant, voyons !

— Mais si je n’accepte pas, je vais faire quoi de ma vie ? Basketteur de deuxième zone ? Tu m’imagines vivre aux crochets d’une fille riche toute mon existence ?

— De deuxième zone ? Pourquoi tu dis ça ? Tu es le meilleur de ton équipe, non ? Je suis sûre que tu vas assurer et te faire recruter par une grosse équipe. Et au pire, tu préfères quoi, vivre aux crochets d’une femme riche ou vivre en taule ? Tu te rends compte de ce que Miguelito fait avec ses hommes ?

— Il m’a dit qu’il voulait juste mes contacts car je croise pas mal de gens, c’est tout. Et il est intéressé aussi parce que je voyage. Cela n’a pas l’air si terrible que ça, expliqué-je, surpris de sa véhémence, elle qui a toujours été dans les petits papiers du Mexicain.

— Liam, je t’en prie, ne fais pas ça, soupire-t-elle en attrapant mes mains sur la table. C’est une spirale infernale, tu vas commencer gentiment, et puis il va t’obliger à être dans l’illégalité. Il menace ta famille ? Et tu crois qu’il va arrêter parce que tu bosses pour lui ? Il a trouvé tes faiblesses, mon garçon, ton père et ta sœur, l’argent… Il va s’en servir pour te pousser à faire tout ce qu’il veut.

— Mais il paie bien, non ? Tous ses gars ont l’air de rouler sur l’or. J’en ai marre de vivre pauvrement ou aux crochets de la famille de la meuf de mon père, m’emporté-je. Tu comprends ça ?

— Liam, ça suffit, je t’interdis de me parler comme ça, me gronde-t-elle en levant le doigt sous mon nez comme elle le fait avec ses enfants. Tu voulais des conseils, non ? Je te les ai donnés. Et arrête deux minutes avec ta fixette à la con sur l’argent, merde ! Les meilleurs moments de ta vie, tu les vis grâce au fric ? Quand tu bordes ta sœur, le soir, tu le fais avec des dollars ? Quand tu joues au basket, c’est à l’argent que tu penses ? Il y a tellement plus important que l’argent, enfin !

Je la regarde, un peu interloqué de la virulence avec laquelle elle me parle. Mais en même temps, je pense que j’avais besoin que quelqu’un comme elle s'adresse à moi comme ça. C’est un peu la figure maternelle de ma vie que je n’ai jamais vraiment eue avec ma pauvre mère. Et ce qu’elle dit a du sens, même s’il m’a fallu quelques secondes pour comprendre qu’elle parlait de Jude et pas de Sarah quand elle a dit que je bordais ma sœur le soir.

— Je ne sais pas, Megan… C’est difficile… Tu as raison sur le fond, c’est sûr… Mais sans argent, on ne fait pas grand-chose, non plus. Et puis, il a menacé toute la famille si je lui refuse son argent ou de le rejoindre… Je suis quand même un peu dans une impasse.

— Ne prends pas de décision hâtive, Liam. Tu ne peux pas faire ça. Je comprends que l’argent, ce soit compliqué, mais enfin… Tu es prêt à prendre le risque de finir en prison ? De passer des années loin de Judith ? De gâcher ton avenir ?

Les enfants autour de nous s’agitent et font de plus en plus de bruits, ce qui m’empêche de répondre tout de suite. Ils doivent avoir faim, les pauvres. Je me lève et attrape la petite Lizzie qui rampe par terre et la repose sur sa chaise.

— Tu sais, je crois que j’ai bien fait de venir te voir, Megan. Tu as raison sur le fond, et il faudrait que je me concentre sur ça, je pense. Ne pas penser au reste et faire ce qui est juste, avoir des principes, sinon, c’est la fin de tout… Mais ça ne va pas être facile à assumer, ça…

— Eh bien, chaque fois que tu doutes, regarde ta sœur et dis-toi que si tu fais une connerie, tu la verras à travers un plexiglass plein de traces de doigts une fois de temps en temps, quand elle viendra te voir en prison. Et si ça ne te suffit pas, dis-toi que tu pourrais ne pas être là pour la protéger des garçons quand elle sera en âge de sortir. Ou, je ne sais pas… Rappelle-toi que l’amour est plus fort que tout ?

C’est vrai que l’amour est plus fort que tout. Je le vois bien avec ce que je vis auprès de Sarah. Et si je me retrouve en prison, qu’est-ce qui l’empêchera de m’oublier rapidement et de se mettre en couple avec un autre ? Je ne suis pas sûr que je survivrais à ça, si ça arrivait. Rien que d’imaginer les mains d’un autre sur son corps, j’en ai des frissons d’horreur. Si je refuse l’offre du Mexicain, au moins, je pourrai essayer de la défendre. Et elle est blanche, elle, la police devrait pouvoir l’aider aussi. Je me suis fait houspiller par Megan, mais je pense que j’en avais besoin.

— Merci Megan, tu m’ouvres les yeux, là. Je vais te laisser t’occuper de ta famille, mais sache que tu m’as beaucoup aidé. Encore merci. Et n’hésite pas si tu as besoin de moi, un jour, je répondrai présent !

— J’espère bien, mon petit. Mais pour ça, il faut que tu évites les pièges de la vie, et ça inclut le Mexicain, Trésor, sourit-elle en me tapotant la joue.

Je la remercie encore en lui promettant de revenir rapidement la voir pour l’informer de l’évolution de la situation avec le Mexicain et repars sur les chemins enneigés vers la maison où je ne suis pas si malheureux que ça. C’est fou comme parfois une simple conversation peut avoir un effet aussi fort sur sa vie.

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