94. La marmaille débarque
Sarah
Jude est confortablement installée devant la cheminée, en train de jouer avec ses poupées alors que les parents sont partis à l’aéroport. Liam et moi aurions bien profité du moment pour nous retrouver en tête à tête, mais avec la petite dans les parages, mieux vaut éviter. Et puis, ce sont des vacances familiales, ça ne serait pas très correct envers elle. Pour autant, mon basketteur et moi profitons du canapé et de la couverture qui nous recouvre, avec pour parfait prétexte un film de Noël dont je serais incapable de raconter la moindre minute, trop prise par ses mains baladeuses, ses lèvres dans mon cou et ses allusions coquines sussurées à mon oreille.
— Liam ? Je peux avoir un chocolat chaud ? nous interrompt Jude en se plantant face à nous.
— Euh, là, tout de suite ? Tu peux patienter quelques minutes, Jude ? demande-t-il en s’éloignant un peu de moi.
Je ris en me levant, attrape Judith dans mes bras et la dépose sur le plan de travail de la cuisine.
— Je vais te le faire, moi, ce chocolat chaud. Je crois que ton frère est un peu… Tendu, là, il faut qu’il respire un coup avant d'être disponible. Ça va aller quand même, Capitaine ?
— Oui, oui, répond-il en souriant. J’avais besoin d’un peu d’air, mais tout va bien maintenant. C’est la couverture qui devait me donner chaud. Tu m’en fais un aussi de chocolat ?
— Ça dépend, tu as été sage ? dis-je en sortant tout ce qu’il faut.
— Pas trop, mais je suis sûr que Jude va me soutenir et que ce n’est pas grave, sourit-il.
Ouais, c’est un peu de la triche, tous les deux. Jude est fidèle à son frangin, même si j’arrive parfois à la retourner. Ça ne dure jamais très longtemps, le girl power. Je m’attèle donc à préparer deux chocolats chauds et me fais un petit café, sollicitant Judith pour les marshmallows qu’elle adore déposer dans sa boisson.
Nous sommes en train de convoyer, tasses à la main, vers le canapé lorsque la porte d’entrée s’ouvre sur ma mère, dont le sourire crispé ne me dit rien qui vaille. Elle est suivie de trois petites tornades qui ne prennent même pas le temps de se déchausser et me sautent dessus. George et Linette, les jumeaux, sont de petits monstres de sept ans que j’adore voir en visio, beaucoup moins en face à face. Mike a trois ans et est beaucoup plus sage que ses aînés.
Je les couvre malgré tout de bisous avant d’aller embrasser mon oncle Jason, le frère de ma mère, et ma tante Maureen, qui tient dans ses bras le petit dernier, Kylian, à peine âgé d’un an. Il est emmitouflé dans un gros poncho en laine et on ne voit que sa petite bouille en dépasser. Vraiment craquant, ce gosse.
— Eh bien, je suis contente de te voir, ma jolie. Tu es de plus en plus belle, sourit ma tante en me serrant contre elle.
— Je vous présente Judith et Liam, les enfants de Jim, intervient ma mère, un sourire tendre sur le visage.
Jude va se planter dans les jambes de Liam, qui la prend dans ses bras et avance pour saluer poliment la famille. Maureen leur sourit en les enlaçant, et mon oncle serre la main de mon basketteur avec un regard scrutateur qui me met plutôt mal à l’aise.
— Tu fais du basket alors, c’est ça ?
— Oui, dans le championnat universitaire. J’espère bien faire carrière, même si j’assure mes arrières en travaillant les autres cours à l’université. Enchanté de vous rencontrer, énonce-t-il, un peu gêné.
— Vaut mieux assurer ses arrières, oui, peu de jeunes percent. Quoique tes chances doivent être multipliées, un noir qui fait du basket, d’office on le voit performant.
Liam cille à la mention de sa couleur de peau et je le vois qui se crispe un peu autour de sa sœur.
— J’espère que je serai jugé sur autre chose que ma couleur de peau. Ça n'a pas grand-chose à voir avec le basket, si vous voulez mon avis.
— Il doit y avoir quelque chose dans les gènes, quand même, non ?
— Bon, bon… Si vous alliez vous installer ? l’interrompt ma mère en se mettant entre Liam et lui. Oh… On n’a pas réfléchi aux chambres, mince.
Je vois ma mère se tourner vers moi, déjà presque implorante. Oui, dans le genre dérangeant, mon oncle se place bien. Et pour le coup, je crois surtout que ma mère n’a pas “oublié” de discuter de ça, elle attendait juste que je sois au pied du mur pour accepter bon gré mal gré des gosses dans ma chambre.
— Et qu’est-ce que tu as en tête, Maman, au juste ? lui demandé-je sans lui faciliter la tâche.
— Tu pourrais peut-être prendre Georges et Linette dans ta chambre, non ? Comme ça, les autres peuvent prendre la chambre d’amis qui reste ainsi que celle de Jude qui pourrait aller dormir avec son frère.
— Heu… Pourquoi on ne laisse pas les enfants ensemble ? Je suis sûre que Jude va beaucoup s’amuser avec Linette.
— Mais on met où Liam si on fait ça, ma chérie ? Il ne va quand même pas dormir dans le salon ?
— Le canapé est très confortable, il pourrait, dis-je avant de lever les yeux au ciel. Mais bon, j’ai un matelas sous mon lit, au pire, je veux bien qu’il prenne un coin de ma chambre, s’il le faut…
— Oui, ça ne me dérange pas, ce n’est que pour quelques jours, intervient-il. Et je préfèrerais dormir dans une chambre, un peu à l’écart du bruit plutôt qu’en plein milieu du salon avec tout le monde qu’il va y avoir dans ce chalet. Ce sera quand même plus confortable et je suis prêt à faire ce sacrifice pour le bien-être de tous, explique-t-il, l’air résigné.
Nos parents se regardent un moment avant de hausser les épaules.
— Vous avez peur de quoi ? Ça fait un moment que Liam et moi, on a arrêté de se sauter dessus pour s’écharper, ris-je.
— Non, on ne voulait juste pas vous mettre mal à l’aise, tous les deux. Des fois, vous avez quand même un peu de mal à admettre que vous êtes frère et soeur, mais ça me fait plaisir que vous le voyiez ainsi. Et toi, Jude, ça ne te dérange pas de dormir dans la chambre avec les jumeaux ?
Je prie intérieurement pour qu’elle accepte cette solution qui aurait l’avantage de mettre Liam dans ma chambre de manière officielle et qui nous offrirait ainsi de vraies opportunités de passer encore plus de temps ensemble.
— Je sais pas, je les connais pas, moi, grimace la petite, intimidée.
— Eh bien, comme ça, tu apprendras à les connaître. Tu n’es pas contente d’avoir des cousins, désormais ? lui demande Liam. Et je suis sûr qu’avec eux, tu pourras te coucher plus tard, aussi. Vous allez bien rigoler !
— D’accord, mais si j’aime pas, je veux venir dormir avec vous, moi !
— Oui, je suis sûr que Sarah te fera une petite place dans son grand lit si c’est le cas.
— Parfait ! Alors on fait ça, s’extasie ma mère. Sarah, Liam, vous voulez bien garder les enfants ce soir ? Nous sommes passés devant le restaurant où nous allons tous les ans, ils ont changé de propriétaires, ça nous a donné envie d’y aller dès ce soir.
Je lève les sourcils en lançant un regard à ma mère pour lui faire comprendre que j’apprécie moyennement qu’elle nous mette au pied du mur comme ça, et me retrouve en moins de deux avec le petit dernier dans les bras.
— Heu… Vous vous rendez compte que je suis fille unique et que je n’ai dû changer qu’une ou deux couches dans ma vie ? Je… Liam ? Tu gères, toi, les petits, non ?
— J’ai géré Jude, ça devrait aller, mais deux d’un coup, j’aurai besoin d’aide.
Je lui colle dans les bras le petit monstre qui bave mais n’en est pas moins mignon, et j’ai tout le loisir de voir mon oncle jeter un oeil à sa femme.
— Ne vous inquiétez pas, ça ne s’attrape pas, bougonné-je, agacée. Mais si vous préférez, vous vous occupez de vos enfants et nous on va au restau, hein !
— Sarah ! s’étouffe quasiment ma mère.
Forcément, la parfaite petite ménagère, et aucune critique là-dedans, qui ne dit jamais un mot plus haut que l’autre lorsque nous ne sommes pas seuls, n’aime pas trop mon côté impulsif.
— Oh non, Sarah, ce n’est pas… Tu nous connais enfin, bafouille Maureen. C’est juste que vous êtes jeunes, et puis, on parle d’un basketteur. Kylian est tout petit.
— Liam a changé les couches de sa sœur, l’a baignée et fait manger lorsqu’elle était petite. Ne vous inquiétez pas pour votre fils, intervient Jim, un élan de fierté dans le regard.
— Oui, je vous promets de ne pas le manger et que tout ira bien. Sauf s’il pleure, là, je ne garantis rien, se moque-t-il.
— Il ne pleure quasiment pas, mais il y a son doudou dans le sac si besoin, et ne perdez surtout pas sa tétine, sourit Maureen en passant son bras autour de mes épaules. Ça va t’entraîner, ma Sarah. Il va bien falloir, tu es une adulte, maintenant. Dans quelques années tu nous feras de beaux bébés.
— Oui, oui, j’y penserai, grimacé-je. On n’y est pas non plus, j’ai le temps pour ça. Je suis sûre que tu vas beaucoup mieux t’en sortir que moi, Capitaine, tu m’as l’air un peu trop doué, c’est presque flippant.
— J’aurais préféré ne pas avoir à apprendre, répond-il doucement, le regard un peu dans le vague.
— Jude a un grand frère formidable, murmuré-je en enlevant son poncho au petit filou. Bon, super cousin, on fait quoi, avec autant de gosses sur les bras ?
— Télé et snacks ! Impossible de faire autre chose, rit-il en me rendant le bébé pour aller rassembler les autres.
Je l’observe s’occuper des gosses avec un sourire aux lèvres. Y a pas à dire, Liam est surprenant. Qui pourrait imaginer, en le voyant à l’Université, à jouer le gros dur, l’inaccessible Capitaine de l’équipe de basket qui ne s’attache pas, qu’il est aussi doué avec les enfants ? Il est tellement craquant que je ne peux que m’installer dans le canapé avec Kylian et le regarder faire. Une chose me frappe tandis qu’il détourne l’attention des jumeaux en leur proposant de l’aider à cuisiner : Liam fera un père formidable. Et la femme qui partagera sa vie aura beaucoup de chance, tandis que je crèverai de jalousie dans mon coin. L’avenir promet d’être radieux, hein ?
Annotations