100. Le réconfort des Mamans
Sarah
J’enfile un pull et un legging et me traîne jusqu’à la salle de bain pour me passer de l’eau sur le visage. J’ai rarement une telle tête au réveil, et je suis bien contente que Liam soit reparti dans son lit tôt ce matin. Je me fais moi-même peur. J’ai le teint blafard, il n’y a pas d’autre mot.
En descendant au petit déjeuner, je constate que je n’en rajoute pas vraiment. Ma mère m’observe avec attention et vient poser sa main sur mon front tandis que je m’installe à table.
— Tout va bien, ma Chérie ? Tu as une petite mine.
Je grimace en faisant non de la tête et repousse la tasse de café qu’elle dépose devant moi. Je crois que je ne pourrai rien avaler ce matin.
— J’ai dû manger un truc qui n’est pas passé hier soir, je suis barbouillée.
— Je vais te faire un petit thé à la menthe avec du gingembre. Tu verras, ça ira mieux après ça.
Ma mère caresse mes cheveux avec tendresse avant de se mettre à farfouiller dans ses placards. Ses remèdes de grand-mère ne sont pas toujours très efficaces, mais je suis prête à tenter le coup, je déteste être dans cet état et j’ai des projets, aujourd’hui.
— Merci, Maman.
J’entends Judith dévaler les marches et elle déboule dans la cuisine telle une petite tornade. Elle va embrasser ma mère, qui se penche et l’accueille volontiers dans ses bras, avant de venir se planter à mes côtés en croisant ses petit bras sur son torse, la mine grave.
— T’es pas venue me dire bonjour dans mon lit, Sarah !
— Je suis désolée, Jude, je…
Je n’y ai pas pensé, je me traîne et mon cerveau est éteint, je me demande si je ne pourrais pas vomir mes tripes sur la table.
— Sois gentille avec ta sœur, Judith, elle est malade.
La voix de ma mère est douce mais ferme, et me rappelle bon nombre de souvenirs de mon enfance. Des frustrations, surtout, parce que c’est sa voix du : je comprends bien, ma Chérie, mais c’est non. Jude a bien compris le truc, elle ne bronche pas et s’assied en face de moi pour prendre son petit déjeuner. De mon côté, j’essaie de boire la mixture de ma mère, mais le gingembre n’est vraiment pas ce que je préfère.
Le regard que me lance Liam en voyant ma tête me tire une nouvelle grimace, et je fuis la cuisine pour aller me préparer. J’ai l’estomac en vrac et je sens que la journée va être très longue. Heureusement, quelqu’un a inventé le maquillage, et je redescends avec les joues roses et les yeux moins fatigués.
— Je file rejoindre Becca, on va faire du shopping, dis-je en affichant un sourire de façade tout en enfilant mon manteau. Je ne sais pas à quelle heure je rentre. Bonne journée !
— Tu ne ferais pas mieux de rester à la maison aujourd’hui et profiter de ta journée pour te reposer un peu ? me demande ma mère, toujours aussi maternante avec moi.
— Non, non, ça va aller. Je me sens déjà mieux. Je crois que ton cocktail a été efficace.
— Tu m’appelles si tu as besoin, n’hésite pas ! conclut-elle en me faisant une petite bise alors que je capte le regard un peu soucieux de Liam à mon égard.
Je tente le sourire rassurant et récupère mes clés avant de sortir de la maison. Je tourne et retourne la situation dans tous les sens depuis la petite visite de cet enfoiré de Mexicain. Liam a l’air décidé à ne rien faire, mais cette situation me terrifie. J’ai bien peur que ce ne soit pas le genre de cet énergumène de laisser couler. Voilà pourquoi je me retrouve dans l’ancien quartier de Liam. Je ne sais pas trop ce que je viens y faire, mais j’ai bien quelques idées. La première me mène d’ailleurs devant son ancienne maison. Le Mexicain n’a rien fait sur la façade fissurée avant de la relouer. C’est fou, ce type pourrait faire tellement de choses pour ce quartier, au lieu de quoi, il instaure un climat de peur. Je mets un moment à me décider, mais je crois que c’est la seule idée qui ne soit pas totalement stupide. Je doute qu’elle m’apporte quoi que ce soit, au final, mais j’aurai au moins eu l’occasion d’en discuter avec quelqu’un.
Megan m’ouvre la porte avec un gosse dans chaque bras et me sourit sincèrement.
— Bonjour, Sarah ! Jude n’est pas avec toi ?
— Oh… Je… J’aurais dû y penser, quelle gourde, soupiré-je. En fait, je… Je venais pour discuter avec toi, si tu as un moment.
— Avec moi ? Tu… Si tu veux, oui, entre donc. Je ne suis pas plus occupée que d’habitude. Et puis, tu pourras me donner un coup de main. Lizzie est un peu patraque aujourd’hui, un virus sûrement, si tu peux m’aider à lui donner à manger, ce serait bien.
— Oui, c’est la période des virus, on dirait bien. Et bien sûr que je peux te donner un coup de main, souris-je en entrant alors qu’elle s’efface.
Je m’installe à la table de la cuisine avant qu’elle ne me dépose la petite sur les genoux, et me retrouve à la nourrir pendant que sa mère s’occupe des autres petites terreurs. Elle doit mettre vingt minutes avant de s’installer face à moi. Confiance totale, elle m’a laissé gérer sa fille alors que je ne me suis jamais occupée que de moi, ou de ma mère.
— Je suis désolée de te déranger, mais j’ai besoin de conseils et je crois que tu es la seule personne que je connaisse qui puisse répondre à mes interrogations…
— Dis-moi tout. Tu envisages de devenir nounou ? Tu as besoin de savoir comment on fait pour s’occuper de plusieurs enfants en même temps ? me demande-t-elle en souriant.
— Eh bien… Je crois que je ne pourrais pas m’occuper d’autant d’enfants, ris-je en berçant la petite. J’admire, vraiment. Non, je… Je viens te parler de Liam, en fait.
— De Liam ? Tu as un problème avec lui ? En quoi, moi, je pourrais t’aider ? commence-t-elle avant de me regarder en plissant les yeux. Tu sais qu’il n’aimerait pas que ce soit moi qui te parle de sa mère ou de son enfance, hein ?
— Je ne viens pas pour ça, même si j’avoue que je suis toujours curieuse et lui toujours une tombe. En fait… Disons que le Mexicain ne lâche pas l’affaire avec lui et j’ai peur que ça se finisse mal… Il demande à Liam de l’argent tous les mois, ou de travailler pour lui.
— Il est toujours en train de réfléchir à ça ? Pourtant, je lui avais conseillé de ne pas céder et de ne pas aller travailler pour ce type s’il ne veut pas se retrouver en prison prochainement. Il n’a toujours pas compris, Liam ?
Donc, c’est elle qui lui a dit de ne pas lâcher l’affaire ? Eh bien, on peut dire qu’il l’écoute.
— Il ne veut pas céder, mais le Mexicain lui a rendu une petite visite à notre retour de vacances. Il l’a menacé lui, et met dans la balance Jude, ma mère et moi. Liam ne veut pas payer non plus alors que je lui ai dit que je lui donnerai l’argent, mais… Enfin, je ne veux pas qu’il lui arrive quelque chose, je sais que ce n’est pas la solution, pourtant c’est la seule chose qui me semble envisageable…
— Le Mexicain vous menace aussi ? Mais il n’a vraiment aucun respect, ce type ! J’ai conseillé à Liam d’accepter ton argent, tu sais, mais il n’avait pas l’air de vouloir profiter de toi comme ça. Et puis, il a peut-être raison, je ne sais pas si ça suffira à calmer ses demandes…
— Je m’inquiète pour Liam, Megan. Le Mexicain a l’air complètement cinglé. Je ne sais pas ce qui est le pire, menacer de me foutre sur le trottoir ou de casser les genoux de Liam… Tu imagines, s’il met sa menace à exécution ? Si Liam n’a plus le basket ? Je ne sais pas quoi faire, mais… Je ne peux pas rester les bras croisés à voir ce type le menacer, à attendre qu’il se décide à frapper fort…
Je grimace en soulevant doucement Lizzie et suis prise d’un haut-le-cœur de compétition. Je dois être à deux doigts de rendre le thé que ma mère m’a préparé sur la table.
— Oh la vache, elle est mignonne ta fille, mais sa couche doit être une bombe nucléaire, là.
— Oh oui, désolée, me répond-elle en la prenant de mes bras. C’est terrible pour Liam… Je me demande… Tu sais que j’ai grandi avec le Mexicain ? C’est pour ça qu’il m’aime bien et me respecte… Peut-être que je pourrais essayer de lui parler ? Mon Miguelito, il ne peut rien me refuser...
— Vraiment ? Tu ferais ça ? Je… J’aimerais tellement que ça fonctionne, je déteste voir Liam se prendre la tête pour ce type. Ce serait vraiment gentil de ta part, Megan.
— Je ne sais pas si ça fonctionnera, mais je vais essayer de lui parler, en tous cas. Ça ne coûte rien de tenter le coup. Tu l’aimes beaucoup, reprend-elle alors qu’elle est en train de changer la couche de Lizzie. C’est bien de voir que vous vous entendez bien tous les deux.
— C’est quelqu’un de bien, souris-je. Il mérite d’être un peu tranquille, non ? Je crois qu’il a déjà suffisamment galéré…
— Oui, c’est clair. Il joue parfois au gros dur, mais c’est un vrai gentil. Il est adorable. Et vraiment mignon ! Je peux te le dire à toi, mais des fois, je me fais des petits scénarios dans ma tête où je l’imagine ! Un vrai fantasme, rit-elle le plus naturellement du monde.
— Eh bien… Y a pas de mal à se faire du bien, souris-je en me levant. Merci, Megan, vraiment. Même si ça n’aboutit à rien, ça fait du bien d’en discuter. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas. Tu m’aides bien plus que tu ne l’imagines, si je peux rendre la pareille, ce sera avec plaisir.
— Passe me voir avec Jude, ça me fera plaisir. Et je te dirai si j’ai réussi à parler à Miguelito ou pas.
— Promis, elle sera contente de te voir. Et puis, je crois qu’elle en a marre de jouer avec moi à la poupée, je ne suis pas très imaginative. Je ne te dérange pas plus longtemps… Encore merci d’avoir pris le temps pour moi, vraiment.
— Fais une bise à Liam de ma part ! A bientôt, Sarah.
Je la salue et sors de chez elle un peu rassérénée. J’ai conscience que la situation n’est pas résolue, mais c’est une petite éclaircie dans le gris de la situation. Je ne sais pas si je vais passer le bonjour à Liam de sa part, cela voudrait dire me vendre sur ce que j’ai fait ce matin, mais je ne manquerai pas d’amener Judith qui adore toujours autant venir jouer avec les enfants. En attendant de savoir si elle va réussir à convaincre le Mexicain de lâcher l’affaire avec Liam, je crois que je vais faire comme si de rien n’était. Ou alors je lui en parle ? Il va m’en vouloir d’intervenir et de m’occuper de ce qui ne me regarde pas, je crois. Enfin, techniquement, je pourrais finir sur le trottoir, donc ça me regarde, non ?
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