107. Affronter le problème de face

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Liam

— Et que pensez-vous des chances de l’équipe de finir en tête du championnat universitaire cette année ? Ce n’est pas arrivé depuis près de vingt ans, et cette possibilité, c’est surtout grâce à votre apport, non ?

Je regarde la jeune journaliste qui me pose les questions et me fais la réflexion que j’ai quand même de la chance de faire ma première interview à ce moment de la saison, avant que les sélections pour le milieu professionnel ne se déroulent.

— Je pense que nous faisons une très bonne saison, en effet, ce n’est pas toujours facile, mais on a un bon groupe, on s’entend bien et surtout, on travaille bien ensemble, c’est ça qui fait notre force. Quant à moi, je ne suis que le capitaine, vous savez. J’essaie d'entraîner les autres, mais c’est toute l’équipe qui s’unit pour parvenir à ce résultat.

Elle note tout ce que je dis avec application et cela me donne l’impression de répondre très intelligemment aux questions alors que je ne fais que dérouler les clichés que tous les sportifs sortent face à ces interrogations.

— Pourtant, sur votre dernier match, c’était vraiment mal parti contre les joueurs de Cleveland, non ? Et c’est vous qui avez tout changé en revenant dans le match.

Je repense à ce moment dans le match où le coach est venu me parler avant de me faire entrer à nouveau. Il voulait me ménager pour le match suivant contre un de nos prétendants directs au titre, mais a changé d’avis en voyant la déroute qui s’annonçait.

— Je crois que c’est surtout le coaching qui a tout changé. Le Coach m’a clairement expliqué ce qu’il fallait faire. Nous étions en train d’essayer de contourner leur défenseur, Mitch, qui était vraiment notre gros problème. Et lui m’a dit de ne plus hésiter, mais de l’affronter de face. C’est ce que j’ai fait car il a vite craqué et nous avons pu remonter la partie et l’emporter.

— Ah oui, quel final ! Vous n’avez pas eu la main qui tremblait en tentant le dernier trois points au moment du buzzer ?

— Pas du tout, c’était le panier de la dernière chance et je suis ravi d’avoir réussi à le mettre au fond. C’était le couronnement des efforts de toute l’équipe pour renverser le match.

Nous terminons l’interview par quelques généralités sur le match et nous nous quittons après sa promesse de me transmettre l’article dès sa parution. J’enfourche ma moto, que j’ai enfin pu reprendre même si les routes restent encore glissantes, et j’enfile mon casque avant de démarrer le moteur. Alors que je vais partir, je suis frappé par une des idées que j’ai évoquées pendant l’entretien avec la journaliste. Et si j’appliquais à ma vie aussi ce principe d’affronter directement mes problèmes plutôt que de les contourner ? Parce que oui, pour l’instant, j’ai juste évité de parler de la grossesse de Sarah avec elle. Et si jusqu’à présent, j’ai peut-être été un peu lâche, il faut que je cesse d’éviter le sujet et que je m’y confronte sans tarder. Le temps court et il faut qu’on décide ensemble de ce qu’on va faire.

Je lance ma moto sur la route avec cette résolution en tête, mais j’ai du mal à me concentrer sur le trajet tellement l’idée de devenir père m’effraie. Non seulement pour ce petit être qui n’a rien demandé, qui n’existe pas vraiment encore, mais qui est déjà là dans nos esprits et qu’il va me falloir assumer. Mais aussi par rapport à notre situation un peu bancale, où nous sommes censés être un frère et une sœur, pas un papa et une maman…

Un papa, c’est étrange de penser à ça. Comme si je savais ce que c’était et ce que ça signifiait. Comment je pourrais être à la hauteur, moi, le basketteur sans le sou ? Et autant, j’ai dû gérer beaucoup de choses pour Jude suite au départ de notre mère, je n’ai jamais eu à assumer tout ça sans la supervision d’un adulte. C’est moi, l’adulte, désormais, et ça, ça me fout une frousse pas possible. Être responsable d’une autre vie, devoir subvenir à ses besoins, franchement, il y a de quoi avoir peur, non ?

Quand je débarque à la maison, le repas du soir est déjà terminé et chacun vaque à ses occupations. Jude est en train de regarder la télévision en bas, avec Daddy, pendant que Vic lit près de la cheminée. Je me fais un sandwich rapidement et monte l’escalier avant de toquer à la porte de la chambre de Sarah. Je sais que si je ne le fais pas tout de suite, je risque de perdre le peu de courage que j’ai encore.

— C’est moi, dis-je en entrant après qu’elle m’invite à le faire. Il faut qu’on parle, Sarah. Je suis désolé, mais on ne peut plus attendre, attaqué-je d’entrée alors qu’elle lève le nez du livre qu’elle est en train d’étudier à son bureau.

— D’accord… Donc tu es décidé et je dois l’être aussi, c’est ça ? me demande-t-elle en refermant son livre.

Oups, c’est vrai que je débarque là comme ça, sans prévenir, et que je fais mon courageux, alors que ce n’est peut-être pas le bon moment, qu’elle n’est peut-être pas prête à évoquer la question avec moi. Des fois, je peux être vraiment égoïste quand même.

— Oh désolé, Sweetie… Je ne voulais pas te brusquer… C’est juste que j’ai réussi à trouver le courage d’aborder la question de ta grossesse avec toi… Et ce n’était pas facile… Mais je comprends si ce n’est pas le moment… Je peux repasser à un autre moment, si tu préfères.

— Non, c’est bon, soupire Sarah en venant s’asseoir sur son lit. Je t’écoute, qu’est-ce que tu as trouvé le courage de me dire, au juste ?

— Eh bien, on ne peut pas rester sans parler de la question, si ? Il faut qu’on décide ensemble de ce qu’on va faire pour le bébé, je pense. Même si, comme c’est toi qui le portes, ton avis compte plus que le mien, c’est sûr… Enfin, je n’ai pas envie de te laisser seule face à ce souci.

Je sens que je m’embrouille dans mes explications, que ce qui me semblait clair et évident pendant que j’étais sur ma moto ne l’est plus du tout. Et puis, qui suis-je pour l’aider à décider de ce qu’elle va faire avec le bébé ? C’est son corps, son choix, non ?

— Je te remercie de ne pas te débiner en me laissant me débrouiller. Je le porte, mais je ne suis pas seule à l’avoir fait, ce bébé. Il faut qu’on prenne la décision tous les deux, et… Pour être honnête avec toi, je change d’avis toutes les deux ou trois minutes, peut-être.

Je viens m’asseoir à côté d’elle et je me sens un peu mal à l’aise avec mon sandwich à la main. Je le pose sur la table de chevet afin de libérer mes mains et de prendre les siennes entre les miennes.

— Tu changes d’avis pourquoi ? Toi aussi, tu as peur ? Tu sais que je crois que je ne ferai jamais un bon père ?

— Bien sûr que j’ai peur. Comment pourrait-il en être autrement ? En revanche, s’il y a bien une chose qui ne me fait pas peur, c’est ta capacité à être un bon père…

— Vraiment ? Mais je n’ai pas de situation stable, tu imagines élever un enfant dans ces conditions ? Quel père je serais si je dois passer ma vie à travailler au supermarché juste pour avoir assez d’argent pour le nourrir de pâtes et de riz ? Franchement, il y a mieux comme mode de vie, non ? Un père sans argent, ça n’est juste pas possible. Le rôle du père de famille, c’est quand même de nourrir sa famille…

— Le rôle du père de famille, c’est de rendre heureux ses enfants, de les choyer et de les aimer. Le fric… On en revient toujours à l’argent, c’est fou. Et puis, ça ne change rien pour ta carrière dans le basket, bébé ou pas.

— Oui, on en revient toujours à l’argent. C’est facile à dire pour toi qui n’en as jamais manqué… Mais je ne me vois pas être un père qui ne fait rien de ses journées. Quel exemple, dis-donc ! Et je ne suis pas encore basketteur, rien n’est fait, tu sais.

— Donc, j’avorte, c’est ça ? me demande-t-elle en retirant ses mains des miennes.

Je sens que l’entretien va être musclé si elle se sent agressée à la moindre de mes remarques ou explications.

— Je n’ai pas dit ça, il me semble, j’essaie juste de t’expliquer pourquoi j’ai peur de ne pas être à la hauteur de devenir père. Mais c’est vrai que ça semble la solution la plus raisonnable, non ? Tu en penses quoi, toi ?

— Je te l’ai dit, je suis paumée. Je ne me vois absolument pas devenir mère, mais je ne suis pas certaine d’être capable de supporter un avortement… Et…

— Et ? la poussé-je à continuer en réalisant que je ne sais pas du tout à quoi il faut s’attendre avec un avortement.

— Et j’en sais rien, Liam, il y a quand même un être humain qui pousse là-dedans, bon sang ! C’est… Juste… Merde, je ne sais pas ce que je veux. J’ai la trouille… Tellement la trouille, peu importe la décision qu’on prendra…

— On est deux à avoir peur alors, on n’est pas sortis de l’auberge. Ne m’en veux pas si je pose une question idiote, continué-je en hésitant, mais tu sais comment ça marche un avortement ? Tu prends un cachet et puis c’est tout ? Il y a une opération ? Je… Je n’y connais rien et j’aurais dû me renseigner, mais je crois que ça peut jouer sur la décision, non ?

— Il y a deux types d’avortement… Un avec des médicaments, oui, et un chirurgical. Je n’en sais pas plus, je n’ose même pas regarder de peur de trop flipper. Je ne sais pas pourquoi on fait l’un ou l’autre, en fait…

— Il faudrait qu’on se renseigne, ce serait bien de décider en connaissance de cause… Mais je m’en veux de te faire subir ça, Sarah. Enfin, l’avortement si c’est ce qu’on décide, mais aussi cette incertitude… Le fait de ne pas savoir ce que nous réserve l’avenir… C’est horrible… J’aurais jamais dû te faire l’amour sans protection… Tu as vu dans quelle galère je nous mets, là ?

— Tu n’y es pour rien, marmonne-t-elle. Mon médecin m’a dit qu’il était possible que la pilule ne soit pas ou plus adaptée pour moi. Enfin… Tomber enceinte sous pilule, ça signifie qu’il m’en faut une autre. Donc, tes supers spermatozoïdes et toi n’êtes qu’en partie fautifs.

— Si je n’avais pas cherché à te séduire coûte que coûte, on n’en serait pas là. J’aurais sûrement mieux fait de rester à mes plans d’un soir. Là, maintenant, nous sommes condamnés à choisir : soit on met fin à la vie qui est née au fond de toi, soit on met fin à notre vie de jeunes adultes libres de profiter de la vie. Tu crois qu’il y a un bon choix ?

— Libres de profiter de la vie ? C’est donc ça, le problème ? Te lier à moi un peu trop et ne plus pouvoir faire comme bon te semble ? C’est si terrible que ça de t’imaginer vivre avec notre enfant, ne pas baiser à droite à gauche quand tu veux ? Tu te rends compte de l’égoïsme de tes propos ? s’énerve-t-elle en se levant.

— Mais ce n’est pas ce que j’ai dit ! m’indigné-je en me levant à mon tour. J’essaie de poser le problème, d’analyser les choses pour trouver des solutions, et toi tu m’agresses ? Tu m’étonnes que j’hésite à m’engager avec toi pour toujours avec un enfant ! Franchement, si c’est pour qu’on s’engueule, autant qu’on arrête là pour ce soir, parce que ce n’est pas le but d’une discussion entre adultes. Je suis peut-être égoïste, mais je ne suis pas un gamin, moi.

— Si tu voulais une gonzesse qui ne fait qu’ouvrir les cuisses et la ferme, c’est Becca qu’il fallait engrosser. Désolée, mais ce n’est pas comme ça que je fonctionne, moi la gamine ! continue-t-elle à monter dans les tours.

— Ah oui, et tu fonctionnes comment ? Tu t’énerves et tu réfléchis après ? A quoi ça sert de me crier dessus comme ça ? Tu veux que je me barre pour pouvoir décider toute seule, c’est ça ?

— Comment je fonctionne ? Parce que c’est le sujet ? Toutes mes excuses, mon cher, si tout ça me fait un peu partir en vrille, vraiment. Tout ce qui te préoccupes, c’est le fric et profiter de la vie, moi je le porte, ce bébé, c’est moi qui vais subir un avortement pour que tu puisses continuer à profiter de ta petite vie tranquille, tu vois ? Moi qui ne vais pas pouvoir finir mes études parce que je vais être une baleine, puis parce que je vais devoir m’occuper d’un bébé ! Alors ouais, je m’énerve, tu m’en vois désolée. Sur ce, pour le coup, effectivement je ne dis pas non à ce que tu te barres, j’ai envie de dormir et je vais déjà perdre suffisamment de temps à redescendre, soupire-t-elle en m’ouvrant la porte.

— Bien, quand tu seras calmée, on pourra continuer cette discussion, j’espère, rétorqué-je plus sèchement que je ne le voulais.

Je sors énervé par sa façon de me parler et ses reproches gratuits. Comment en est-on arrivés là alors que je venais pour essayer de trouver une solution à nos soucis ? Ou en tous cas, si ce n’est une solution, essayer au moins d’avancer sur une décision commune. Au contraire, nous nous disputons, nous nous énervons et cela me fait terriblement mal de la voir remontée comme ça contre moi. Je suis peut-être maladroit, mais j’essaie… Je ne dis peut-être pas les choses comme il faut, mais je ne me suis pas barré en courant… Tout ça pour me retrouver mis à la porte de sa chambre. Et sans mon sandwich en plus !

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