119. Les fleurs du mâle
Liam
— Vous pouvez en rajouter encore, s’il vous plaît ? Je veux qu’il soit le plus gros possible.
— Il y en a déjà beaucoup, Monsieur, vous êtes sûr ?
— Oui, oui, rajoutez-en encore une petite dizaine et ce sera parfait.
— Elle en a de la chance, la demoiselle, en tous cas ! Il est magnifique !
De la chance, je ne sais pas si on peut dire ça. J’ai quand même fini la soirée ivre dans les bras de sa copine à peloter ses seins alors que j’aurais pu être dans ses bras, sagement à la maison. Pas sûr qu’elle trouve ce petit cadeau comme une chance, mais je ne vais pas épiloguer avec la vendeuse qui termine d’accrocher la petite carte que j’ai préparée, et je paie avant de reprendre la route jusqu’à la maison. Je dois avoir un peu l’air bête avec ce bouquet à la main, en roulant à petite allure sur ma moto pour ne pas l’abîmer. Un biker avec des fleurs, je crois que je fais fort dans le ridicule, là. Et puis, je suis vraiment stupide car je n’ai pas pensé du tout à comment j’allais justifier la présence de ces fleurs à la maison, moi. Quel con, des fois…
Je me gare dans le garage et espère ne croiser personne en entrant dans la maison, mais c’était sans compter sur Jude qui m’attend de pied ferme et me saute dans les bras, à peine la porte franchie.
— Oh, des fleurs ! Elles sont trop belles ! C’est pour qui ? C’est pour moi ?
— Il y a un petit mot dessus qui dit que c’est pour Sarah, Jude, il faut donc qu’on lui donne.
— Oh, c’est toi qui lui fais un cadeau ? demande-t-elle ingénument.
— Non, non, répliqué-je avec un peu trop de précipitation. Je… Je les ai trouvées sur le pas de la porte, ça doit venir de son amoureux, je pense.
— Son amoureux ? demande Vic qui vient de nous rejoindre et jette un regard appréciateur sur les fleurs. Mais c’est qui ? Je n’ai vu personne s’approcher de la maison alors que je suis sur place depuis le début de l’après-midi.
Elle ouvre la porte et regarde aux alentours pour voir si le mystérieux amoureux est encore dans les parages, fait la moue et revient vers Jude et moi. Ma sœur est toujours en train de humer chaque fleur et s’extasie devant chaque nouveau parfum.
— On peut dire qu’il a du goût, le Papa du bébé. Étrange qu’il joue à l’homme mystère. Tu le connais, toi, non ?
Vic s’adresse à moi en admirant à son tour les fleurs et le bouquet. Elle jette un œil à la carte mais elle ne peut y lire que le prénom de sa fille, le reste étant sous enveloppe. Je profite de ce petit temps pour rassembler mes pensées et réfléchir à ce que je vais lui répondre.
— Sarah m’en a parlé, oui, mais je ne le connais pas plus que ça… Et elle m’a fait promettre de ne rien dire, je ne vais pas trahir ses secrets.
Je mens et je n’aime pas ça, mais il faut bien passer par là si je ne veux pas que notre secret soit révélé et que tout ce qui fait plaisir à Vic et Daddy tombe à l’eau. Un petit mensonge contre un beau mariage, le calcul est vite fait.
— Tu crois qu’il est fait pour elle ? Il a bon goût sur les fleurs, en tous cas, ça, c’est indéniable. On dirait le genre de bouquet que m’a offert ton père la fois où on s’est un peu disputé. Lui aussi était allé au-delà du raisonnable pour se faire pardonner. On dirait que mon mystérieux gendre a peut-être fait quelque chose qui a déplu à Sarah.
Je ne sais plus où me mettre car elle a visé juste. J’ai en effet suivi un des conseils de mon père qui m’a toujours dit que rien ne valait un bouquet de fleurs pour qu’une femme oublie toute sa colère et ses griefs contre l’homme qui lui a fait de la peine. Et il faut croire que je tiens de lui quand il s’agit d’acheter un bouquet…
— Vous vous étiez disputés ? Je pensais que c’était l’amour fou entre vous et que ce n’était pas possible…
— Ah, mais tu sais que nous les femmes, on peut être très susceptibles, rit Vic. Allez, va lui rapporter le bouquet, elle est dans sa chambre.
Je ne me fais pas prier et monte les escaliers avant de toquer timidement à sa porte.
— Sarah, c’est moi. Je peux entrer, j’ai… Une surprise pour toi.
— Une surprise ? J’ai eu ma dose pour la journée, non ? dit-elle en ouvrant la porte. Oh… C’est pour moi, ça ?
— Oui, bien entendu. Il y a ton nom dessus, tu n’as pas vu la carte ? demandé-je alors qu’elle me prend le bouquet des mains.
— Il est superbe, sourit-elle en le déposant sur sa coiffeuse avant de prendre la petite carte. Tu as dû te ruiner, il ne fallait pas, Liam. Enfin… C’est bien de toi ? Ou j’ai un admirateur secret ?
— J’ai dit à ta mère que ça venait de ton amoureux, indiqué-je en refermant la porte derrière moi. C’est que ça doit être de moi. C’est juste pour te dire à quel point je t’aime et que je suis désolé, Sweety. J’étais horrible pendant la soirée et tu vaux largement ces quelques fleurs.
— Je le sais que tu m’aimes, vu le nombre de fois où tu me l’as dit hier. Mais bon, tu ne t’en souviens pas, comme d’une bonne partie de ta soirée. Fais gaffe, tu es capable de mettre en cloque une fille sans avoir bu, alors imagine ce que ça peut donner ivre.
— Si je le dis, même bourré, c’est que c’est vrai, non ? Ivre, je ne suis pas sûr de trouver le chemin, tu sais. J’arrive mieux à faire les trois points quand je ne suis pas ivre. D’ailleurs, le coach l’a dit ce soir. Il nous a reprochés notre soirée d’hier, mais il m’a quand même félicité car je suis celui qui a le mieux récupéré.
Elle ne me répond pas car elle est en train d’ouvrir l’enveloppe et je l’observe alors qu’elle lit le petit poème que j’ai écrit. Je ne suis pas un poète, loin de là, mais j’ai voulu marquer le coup. J’ai galéré pour trouver les mots, mais je suis plutôt content du résultat final.
— C’est toi qui as écrit ça ? me demande-t-elle en levant les yeux vers moi quelques secondes avant de les baisser à nouveau sur la carte. “Oh Jolie Sarah de mes rêves, à tes côtés, je suis le plus heureux des hommes. Ma Passion ne connaît pas de trêve. Quand je suis avec toi...” commence-t-elle, émue, avant que je ne finisse de réciter le poème.
— Je dois être un gentilhomme. Te respecter et t’honorer toujours, afin que jamais ne meurt notre amour. Promis, je ne recommencerai pas, je serai le plus sérieux des papas.
J’ai l’impression, en prononçant ces mots, d’avoir écrit des âneries et que j’aurais mieux fait d’en rester à mes paniers de basket plutôt que d’essayer de me lancer dans la littérature, mais je crois que mes vers maladroits lui plaisent.
— Merci, ça me touche, Capitaine. Je suis soulagée que tu n’aies apparemment rien balancé à personne, me dit-elle en se penchant sur le bouquet pour en humer les odeurs. Et je comprends bien que les roploplos de Rebecca soient attirants et confortables…
— Les tiens le sont encore plus, tu sais ? Parce que c’est à moi que tu les réserves, ce qui rend leur valeur inestimable. Et quant à ne rien avoir balancé, il parait que je fantasme sur toi, selon Abdul. Il m’a dit que je t’avais appelée “Chérie d’Amour” devant tout le monde. Il était mort de rire que je puisse fantasmer sur toi, vivre avec toi, sans jamais te toucher. S’il savait…
Je conclus en posant mes mains sur ses hanches pour me rapprocher doucement d’elle et l’embrasser alors qu’elle enlace mon cou.
— S’il savait, pouffe-t-elle avant de déposer ses lèvres au coin des miennes. Ne recommence pas, s’il te plaît… Enfin, tu peux aller en soirée, boire un coup, je ne compte pas t’enchaîner, mais… Ivre mort, t’es beaucoup moins mignon, tu le sais ?
— Je ne suis pas mignon tout le temps, moi ? Ivre, tu peux faire de moi ce que tu veux et abuser, de toute façon, je ne m’en souviens pas le lendemain. Ce n’est pas ce qu’il y a de mieux pour toi ?
— Je ne sais pas… Je te ferai peut-être boire avant qu’on décide du nom du têtard. Comme ça, tu ne te souviendras plus qu’on n’était pas d’accord et j’aurai ce que je veux.
— Têtard, ça lui va bien, en tous cas. Ses amis risquent de se moquer un peu, mais pas grave, le premier qui bronche, je lui casse la figure ! Avec un papa comme moi, même un têtard sera protégé. Et vu dans quel état j’étais hier et la journée que j’ai passée aujourd’hui, je peux t’assurer que je ne suis pas près de recommencer à boire comme ça. La vodka, il ne faut pas en abuser.
Mes mains se posent sur son ventre où grandit ce petit têtard et je n’arrive pas à encore vraiment réaliser concrètement tout ce que cela va signifier pour nous deux. Ce que je sais par contre, c’est que la maman du Têtard, je l’aime trop pour risquer de la perdre à nouveau et qu’un bouquet et un poème ne me sauveront pas à chaque fois.
— Tu m’en vois ravie. Tu ronfles quand tu as bu, en plus, grimace-t-elle avant de baisser les yeux sur mes mains. En revanche, je dois t’avouer que j’adore quand tu fais ça, tu as trouvé mon point faible, Capitaine de mon cœur.
— Je savais que c’était ton ventre qui te perdrait, me moqué-je sans retirer mes mains qui continuent à la caresser tendrement. Tu es tellement gourmande, ça n’est pas étonnant que ça soit ton point faible ! Alors, je te propose d’aller rejoindre les autres à table, et de finir la soirée en essayant de recommencer ce qui a provoqué ce petit miracle. Deal, Sweetie ?
— Ok pour le dîner. Pour le reste, je vais y réfléchir. Je me demande si tu le mérites vraiment, me répond-elle avec un sourire en coin.
— Tu es dure en affaires ! Et si je te dis que tu pourras faire de moi ce que tu veux si tu m’acceptes dans ton lit, ça fait pencher la balance en ma faveur ou il faut aussi que je rajoute la plaquette de chocolat que je gardais pour les urgences amoureuses ?
— Rajoute la plaquette, Beau gosse. Je ne résiste pas à du chocolat. Donc… Une plaquette et tes tablettes à toi, deal ? murmure-t-elle en posant une main sur mon bas-ventre.
— Deal, Sweetie. Tout ce que tu veux tant que tu es heureuse. Je t’aime, ma Chérie.
— Il est vraiment parti à la poubelle, le deal qui concerne les je t’aime, hein ?
— Non, c’est le Têtard qui l’a mangé, je crois. Il lui faut bien ça pour grandir.
— Je t’aime, Papa du Têtard, sourit Sarah avant de m’embrasser langoureusement.
C’est fou ce que ça fait du bien de la retrouver comme ça. J’ai l’impression que j’ai réussi à me faire pardonner. Comme quoi, c’est Daddy qui avait raison. Quelques fleurs, et c’est le pardon assuré !
Annotations