A-
Je fais face à l’océan, j’en respire le vent, les mains sur la barre du balcon. Je ferme les yeux. Je n’ai pas envie de sauter cette fois-ci. Des mains glissent le long de mes bras et elle appuie sa tête sur mon dos. Alors je lâche ma prise et je me retourne pour l’embrasser. Au petit déjeuner on fait le point :
- Rachel, je crois qu’on nous a droguées. On est même pas arrivées à rentrer. Qui est venu nous parler, je ne me rappelle plus ?
- J’étais à ça de le rencontrer. Il va et vient dans ma ville sans même venir se présenter à la Mairie.
- Il ne sait pas que tu existes.
- Mais lui, il existe, vraiment ?
J’ouvre un écran et je cherche le point rouge.
- C’est bizarre il n’est pas chez Émilie.
Je soupire :
- J’ai pas envie de lancer l’alerte. Il veut à nouveau être le centre de toutes les attentions. On s’en fout. Qu’il se balade. Au moindre problème Énola peut le renvoyer d’où il vient.
Et je me mets à rire tellement c’est dingue le pouvoir et la maîtrise qu’on a sur lui, sans utiliser ses méthodes à lui. Je ferme l’écran et je me concentre sur mon invitée :
- Rachel, on s’est pas croisées quelque part avant tout çà ?
- Ah ! Enfin. J’étais dans le groupe de soutien quand tu faisais tes interventions.
De quoi elle me parle ? C’est du langage d’agent.
- Ça remonte si loin ? Je ne suis pas restée longtemps à l’Octogone.
Elle affiche des images sur le grand écran.
- Regarde là, c’est moi.
- Oh… tu es toute mimi. Tu avais des cheveux lisses à l’époque ?
- En fait tu ne te souviens pas de moi.
- Non.
Et puis j’ai un flash :
- Si ! C’est toi qui m’a abordé au bar un soir, tu voulais me faire goûter un cocktail.
- Et tu m’as regardée, tu m’a jaugée et j’ai senti que j’allais avoir des ennuis.
- Désolée Rachel. Tu en as eu ?
- Laisse tomber. C’est du passé. Tu t’es bien rattrapée ces derniers jours.
- Comment ça ? Ça fait combien de temps qu’on est là ?
- Alice ? Ça va ?
J’ai comme un vertige. J’inspire et j’expire. Je suis un peu désorientée. Je pose les mains à plat. Rachel vient près de moi et elle me fait boire un jus de fruits bien froid. Ça va mieux.
- Merci Rachel. J’ai du mal à faire le tri dans ma tête. C’est la fusion. La confusion.
Et je me fais rire toute seule. Elle me sert dans ses bras. Elle me caresse la joue :
- Ne t’inquiète pas Alice, je vais m’occuper de toi.
*
Je m’ auto-déclare inapte à mes fonction de directrice du Conseil de Sécurité de l’Ouest car je suis devenue folle suite à ma dé-fusion avec Aline et aussi je suis juge et partie dans certains domaines. Dès la fusion j’aurais dû être virée. Mais personne n’a osé. J’inscris donc une clause pour la prochaine et j’impose Gaby à ma place. Elle n’est pas appréciée, par personne mais elle est qualifiée pour le poste même sans son parcours impressionnant. Son entourage est en plus un atout. En particulier son double, Gabrielle, qui l’inscrit dans l’Invisible.
- Ici c’est pas un poste pour un fonctionnaire à la con, surtout maintenant avec Vivien dans la nature.
C’est la dernière phrase que j’ai prononcé au Conseil avant de le quitter. Je suis libre maintenant. On fait une grande réunion de passassions de consignes et une petite cérémonie de passation de pouvoir. À la fin je lui fais la bise et je lui souhaite :
- Bonne chance.
En privé, Gaby me demande :
- Pourquoi tu n’as pas démissionné dès ta fusion avec Aline ?
- Parce que j’avais le contrôle. Maintenant les traces d’elle qu’elle a laissé en moi me hantent.
- Mais, d’après son dossier, elle n’a pas de pouvoirs de l’Invisible.
- Pas de pouvoirs visibles, non. Mais elle a hébergé une ange blanche pendant longtemps, sur Terre et ici. Et sa fille, Noëlle, a réussi à s’en sortir de l’Invisible en arrivant ici. C’est du côté de sa descendance qu’il faut regarder maintenant. En renseignement classique, tu as tous les outils. Mais pour l’Invisible, je te donne l’information la plus importante à retenir. Énola. Elle est Déesse à mi-temps. Quand elle ne l’est pas, elle confie ses pouvoirs à quelqu’un d’autre. Conclusion ?
- C’est pour ça que Willem est avec Aline ?
- Gaby, tu es sur la bonne voie, de Dieu.
- Maëlle.
Je mets mon index perpendiculairement sur ma bouche, et pas que pour former une croix. Mais elle me parle, elle se raconte à moi. Gaby part s’installer à l’Ouest dans les somptueuses maisons du bord de plage. L’Est perd aussi le professeur Bang qui va sévir à Westech désormais. Les enfants n’ont pas l’air de vouloir suivre. Ils vont devoir se débrouiller tous seuls. J’aimerais lui en raconter autant et avoir des problèmes de famille. Où sont passés mes enfants ? Je crois que j’en ai eu avec Victor… Il était temps que j’arrête tout ça. Je perds l’esprit. À chaque fois que je revois mes enfants, je m’en rappelle mais en dehors de çà je n’en ai pas conscience. C’est peut-être un reste de programme de Vivien qui traîne en moi. Ally. Mon Ally. Que devient-elle ? Et Vitto. Ils font leurs vies. La mienne est terminée. Et elle a été manipulée dès que je suis sortie de l’école, à mon premier emploi, à une époque où les lois étaient floues et que je devais servir d’intermédiaires entre ceux qui légiféraient de façon agressive et aveugle et mon employeur qui a fini par tomber en entraînant tout le monde avec lui. Toutes les entreprises à but lucratif sont tombées. Tout est devenu gratuit et j’ai été condamnée. J’ai cru que je n’avais pas eu de chance mais en fait je me suis juste trompée depuis le début. Et ensuite j’ai subi le chantage de la peine pour la purger d’une façon ou d’une autre mais toujours au profit du système que je quitte aujourd’hui. J’avais eu une condamnation de 350 points ou 35 semaines et je repars avec un crédit positif de plusieurs millions, une longue immunité s’offre à moi. Il paraît que j’ai le record.
Je sors du bâtiment, il fait tellement chaud. Je mets ma casquette réfrigérante et mes lunettes foncées pour me protéger de la lumière aveuglante. Je regarde à gauche. Personne. Je regarde à droite. Rachel.
- Mince, j’étais en pleine réflexion, au bout de ma vie, je sentais qu’une solution allait surgir mais pas un problème comme toi, Rachel.
- Je suis ta solution.
- Sûrement pas, je ne peux pas te suivre à l’Est, tu as vu dans l’état où je suis, je ne peux pas me permettre de croiser Aline.
- D’accord, je vais l’expulser de ma ville.
- Rachel, Ally et Vitto vont s’occuper de moi, ils sont obligés.
- Les pauvres, je les plains. Sois pas cruelle, laisse les tranquilles.
Elle me donne des cartes et des clés. Il y a un badge d’entrée en Principauté. Les clefs sont celles de la maison de Greta, sur le Port. Tout ça vient de :
- Oncle Philippe.
- Ils ne te lâcheront jamais les Virein. Va te reposer un ou deux ans, non, trois, tu as une sale tête.
*
Je suis tranquille ici. Personne ne vient m’embêter. Alors je dors toute la journée et toute la nuit. Des fois je me lève et je vais méditer en apnée au fond de la piscine. À chaque fois que je refais surface je vais mieux. Je me coupe les cheveux et je les boucle, comme avant tout ça. Je regarde les livres dans la bibliothèque. Que des fictions. Il n’y a rien de vraiment vrai dans toutes ces histoires. Pourquoi ? Même dans la B3, tout n’est pas exact. Et il faut croire en ça ? Tiens, je suis dedans. C’est dingue. Je suis un personnage biblique. La classe. À moi maintenant d’inspirer ces illuminés pour la B4. Ah non c’est déjà fait avec la fusion j’imagine. Puis la dé-fusion et la disparition. Place aux nouvelles générations. J’ai servi pendant presque 60 ans. Aux autres de jouer maintenant. On sonne. Je vais voir.
- Bonjour Maëlle. J’ai été obligée de lui dire. À ma successeuse. Pour ton intérim divin.
- T’en fait pas pour ça. Comment ça va ?
- Mieux.
- Bien.
- Et toi Maëlle ? Qu’est ce que tu fais au juste, avec Vincenzo ?
- Moi, je ne fais rien de particulier. Je suis libre. Je le sauve.
- Et tu viens me sauver moi aussi ?
Elle me regarde sans rien dire, elle est pensive. Puis elle sourit :
- D’accord. Quoi que. Elle a l’air agréable ta prison. Je peux rester et échapper à mon destin moi aussi ?
- D’accord. On n’a qu’à attendre que la civilisation vienne nous chercher, si elle a besoin de nous un jour.
Je prépare des cocktails et on s’installe dans les transats au bord de la piscine. Elle lance un sujet de conversation éternel :
- Il fait beau mais pas chaud, le climat est parfait ici.
- Tout est programmé pour qu’il pleuve la nuit.
- Tu crois qu’on peut échapper au programme ?
- Oui, dans l’espace on est hors de portée. On vieillit. On a faim. On a mal. On a la diarrhée. Et des tas de choses horribles. C’est dur. Sur Terre, c’est pire. Nos terriens sont au paradis ici. Nous aussi, je pense. Pas la peine d’écrire une B4 de 1286 pages pour justifier ce paradis. Quoi que. Si ça leur permet d’en prendre conscience…
- Avec une nouvelle menace. C’est pour ça que Énola a ramené Vivien ?
- Elle l’a fait parce qu’elle pouvait le faire. Elle a suivi le programme. C’est un avertissement pour montrer son pouvoir et pour que notre monde fasse face à son histoire. Des raisons, il y en a encore plein d’autres. Chacun trouvera la sienne, comme dans la B4. Mais toi, Maëlle, tu ne fais pas partie du programme, tu es descendante de terriens qui ne sont pas censés être là. Greta n’était pas censée imposer d’en ramener autant. Je n’étais pas censée l’accepter. Dans chaque décision du programme, il y a quand même une part de nous qui s’exprime. Tout n’est pas écrit.
- Pas encore, il manque encore quelques centaines de pages selon Mère Adélaïde.
- Il y en a certainement quelques unes pour toi, Maëlle.
Elle me laisse à ma méditation, elle part un peu inquiète. C’est pour ça que le lendemain je vois débarquer Gabrielle, la fille d’Aurélie et Noël, le fils d’Aline. Gabrielle vient avec son Ulysse, le fils de Zoé qui est la fille de Philippe qui est le frère de Vivien. Mais Zoé était infiltrée sur Terre sous le nom de Heidi, elle a été repérée par Greta en Suisse. Zoé a eu la mission la plus périlleuse de nous toutes, elle a duré plusieurs années. On est des petites joueuses à côté avec nos petites missions G-2003, B-2005 etc. Zoé est parvenue à rentrer dans la station 25 tenue par Sandrine, entre autres. Je n’ai plus tous ses exploits en tête. Mais j’ai son fils Ulysse en face de moi. Je comprends maintenant le choix du prénom. Pendant qu’il fait des longueurs dans la piscine, je peux discuter avec Gabrielle :
- Tu as toujours tes pouvoirs ?
- Ils ne m’ont jamais quittés.
- J’ai laissé les miens à ton double.
- Non mais regarde le, il est drôle, il veut t’impressionner.
- Tu as bien de la chance, c’est le bon côté de la lignée Virein. Comment va la Reine ?
- Frances a toujours son Ange Blanche en elle. Elles vont bien. Elle sera bientôt libre aussi. Clémence va prendre la suite. Une passation de la Couronne aux locales. C’est comme une conversion aussi, avec la B4 qui va avec. Ça va Alice ?
- Non, j’ai comme un malaise, la nausée. C’est ton Ulysse, il me perturbe. Je deviens peut-être allergique à toute la lignée. Ça va passer.
Gabrielle tourne la tête vers la piscine, Ulysse s’arrête instantanément, il sort, sèche et se rhabille. Je ferme les yeux quelques secondes pour reprendre mes esprits. Et je respire lentement. Quand j’ouvre les yeux il est là devant moi :
- Désolé Alice, Gabrielle je dois rentrer au château, enchanté de vous avoir rencontré, à bientôt, au revoir.
Et on le regarde partir.
- Désolée Gabrielle, merci, joli tour de magie.
- C’est moi qui suit désolée. J’aurais dû venir seule.
- Non, il fallait que ça arrive. C’est sans doute un effet secondaire de la dé-fusion.
Je me lève pour aller préparer le thé.
- Alice, sans philtre, hein ?
- Mouais, j’ai eu ma dose, on nous a empoisonné avec Rachel. On amis plusieurs jours à s’en remettre. C’était à la soirée de retour de Vivien chez Émilie. On n’a jamais atteint la terrasse.
Gabrielle trouve le thé très bon. C’est aux baies rouges. Je savais que ça lui plairait. Elle a la même curiosité sophistiquée que Gaby.
- Je peux t’en prendre un sachet ?
- Tu veux déjà partir ? En fait je voulais te demander de regarder en moi.
- Bizarrement, je ne vois rien Alice, désolée.
- Bon. Et si tu me tenais les mains ?
Elle change de position sur le canapé, elle se met à l’aise, elle touche ses cheveux, elle se concentre et elle me tend ses mains en me regardant droit dans les yeux. Je soutiens son regard et j’empoigne ses mains, elles sont gelées, elle a un grand sursaut. Puis elle éclate de rire. Elle se tortille. Entre deux rires, devant mon regard interrogateur, elle commente :
- C’est comme une chatouille, j’avais jamais ressenti ça. Tes mains sont bouillantes. Je ne vois toujours rien. C’est juste drôle. Rigolo.
Puis de rire en sourire elle reconnecte son regard au mien. Elle ne sourie plus, elle ouvre la bouche mais aucun mot de sort, elle a un regard étonné.
- Gabrielle ? Qu’est ce que tu vois ?
- Je ne sais pas. C’est une sensation faible et lointaine.
Elle ferme les yeux. Elle se rapproche. Jusqu’à poser son front contre le mien. Elle presse mes mains, elle respire plus fort. Je ferme les yeux aussi. Et je sens ses lèvres sur les miennes. Ses mains se réchauffe. Tout se réchauffe. Je sens maintenant ses lèvres sans mon cou et ma bouche dans le sien. On finit par se serrer fort, une grosse étreinte, et nos mains tombent sur nos cuisses. Nos joues glissent l’une sur l’autre et nos bouches se retrouvent, et nos langues se trouvent dans un baiser langoureux. Et nos mains plongent entre nos cuisses et nos doigts cherchent à entrer dans l’autre. Contact. On ouvre les yeux, on se regarde. On retire doucement nos mains. Et on est un peu gênées par la situation.
- Gabrielle. Gabrielle ?
- Je ne sais pas. Je ne comprends pas. Il me faut un peu de temps pour analyser tout çà.
Je la laisse à sa réflexion et je marche autour d’elle. J’ai froid. Très froid.
- Gabrielle, j’ai un problème.
Elle se lève et me prend les joues pour me regarder les yeux.
- Tu es glacée.
- J’ai froid jusque dans les os. Il me faut de la pluie, chaude. Reste avec moi.
Je agrippe à elle et on va vers la salle de bain. Elle me tient d’une main pour ouvrir la douche et règle la température. Quand je vois la buée apparaître je me jette dessous et je l’entraîne avec moi, elle crie. Je la serre contre moi. Elle se détend. Je me sens mieux. Et puis on s’aide à enlever nos habits en rigolant. Pour finir par se retrouver nues face à face, elle a le regard fuyant. J’attrape doucement sa main, elle s’approche, nos seins se frottent, nos visages aussi, et nos mains s’affairent.
Après l’extase on s’occupe l’une de l’autre en silence. On se sèche, on se peigne, je lui trouve une jolie nuisette bleue et je lui propose :
- Dehors il fait nuit. Reste la nuit. Ici. Avec moi.
Elle fait oui de la tête et sourit. On s’étend sur le lit et on se regarde. Je plonge ma main sous l’oreiller et j’en sors un Brisim hybride. Elle ne comprend pas. Je me mets accroupie devant elle et je le mets d’abord en moi. Je l’allume. Je tressaille. Elle se redresse et écarte les cuisses avec un regard excité. Je rentre doucement en elle, elle gémit. Et je me mets sur le dos en l’emportant sur moi. Elle se redresse et me chevauche en s’accrochant à mes seins. Des larmes coulent sur son visage. Elle est en sanglots de plaisirs. Je l’entraîne sous les couvertures où l’on reste connectées toute la nuit. Je nous débranche à l’aube. Et elle se réveille doucement avec l’odeur du petit-déjeuner.
- Bonjour Gabrielle. C’était la première fois ?
- Il y a eu beaucoup de premières fois. Avec une locale. Avec le Brisim. J’ai découché. Etc.
- Qu’est que tu vas lui dire ?
- Qu’on a fait des trucs de fille.
Et elle sourit, toute fière d’elle.
- Tu crois que tu es prête à recommencer ?
- Je crois que je suis prête à ne pas rentrer du tout. Mais j’aime Ulysse. Et mes enfants. Ma famille, et ma vie ici.
- Tu vas me rajouter à ta liste ?
- Pourquoi pas ? Mais je suis encore sous le charme, sous le choc. C’était quoi ce thé déjà ?
- C’était juste un placebo à tout ce désir qui ne demandait qu’à sortir de toi.
- Mon placebaies rouges.
*
Cette histoire m’a requinquée. Après Rachel, Gabrielle. Je suis bien partie pour avoir une aventure par jour, comme Greta et Aurélie. Je suis mauvaise langue. Mais pas quand je la promenais sur Gabrielle qui se tordait de plaisir. Justement, elle m’envoie des messages sur mon mono, des haïkus d’amour. Je reprends ma routine solitaire mais un soir où je dormais déjà, ça sonne. Et la maison laisse entrer le visiteur. Je me redresse dans mon lit. La porte de ma chambre s’ouvre sur…
- Gabrielle ? Tu veux encore découcher ?
- Alice, j’ai compris pourquoi je ne vois pas en toi. Tu as perdu ton âme. Elle est restée dans Aline. Elle aspire facilement les âmes. Elle te la prise à la fusion. Sans ton âme tu n’es plus toi. C’est pour ça que tu ne fonctionnes plus comme avant, c’est pour ça que tu as démissionné.
- Tu veux que je te dise ? Qu’elle la garde. Je suis aussi bien sans. De toutes façon elle était compromise par le programme.
- Mais non Alice, il faut la récupérer, sinon tu vas dégénérer. Je me demande comment tu es encore debout sans ton âme.
- Gabrielle, il me reste mon esprit et mon cœur. Ça me suffit amplement.
Elle vient s’asseoir à côté de moi et elle réfléchit. Je ferme les yeux. Elle m’embrasse et elle me chuchote à l’oreille :
- Alors, pour compenser, je vais te donner de l’amour.
Et elle entre dans le lit avec moi. Elle enlève ses vêtements. Elle se blottit contre moi avec sa main entre mes cuisses. Sa tête repose sur ma poitrine et elle s’endort. Quand on se réveille elle a la solution :
- On va à la Cathédrale. Je vais te trouver une âme toute neuve rien que pour toi.
Arrivées sur place le Père Simon nous attend. Il m’asperge d’eau et prononce des phrases en latin. Gabrielle m’embrasse pour me féliciter :
- Tu viens de recevoir les sacrements. Tu as une âme maintenant. Bienvenue dans la famille.
- Alors tu vois en moi maintenant ?
- Tu rayonnes, tu es très belle, tes couleurs sont si pures.
En sortant on passe voir la Chapelle Victoria. Gabrielle me montre comment faire le signe de croix avant d’y rentrer. Il y a quelque chose de différent par rapport à avant. J’étais déjà venue ici mais les statuts n’avaient pas l’air aussi vivantes.
- Tu vois Alice, ça change tout.
Elle peut maintenant lire dans mes pensées. Elle me prend la main et on regarde l’énorme tableau de la Reine Frances. C’est comme si elle nous disait de rentrer à la Principauté. À moins que ce ne soit Gabrielle qui parle dans les pensées. Je la regarde, elle ma paraît si pure, si fragile, si sensible. Tout le contraire de moi.
- Merci Gabrielle, pour tout. Tu va rentrer chez toi maintenant. Ta mission est terminée.
- Je ne sais pas Alice, je ne me reconnais plus. Je n’avais jamais vraiment rien fait de ce genre pour quelqu’un et avec toi j’ai tout fait. Je me suis donnée entière à toi. Et je ne sais pas pourquoi.
- On est sûrement liées d’une façon ou d’une autre Gabrielle. Toi et moi on a un énorme point commun. On a des doubles. Et il n’y a qu’une seule autre personne comme nous. Ou deux plutôt. Sandrine et Cendrine.
- Alors ? On va voir laquelle ?
- Je ne sais pas. C’est pas une histoire de locale ou de terrienne. Mais quand même, j’ai donné mon destin à Gaby. Tu t’es accouplée avec le fils de Zoé dont le premier contact avec mon clan a été Sandrine. J’ai la sensation que ce contact a été important.
On a du mal à localiser Sandrine. Elle bouge tout le temps. Elle est responsable de la logistique de Aurélie pour la distribution et l’acheminement des denrées périssables. On la trouve enfin dans un immense hangar au milieu de nulle part. Il y a des voies ferrées et des trains qui vont et qui viennent.
- Alice ? Qu’est ce que c’est que tout ça ?
- Le Réseau LDA. Toute l’île est reliée. On est sur le nœud n°6. Aurélie a voulu faire ça à l’ancienne. Rien ne passe par les airs. L’espace aérien est réservé au transport de personnel.
On trouve enfin Sandrine, elle est en tenue militaire décontractée et elle a un bâton dans la bouche. Elle est en train de vérifier un chargement. On attend qu’elle ressorte du wagon. Mais elle surgit derrière nous :
- Salut, il paraît que vous me chercher ?
On se retourne et elle remet le bâton dans sa bouche. C’est une sucette. Elle nous regarde, nous reconnaît, jette son bonbon dans une poubelle et s’approche pour nous faire la bise. Elle nous invite sous une tente à l’intérieur du hangar. On s’installe autour d’une table ou une carte du réseau est posée. On ne dit rien mais elle parle tout le temps. Peut-être que Gabrielle lui pose les question en pensées ?
- Donc il y a un rapport avec la fusion. Personnellement je n’ai pas approché Cendrine de près. Toi non plus Gabrielle. Heureusement, vu ce que ça a donné avec Aline, elle a bien failli disparaître. Je vois Aurélie au moins une fois par semaine, si vous voyez ce que je veux dire, vous la connaissez. Sinon j’ai mes réguliers, un dans chaque nœud. J’aime sentir leur mains sales d’ouvrier sur moi. Vous voyez, je suis en phase avec mon époque. Voilà, c’est ma vie. Et vous ?
Alice commence :
- J’ai démissionné, j’ai filé mon job au double de Gabrielle.
- Je suis liée à toi par Heidi & Zoé, je suis en couple avec son fils.
- On est donc venues te voir. On a toutes les trois un double avec qui la fusion ne se passe pas très bien. Peut-être qu’ensemble on trouvera la réponse à tout ça.
- OK, les filles, donnez moi vos mains, on va voir ce qu’il se passe.
On se tient les mains en triangle autour de la table et une boule verte apparaît devant nous, une sorte de mini soleil vert, du plasma, on entend aussi une sorte de musique de fond. Sandrine nous explique :
- Il s’est passé la même chose quand je l’ai fait avec les deux autres. On était sous la supervision de Big Bang. Je vais lui faire un rapport parce qu’il a du changement. La nôtre était rouge. Vert, c’est moins inquiétant. Plus positif.
- Sandrine, pourquoi je n’ai pas eu le rapport alors ? J’étais doublement concernée.
- Tu n’étais pas destinatrice. C’est pour le réseau C. Mais c’est du charabia. Ça parle de paradoxe et d’effondrement. Ça a pas l’air très bon, hein ? Sauf que là, avec cette couleur, ça fait moins peur.
On se lâche les mains mais la boule verte reste là.
- C’est normal ?
- Non, l’autre a disparu tout de suite.
On se lève et on la regarde, on se regarde. Sandrine annonce :
- J’ai une idée à la con. Et si on la touchait, toutes en même temps ?
- Gabrielle ? Est-ce que tu peux nous protéger en cas de problème ?
- Je crois qu’on a le feu vert.
On avance donc en même temps nos doigts vers la boule. Jusqu’à rentrer dedans. Ça chatouille. Elle se divise en trois et rentre dans nos mains. On les retourne, paume en l’air, on a chacune notre boule de plasma dessus. On se regarde, on se met d’accord et on referme nos mains. Les boules disparaissent.
- T’es sûre que tu veux faire un rapport ? On va se retrouver en rates de laboratoire, surtout avec le professeur Bang.
On rouvre nos mains. Elles sont vides. Gabrielle prend la parole :
- Les filles ? Il ne s’est rien passé du tout. On garde ça pour nous. Il faut qu’on se revoit régulièrement pour faire le point. Ou le poing.
On rentre toutes chez nous. Avant de partir je me retourne pour regarder Sandrine. C’est comme si ses yeux bleus me transperçaient ma nouvelle âme. Je pense tout le temps à elle. Gabrielle m’est complètement sortie de l’esprit. En pleine nuit, je me réveille et je prends mon monolithe. Je cherche dans les contacts. J’ai encore toutes les habilitations. Je trouve facilement Sandrine. Je lui envoie un rendez-vous, ici, demain, après midi. Je pose mon mono sur mon cœur puis je le descends jusqu’en bas où il commence à vibrer, mais seulement deux coups. Ce n’est donc pas mon programme automatique. Je le regarde et je vois une coche verte. Elle a validé le rendez-vous. Je souris. Je suppose que elle aussi. Et je descends mes mains pour féliciter mon plaisir.
Quand elle ouvre la porte je suis sous le choc. Elle a une jolie coiffure avec une frange sur ses yeux bleus si clairs, elle a mis des boucles d’oreilles argentées et elle s’est maquillée avec des couleurs pastel, même son rouge à lèvres est discret. Autour du cou elle a une chaîne en or avec une croix petite et sobre sur une robe blanche et légère. Je pourrais passer des heures à la décrire mais c’est à cet instant là que je sais que elle et moi ça va être du sérieux.
- Sandrine, tu es pieds nus ?
- Mes chaussures me faisaient mal.
Et elle s’approche de moi pour me donner le plus tendre des baisers en m’embaumant de son parfum enivrant de vanille acidulée. Il y a eu ensuite une tempête, un ouragan, un typhon, un tremblement de terre et un tsunami de luxure. Elle m’a fait découvrir toutes les options du Brisim dont j’étais loin de soupçonner l’existence. Maintenant je sais ce que les garçons ressentent avec leur tuyau, par tous les trous. Je crois que mon cœur s’est arrêté de battre plusieurs fois, elle a dû me réanimer pour recommencer encore et encore. Ma vie, mon existence, mon identité même ont basculé cette nuit là, le dimanche 8 décembre 2115. Je vais commencer la semaine au pays des merveilles de Sandrine, avec Sandrine.
- Sandrine ? Je suis libre, tu es libre, et si on ne l’était plus, ensemble ?
- Tu as de la chance, je viens de démissionné aussi. La relève est prête. Tout tourne tou seul. C’est Aurélie qui nous a inculqué ça. Tout bon survivaliste doit être prêt à tout laisser tomber d’une minute à l’autre.
- Nous voilà donc en vacances. Notre ligne éditoriale est la suivante : se reposer et en faire le moins possible.
- Et pour Gabrielle ? Et pour la boule verte ?
- Gabrielle est certainement déjà au courant de tout, même de notre avenir. Pour la boule verte, elle va bien finir aussi par trouver la notice d’emploi.
- Tant mieux. Parce qu’avec la méthode empirique de Big, on était loin de tomber sur le vert. On l’a trouvé sans lui et ses essais hasardeux. À moins qu’il y ait d’autres couleurs avec les autres combinaisons ? Bref, comprendre la fusion n’est pas une priorité. Mieux vaut s’en prévenir. Il faut la considérer comme une menace. On n’a pas besoin de mieux ou de changement. On doit se contenter de ce qui est acquis. Avoir la sagesse de ne pas aller trop loin. Ne pas prendre le risque de perdre à nouveau un monde. La curiosité est un vilain défaut. Si la fusion existe, c’est son problème. Je ne veux plus qu’elle te cause des ennuis. Je vais rester là près de toi pour te protéger. C’est ma mission pour l’éternité.
Ça y est. Je suis heureuse.
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