Dana
Je tries mes papiers, je jette l’inutile et je laisse les dossier importants sur le bureau. Ici, à l’Octogone, les services se sont vidés, comme partout. Je passe à l’amphithéâtre dire un discours :
- Mes chers agents, je pars. Vous n’aurez plus de directrice, ce soir.
Mais ils s’en fichent. Les unités sont autonomes. Leurs chefs n’ont qu’à s’arranger entre eux. C’en est fini pour moi. I quit. Adios. Et rien de tel que le Village pour se remettre les idées en place. Je suis femme au foyer. Je fais le jardin, je fais la cuisine, le ménage et j’apprends aux enfants à lire et à écrire à l’école primaire. Et quand Florence rentre du travail, son thé l’attend près de la cheminée. Elle me regarde avec tendresse.
- Je devrais peut-être laisser la main moi aussi.
- Pour aller où, pour quoi faire ? On est bien ici, non ?
C’est comme ça qu’on se retrouve sous le soleil de Laguna Beach, au large, sur notre bateau qui vogue tranquillement. On en croise un autre, ils ont l’air pressés, c’est Martine et Benjamin. Et après une nuit de caresses, on met le cap sur le port de la Principauté pour décider quoi faire du reste de nos éternités, ensemble. Frances et Gabrielle nous attendent sur le quai. On va prendre le brunch dans la maison de Greta.
- Alors, Dana, tu vas faire quoi ?
- J’ai un grand projet de vie. Je pense que je vais y arriver.
- C’est quoi ?
- Ne rien faire du tout. Je ne suis qu’une locale. Je n’ai pas votre dynamique. Vous étiez toutes mortelles avant, vous êtes des terriennes. Moi je suis de cette civilisation qui s’éteint.
- Oui mais on est là et tout ce qu’on touche s’éclaire. On va pas te laisser t’éteindre Dana.
- Pourquoi ? J’ai eu ma vie, mes vies et c’est fini. Je ne suis pas la seule à penser ça, à vivre ça. C’est pour ça que les Chevaliers de l’Apocalypse existent. Je n’en suis pas encore là mais j’ai besoin de faire une pause, avec toi Florence, pour toi, je suis ta petite femme au foyer, je t’aime et j’aime cette vie avec toi, effacée, à ton service.
Frances et Gabrielle félicitent Florence en plaisantant :
- Tu l’as bien élevée ta copine. Et toi, Flo ?
- Je n’ai toujours pas trouvé ma voie. J’ai toujours été dans les forces de l’ordre.
- Les Forces de l’Ordre ! En voilà un nom percutant pour une nouvelle consœurerie !
Et on se met toutes à rire.
- C’est vrai, c’est dans l’air du temps, il faut suivre la mode.
Je ne comprends pas tout à leurs expressions de terriennes, je reprends la parole :
- Flo, même sur Terre tu en étais ?
- Sans doute pour mon orientation sexuelle, certainement pour le reste. Mais j’ai commencé tout en bas, si j’ose dire. J’étais gendarme auxiliaire à Dijon. Et j’ai croisé Noëlle, c’est comme ça que je suis arrivée là.
- Croisé ?
- Et quelle croisade !
Et elles se mettent à rire. C’est peut-être de ça dont j’ai besoin. D’un peu de religion. Gabrielle pose sa main sur la mienne et me dit :
- Tu vas trouver ta voie, Dana.
Qu’est ce qu’elle veut dire ? Elle me montre la maison. Je les laisse bruncher dans la véranda et je vais faire un tour à l’intérieur. Je rentre dans le salon. Il y a un couloir à gauche et un à droite. Trouver ma voie ? Côté cœur. À gauche. J’avance. Il y a des peintures abstraites accrochées au mur. Mais je ne comprends pas leur message. Et puis il y a une affiche. Person of the year. Time. Greta Thunberg – The power of youth. Elle est debout en équilibre dans ses chaussures de sport bleues sur un rocher éclaboussé par les vagues de la mer et elle regarde le soleil qui se lève, elle est presque au garde à vous dans son sweat à capuche rose pastel, ses cheveux longs sont détachés, elle n’a que quinze ans à ce moment là, sur la Terre et son ciel bleu, sa lumière jaune qui éclaire son visage triste comme si elle savait déjà qu’elle avait perdu, sa planète. Une larme coule sur ma joue comme si j’étais éclaboussée par les vagues aussi. Je goûte la goutte qui arrive au coin de ma lèvre. Elle est salée. Il paraît que leurs mers avaient le goût des larmes aussi. Tu vas trouver ta voie, Dana.
*
On s’est souvent croisées au conseil de sécurité de l’ouest mais je ne pouvais pas lui dire. Alors je vais à Sylvania, à la Caserne et j’appuie sur la sonnette. On entend des cloches qui dont une mélodie. La porte s’ouvre et le soleil jaune de sa Terre semble rayonner sur moi.
- Dana ? Bonjour ! Entre.
Et je la suis, tout est comme au ralenti, elle se retourne de temps en temps pour me sourire. Il y a des bougies allumées. Elles ont le parfum du philtre. Je dois reprendre mes esprits. On s’assoit, le thé est déjà prêt. Et elle m’écoute.
- Greta, maintenant que j’ai démissionné, je peux te parler franchement. Tu as perdu ta planète, c’est vrai, mais personne ne t’a jamais dit, jamais vraiment avoué que en fait, aussi, tu as sauvé la nôtre. Tu sauves notre civilisation par ta présence ici, ton influence. Tu es la garante de l’Humanité, ton humanité que nous offre par ton amour. La mission G-2003 ce n’était pas ton sauvetage, c’était le nôtre. Tu es le nouveau soleil de nos âmes et tu nous réchauffes le cœur aussi. J’avais besoin de te voir, pour te dire tout ça et aussi parce qu’en ce moment je me sens comme ma civilisation perdue et que juste le fait d’être là devant toi, je me sens retrouvée. Tu me sauves aussi.
Elle tend la main pour me caresser la joue avec un regard divin, je fais de même et on s’approche pour coller nos fronts l’un à l’autre et fermer les yeux. Et puis on se lève et elle me prend la main pour la suivre dans sa chambre sombre et rouge avec de la musique languissante et une voie qui danse et se plaint comme un serpent qui chante. Un vent chaud d’odeurs sucrées m’enveloppe et je succombe sous les douces caresses de Greta. Je goûte enfin à sa bouche, à sa langue et je descends ensuite sur ses fruits défendus et juteux.
- Maman.
Il y a comme un verrou qui s’est ouvert dans la tête. Greta s’immobilise aussi.
- Dana, qui sont tes parents ?
- Ma mère est généticienne, mon père est mort à la guerre, la quatrième.
- -lors c’est toi. Il y a eu une G-2015, ils m’ont pris mon premier ovule. Tu es née quand ?
- C’est mon anniversaire aujourd’hui. Je suis née il y a un siècle.
- C’est pour ça que tu es là Dana. Mon bébé. Toute ma vie j’ai voulu te refaire et je te trouve enfin. C’est toi qui m’a trouvé. Aujourd’hui.
*
- Mais pourquoi tu ne l’as pas vu avant ? Et l’Invisible alors ?
- Dana, je n’ai pas de pouvoir, j’ai juste de l’amour à donner. Je ne fais pas de miracle.
Pourtant je suis là, devant elle, encore victime d’un complot supplémentaire, où sa présence ici est de moins en moins un hasard ou une chance et de plus en plus une évidence, une preuve. Je lui prends les mains et je les regarde dans les miennes. Elles sont pareilles.
- Et maintenant ?
- Tu dois faire pareil. Donner de l’amour. Faire des bébés.
Je la serre dans mes bras.
- Je veux rester avec toi. Je ne peux pas repartir dans ma vie comme ça. On nous a séparées pendant un siècle. Je reste avec toi pendant un siècle.
Je sens mes seins se frotter aux siens, ils réagissent, du lait coule sur mon ventre et je le sens entrer en moi.
- Greta, ton lait est toujours magique ? Il vient de se glisser dans mon ventre.
- Maintenant je comprends. C’était son rôle, depuis le début, être fécond pour aller en toi. Il a enfin trouvé la bonne personne. On va avoir un bébé. Il sera nous.
Je respire fort, j’ai ma joue contre la sienne, elle me masse la nuque et ma tête plonge dans sa poitrine où je la bois à nouveau, en pleine conscience, et ma main descend entre ses cuisses, et je la caresse doucement jusqu’à trouver la vague qui va en elle et qui vient en moi. Et après l’extase on se demande plein de choses mais on a plein de certitudes :
- Dana, je sens aussi que tu dois rester, tout près de moi. Dans la même pièce même. On ne se quitte plus.
- Et Victor ?
- Il n’habite plus vraiment ici. Il va, il vient. Notre histoire est terminée. Et il est comme beaucoup de pères, pour lui, Mona-Lisa est avant tout ma fille. Elle va bientôt me réclamer, tu peux m’aider à m’en occuper, à la nourrir ?
On passe dans la chambre de la petite. Elle la prend et me la met dans les bras en souriant. C’est un beau bébé. Des émotions fossiles me traversent. Je suis émue.
- Greta, tu as eu beaucoup d’enfants.
- Que des filles.
- Combien ?
- Je n’ai pas compté. Elles n’ont pas toute compté. Je n’ai plus à compter maintenant que je t’ai trouvée, retrouvée, je peux arrêter cette terrible quête.
- Il en reste encore une, tu crois.
- Oui Dana, celle qui est en toi. Elle est l’alpha et l’oméga. Elle est le B.A. ba. Béa. Béatrice.
- Je n’ai jamais eu d’enfants, Greta.
- Il y a un début à tout.
Et je lui rends sa Mona. Et elle lui présente son sein. Et je lui tien la main. Et je l’embrasse. Des petits bisous. Sur la bouche. De petites émotions qui diffusent à travers nos esprits et nos âmes. Quelqu’un approche, on se reprend, la grande Kate surgit, elle est surprise, de me voir. Greta explique :
- Kate, Dana va rester auprès de nous.
- Ah ? D’accord. Bienvenue Dana. Je comprends. Dana, je vais te passer les consignes et la chambre du haut sera libre, je dois justement retourner à l’Ouest.
Et elle se retire doucement en nous faisant face avec l’air désolée de nous avoir interrompues. Je regarde Greta, elle me sourit avec un éclat de bonheur et de bienveillance dans son regard bleu profond. Je me blottis contre elles et je continue mes petits bisous, tout doux, comme un besoin charnel d’être en contact, d’être la chair de sa chair. Et plus rien n’existe que nous, ni l’espace ni le temps, passé ou avenir, on est juste là, ensemble et maintenant, dans notre absolu présent. Et j’embrasse son visage, et Mona-Lisa se prélasse entre nous en se nourrissant de notre amour, on est en famille. On repose Mona dans son berceau et on lui chante une berceuse avant de s’effacer à son sommeil. Nous revoilà ensemble elle est moi, seule à seule, et on pleure, et on s’éclaboussent de nos larmes, comme si j’étais la vague contre ce rocher dans cette photo en 2019. Je lui embrasse ses larmes, elles sont salées comme les mers de sa planète disparue et on s’endort dans les bras l’une de l’autre.
*
Flo vient nous voir, on valide son habilitation pour les affaires restreintes du C.S.O. et on lui explique la situation. Opération G-2015, prélèvement du premier ovule sur Greta, ma naissance un an après.
Je rajoute :
- Flo, je vais devoir rester ici. Avec Greta, on a besoin de se retrouver. Ça peut prendre du temps.
- C’est comme une fusion ?
- Non, c’est autre chose. On a pas encore tous les détails. On demandera à ma mère mais d’après le dossier qu’on a pu consulter, mon père n’est pas mon père, j’ai juste deux mamans, génétiquement. Pour Vivien, j’étais en réserve pour remplacer Greta, au cas où elle ne pourrait pas venir. Après, la remplacer pour quoi ? Nos rôles ne sont pas bien définis. Même si dans la pratique, on constate bien qu’il s’agissait de sauver une civilisation en déclin avec l’arrivée de nouveaux terriens armés de l’Invisible qui a jailli des forces telluriques de la Terre avant son extinction.
- Dana, je serai toujours là pour toi.
Elle me serre dans ses bras et elle en tend un vers Greta qui se joint à nous. On s’embrasse toutes entre nous et Flo se libère, elle est toute émue, toute rouge et elle pleure. On la regarde partir. Nous voilà seules. On va voir Mona-Lisa qui nous réclame et on recommence notre rituel pour la nourrir. Je l’embrasse un peu plus qu’hier, nos langues se caressent, je bois de sa salive pendant que Mona boit de son lait. Une fois rassasiée, on la remet dans son berceau et Greta m’entraîne dans sa chambre où je bois de son lait, j’en verse dans sa bouche et elle descend le déposer dans mon ventre. Elle remonte se blottir en moi et elle me murmure à l’oreille :
- Je t’aime, ma fille, ma chair et mon sang.
Et elle prend un brisim hybride qu’elle prépare doucement. Elle le met d’abord en elle. Ensuite elle me masse, elle me détend, je suis prête à la recevoir et elle entre en moi jusqu’au fond, on se connecte et je me perds dans son plaisir et dans le mien. Elle me transmets tout son amour, de toutes les façons, et il rayonne sur la Béatrice qui va grandir en moi. Je sens les pouvoirs de Greta m’imprégner aussi mais ce n’est rien à côté de ce que sera Béatrice.
*
Après la purification de la douche, Greta change ma coiffure. Chacun de ses gestes n’est que tendresse. Elle me fait de petites nattes. Elle m’habille. On sort avec la poussette, on passe sous le tunnel du boulevard et on avance dans la lumière au bout du tunnel qui débouche sur le parc. Il ne fait pas si froid que ça mais j’ai une chaleur qui grandit en moi et je suis détendue comme jamais. Je me sens propre, je sens bon et Greta ne me lâche pas. On s’assoit sur un banc devant la Fontaine. Elle m’embrasse sur la joue et vérifie que Mona se sent bien aussi.
- Greta, on est quoi en fait ? Une mère et sa fille ? Un couple incestueux ?
- On est une famille, avec Mona et bientôt Béa. Les conventions sociales n’ont plus lieu d’être. Les problèmes génétiques sont corrigés par les forces telluriques. On peut être ce qu’on veut avec qui on veut.
- Je suis un sous-programme qui interagit avec un programme.
- Aussi. Mais au fond de toi, comment te sens-tu, avec moi, avec nous ?
- Je me sens… heureuse.
Et je lui serre la main. Et elle s’approche pour me faire un petit bisou discret, sur la bouche.
- Moi aussi Dana. Tellement. Comme jamais. C’est pour ça que je te lâche plus. Quoi qu’il arrive, on sera toujours liées. Je t’ai pour l’éternité. Tu m’as pour toujours. On a été programmées mais c’est pour sauver l’Humanité. Ça nous donne l’immunité. Mais on est plus qu’un programme, on est plus forte que ça, surtout ensemble.
On se relève pour aller jusqu’à la Brasserie prendre une boisson chaude. Greta tient à rester dehors. Elle sort deux petites tiges d’une boite et m’en tend une.
- C’est de la bleue ? J’avais adoré ça.
- Je sais, je te connais comme si tu étais ma fille.
Elle me l’allume et j’aspire, la fumée âcre me fait ferme les yeux, ça me pince le cerveau et une douce sensation m’envahit. J’entends Greta rire dans un écho et quand j’ouvre les yeux et souffle sa fumée sur mon visage. J’aspire à nouveau. C’est bien meilleur quand ça sort d’elle. Et je lui souffle dans sa bouche, et ainsi de suite. Je n’ai même pas vu qui était venu nous servir. On est dans notre bulle. C’est là que je veux être pour toujours. Je m’approche d’elle pour la serrer dans mes bras, un gros câlin d’amour.
Sur le retour Flo se dresse devant nous.
- Salut les filles. Greta, est ce que je peux parler à Dana, seule à seule ?
- Bien-sûr.
Elle s’éloigne avec la poussette.
- Dana ? Tu as le doigt bleu, tu as fumé ? Dana ? Tu es sous son emprise.
- Flo. C’est bien plus que ça. Tellement plus.
- Tu te rappelles de la procédure, pour une extraction ?
- Wysiwyg.
- Bien. Comment tu te sens, vraiment ?
- Sereine. Légère. Soulagée. En fait, je ne me suis jamais sentie aussi bien. Je ne suis pas là par hasard Flo. C’est juste mon histoire, et je vais la suivre.
Je sors discrètement ma croix de mon cou et je la pose sur mon pull.
- Tu es impliquée dans une affaire privée, intime.
Je retourne la croix avant de la ranger. C’est un code pour lui dire qu’il n’y a aucun danger et que je suis en sécurité. Elle est rassurée. Elle se retourne pour faire signe à Greta. Elle me fait la bise et me souffle à l’oreille :
- Je t’aime aussi, Dana.
Et elle me fait un clin d’œil en souriant avant de me laisser avec une caresse sur mon avant bras. C’est un autre code. Elle va veiller sur moi.
*
Nous sommes nues dans sa salle de bain face au grand miroir. Elle est derrière moi et elle pose son ventre contre le mien.
- Tu es ma première ovulation. À ma dernière, il s’est passé quelque chose aussi. J’ai reçue en moi une âme hôte, une haute âme qui est venue se réfugier, qui m’a donné des pouvoirs. Une célèbre vierge. Pas Marie. Jeanne. Jeanne d’Arc.
- Elle est toujours là ?
- Non, je l’ai transmise, à Victoria. Tu connais sa Chapelle dans la Cathédrale ?
- Tout s’explique, donc. Et moi, dans mon ventre, qu’est ce que c’est alors ? Un sous-sous-programme ? Un contre-programme ? L’anté programme ? L’élue qui sauvera l’Humanité ? Mon corps est local. Je ne suis pas construite pour une gestation longue. J’en ai pour seize semaines avant de transférer Béatrice en couveuse. Elle va arriver vite. On doit être prêtes, à la recevoir.
- Dana, toi seule à les réponses à tout ça. Elle est en toi. C’est toi et moi, c’est nous, c’est elle. Elle a les réponses à nos questions. Moi, je ne sais pas.
Et elle m’embrasse le cou, et elle me serre contre elle, et je me retourne pour l’embrasser, pour frotter mon ventre contre le sien, pour masser ses seins qui suintent, et ma bouche glisse dans son cou, entre ses seins, sur son ventre et tout en bas j’aspire son désir, elle perd l’équilibre, haletante elle s’écroule et se couche, les jambes écartées pour recevoir mes caresses, je suis Dana, je suis Greta, nous sommes Béa. Et sur le sol froid, l’une dans l’autre, nous sommes aussi béates.
- On ne fait rien de mal ?
- Non, pas plus que les gémeaux. Ils sont la même personne aussi.
- Je ne suis que la moitié de toi.
- La meilleure moitié.
Et elle m’embrasse, et elle descend dans mon cou, et elle me retourne pour mordre ma nuque et me lécher tout le long de mon dos jusqu’à mes reins et bien plus bas où mes fesses s’écartent pour sa bouche juteuse de caresses. Elle s’arrête un instant pour mettre son brisim et elle va et elle vient en gémissant jusqu’aux cris et quand elle râle et tombe sur moi et je me chuchote à l’oreille :
- À ton tour mon amour.
Et elle me met un autre modèle en place, plus adapté à ma morphologie. Je répète son rituel. Bouche. Je sens mon goût. Cou. Nuque et je descends la lubrifier. Je sens son goût. Et je pénètre l’inconnu de ma première fois ainsi. De nouvelles sensations. Par vagues de plus en plus fortes dans les va et vient. Elle réagit aussi, elle me reçoit et ses cris me stimulent. Moi j’étais beaucoup plus passive. Je retiens pour la prochaine fois. Chaque intensité de plaisir est plus forte à l’aller, chaque cri de Greta est plus fort au retour, et le voyage se termine par une explosion. Voilà ce qu’ils ressentent, les garçons.
*
Plus personne ne passe à la Caserne. Nous somme dans notre bulle avec Mona.
- Greta, tu ne reçois plus tes… copines ?
- Dana, tu es mon exclusive. Je ne peux plus être moi, sans toi, sans nous, et avec Mona. J’aimerais avoir toutes mes autres filles avec nous aussi ici. Ce serait une belle célébration à l’amour. Mais tu me suffit, tu me remplis et je veux aussi être et rester ton exclusive. Avec nos filles. Elles vont s’aimer aussi.
Je me familiarise avec le cabinet médical. C’est loin la médecine pour moi. Je demande à la docteure Mat de me former. Elle prend connaissance de mon dossier et on discute pendant qu’elle m’ausculte :
- Hilde, je me demande, pourquoi Greta n’a jamais tenté de se cloner plutôt que de se reproduire de multiples façons ?
- Parce qu’un clone de Greta n’est pas viable. La modification qu’elle a subie quand elle était bébé n’était pas d’ordre génétique. C’était une intervention faite avec une science secrète et oubliée. Ta Greta est un modèle unique pour toujours. La Greta d’origine avait un défaut, une neurodifférence qui a beaucoup été atténuée. Elle ne s’exprime que si les deux parents en sont porteurs. Avec toi, ta mère s’est appliquée à ne pas cloner Greta, juste en prendre la moitié pour la mélanger à la sienne.
- Je suis la bonne moitié, c’est ce que Greta m’a dit aussi.
- Dana, dans la vie, on n’est pas que ça. On se construit en dehors de tout çà. On se modifie, on s’améliore, on s’identifie. C’est déjà le cas chez les clones ou dans les victimes de la fusion.
- Les clones ?
- Ils sont discrets. C’est eux qui ont fondé le Réseau C, au départ, avant de se diversifier, génétiquement parlant. Mais c’est une autre histoire.
- Comment tu sais tout ça ?
- Mon père est au courant de tous les complots qui se trament sur la planète C. Ce n’est pas par hasard que ma mère est ma mère. Il est une grande source de renseignements pour elle. C’est beau l’amour, hein ? Et j’en suis le fruit.
Elle regarde les graphiques, montre un code génétique et commente :
- Voilà ton noyau G-2003. Toi aussi tu es un fruit. Mais la chair autour est différente de Greta. Tu ressembles beaucoup à ta mère.
- Tu la connais ?
- Je l’ai eu en cours, comme la plupart des médecins.
Évidemment.
- Tu as donc pu lui échapper.
- Oui elle préfère les garçons, jeunes, innocents, influençables. Comme ils sont en voie de disparition, c’est son grand projet de recherche aujourd’hui. En produire de nouveaux. Je suis sûre qu’elle y travaille avec le Réseau C justement, les clones, c’est des mâles.
Maman est toujours à la limite, impliquée dans des affaires louches. Ça va commencer à se voir qu’elle fait partie des savants fous de Vivien. Hilde me prends le visage avec ses deux mains pour me regarder en face avec curiosité :
- Dana, tu as besoin de dormir. Seule. Il faut récupérer.
- Seule ? Pas possible. Juste à côté ?
- Mais pas trop de bisous alors. Tu dois te ménager. Tu n’es plus toute seule dans ce corps. Et je vais t’apporter de la soupe.
*
Je me réveille doucement sous des caresses. J’ouvre les yeux, c’est Flo.
- Bonjour ma belle. Comment ça va ?
- Elle m’a coupé les cheveux.
- C’est pas grave mon bébé, ça va repousser.
Et je ris, je me lève pour la serrer dans mes bras.
- Comment tu es rentrée ?
- C’est Greta qui m’a ouvert. Tu n’es pas en détention tu sais.
- Ah bon ?
- C’est Hilde qui m’a demander de passer. Pour te dire de te reposer. Et elle m’a donné de la soupe pour toi. Aux légumes. La connaissant, il y a peut-être des anti-hypnotiques dedans.
Et on se met à rire. Et puis je souffle.
- Tu sais, Greta, elle n’est pas un problème. Elle est plutôt une solution. Les ennuis viennent de mon côté, de ma mère, elle est tellement impliquée dans toutes cette affaire. Mais je m’en suis libérée depuis longtemps, j’ai eu mon parcours personnel de vie. Il est terminé. Et tout remonte à la surface d’un coup. C’est comme si j’avais été en apnée toute ma vie. Maintenant je dois affronter la réalité.
- Dana, qui que tu sois, sache que je t’aime depuis longtemps et pour toujours.
- Merci Flo, je ne te mérite pas. Je ne te le dis jamais. Je ne te le montre jamais.
- T’inquiète, dans une relation sentimentale, il y en a toujours une qui aime plus que l’autre.
- Oui moi je suis juste intéressée par ton cul.
Et on pouffe. Greta aussi reçoit du monde, Aline et Willem. On les rejoint. Flo nous laisse. Aline raconte :
- Nous aussi on ne peut plus se quitter.
Et Willem prend la main de Aline. Elle le regarde avec amour. Un amour incontrôlable, provoqué par l’Invisible de Maëlle. Mais quel qu’en soit la cause, il est là, je le vois et ils ne luttent pas, ils se laissent envahir par son intensité. Elle continue :
- Dans les faits, on a toutes, tous, été manipulés. Alors qu’on ne vienne pas nous brandir de la morale ou des interdits. Notre civilisation doit s’adapter et suivre notre Humanité qui est devenue plus forte et immortelle. Elle n’est plus menacée non plus par nos mélanges génétiques. Nous sommes viables. On va même avoir un bébé.
- Nous aussi. Et tout va bien se passer.
- Nous ne sommes plus sur Terre. Sur la planète C, le paradigme existentiel est tout autre. Les garçons vont disparaître, encore, les pères ne sont pas des pères, les gémeaux sont une même personne et toutes les femmes sont enceintes, d’une façon ou d’une autre. Alice est mieux placée que moi pour vous en dire plus. Ou Big Bang, il a toujours des théories intéressantes.
Les deux sont convoqués ensemble. Gaby est venue avec Big, Alice est avec un petit jeune, on dirait qu’elle a trouvé son Willem aussi, comme sa double. Big raconte :
L’Humanité vient de Mars, leur planète A n’y a pas survécue, ils sont venus sur Terre avec leur technologie en bombardant le noyau de la Terre pour une diffusion de leurs pouvoirs sur leur génétique, il y avait donc aussi des antennes sur Terre mais elle était trop grande et comme leur outil était calibré pour Mars, la diffusion des ondes était trop faible pour avoir des effets sauf sur de rares personnes ultra sensibles. Sur la planète C la même technologie a été appliquée lorsqu’elle a été redécouverte par Vivien bien après 1989 mais ça ne concernait que l’immortalité de la vie humaine. Le laser martien qui a touché la Terre avait autre chose en lui qui a été enfin libéré quand la planète a commencé de mourir : L’Invisible, que les terriens de 2057 ont ramené avec eux sur la planète C où les antennes ont pris le relai pour l’attiser. Obtenir l’Invisible, telle était le but de la mission G-2003. Mais son contrôle échappe encore aux antennes. Avoir et partager l’Invisible reste à la main des élus qui l’ont amené. Vivien est sans doute en train de chercher un moyen de recevoir l’Invisible. Il n’a plus accès à la programmation des antennes et il reste assez isolé mais il a toute l’éternité pour arriver à ses fins. Mais Énola n’est pas inquiète, elle se sent beaucoup plus forte que lui, il n’est pas une menace et le jour où il l’est, elle le renverra d’où il vient. Alice ?
- Je suis comme toi Greta, une victime de tout ça pour la survie de l’Humanité. Tu n’as pas sauvé ta planète mais tu permets à l’Humanité de prendre enfin le bon chemin.
- Merci Alice. Mais dis-moi, c’est qui ce jeune homme qui est venu avec toi ? Il me donne une drôle d’impression.
- C’est un clone défaillant, de ceux qui ont constitué le réseau C au départ. Lui a été rejeté pour dysfonctionnement, ils n’ont pas pris la peine de le réparer. C’était il y a très longtemps. Je l’ai rencontré quand j’étais toute jeune au lycée Russell. Ils essayaient de l’oraliser. J’ai été la seule parmi les élèves à lui tendre la main, à être gentille avec lui. Il ne l’a jamais oublié. Et un jour, il m’a retrouvé. En fait, je crois qu’il a attendu le bon moment pour venir me remercier. Il y a quelques semaines j’ai été réveillée par des petits bruits sur la porte de ma maison. J’ai ouvert et il était là. Je me suis tout de suite rappelée de lui, je lui ai souris, lui aussi et depuis on ne se quitte plus. Je crois que c’est la première fois que je ne l’ai plus en visuel.
Greta se lève d’un bon et court à la chambre de Mona. Tout va bien. On le cherche et on le trouve dans le hall, il est devant le camion de pompiers et il lui fait face avec admiration. Alice le rejoint et elle le prend dans ses bras pour le protéger de nous. Il la regarde avec amour. Un amour de reconnaissance indicible qui a traversé le temps. Je m’approche de lui et d’un regard je demande l’autorisation à Alice et je lui prends la main. Je le fais monter dans le camion et je le mets au volant. Je lui montre une tirette et je mime le mouvement. Il l’exécute et un grand bruit envahit la Caserne. Il lâche avec surprise et étonnement et on entend tout le monde rire en bas. Il me regarde, vraiment, pas comme les yeux vides qu’il a tout le temps, et il me sourit. Et puis il descend et court se réfugier dans les bras de son Alice.
- -Gentil petit bonhomme. Comment il s’appelle ?
- Il a un tatouage sur le bras : 16-4. Seize quatre. C’est Scat. Scat.
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