Rachel.le
Grâce à Solène j’ai pu me débarrasser d’une Police intérieure toxique et je l’ai remplacé comme il se doit par les agents de l’Octogone. Maintenant que mon pouvoir est assis, je peux me permettre de rentrer dans actions sérieuses. Patrice m’accompagne au vieux musée du centre et les grandes portes s’ouvrent sur le Parlement Bleu, un grand amphithéâtre où le passé de la planète C s’est joué jusqu’à la quatrième guerre, perdue contre l’Est et où tout le monde s’est réfugié à l’Ouest.
- Patrice, je te donne ces lieux pour organiser la construction de la Cathédrale.
- Tu me vire de tout un étage de ta Mairie ?
- Non, à la Mairie ce sera ton état-major. Mais avec ces lieux, je souhaite une religion au cœur de la ville, une spiritualité qui ne se décide pas derrière les portes fermées du Vatican 4 en Principauté. Ici tu peux refaire la Cène et ses Apôtres, finaliser les textes de la B4 avec tous les rédacteurs de rapports, mettre Sylvania au centre de la Foi et de tous les Ordres, donner du sens à ma ville ou coule le Jourdain.
- Je n’y arriverai pas tout seul, il faut fédérer tous les participants.
- Justement, j’ai quelqu’un à te représenter.
- Représenter ?
Je l’amène à la chefferie, il regarde les tableaux et les symboles dans le couloir sombre aux murs verts amande. La porte de son ministère est ouverte. Elle nous attend debout devant son bureau.
- Je te présente Phoebe Montaigne, Sœur Adélaïde, Clarisse Principale de l’Ordre de Sainte-Claire.
- Salut Patrice, qu’est ce que tu en dis ? C’est mieux que L’Estern Cathedral. La Cathédrale Sainte-Claire de Sylvania.
- Les franciscains ?
- Il faut être raccord avec le Pape, celui du Vatican 4.
- Bien joué Adé. Je ne te savais pas si stratège.
- Politique. C’est toute la différence entre les services secrets et les services spéciaux. Il nous reste moins d’une centaine de pages à finaliser pour la B4. Le faire ici tous ensemble ce sera beaucoup plus efficace. Sur ce, excusez-moi, je dois superviser l’emménagement et l’aménagement des locaux.
Elle met son foulard de protection et elle monte sur sa trottinette ecclésiastique. Elle nous quitte en nous faisant le signe de croix.
- Alors, Père Supérieur ?
- Avec elle dans le système, tout sera possible.
- Bien. Bienvenue chez vous.
*
Je ne me sens pas bien. C’est l’occasion de tester la permanence de la Clinique Centrale. Je lance l’alerte sur mon monolithe. Mais je retourne vite aux toilettes. Je parviens à en sortir et à me rendre présentable si quelqu’un arrive. Je sors de la salle de bain et une grande brune est là, maigre, avec ses cheveux lisses attachés en queue de cheval visible sur son côté droit.
- Madame le Maire, je suis le Docteur Russell.
- La grande Kate ?
- Tout juste. Alors, quoi se passe ? Non, dites rien, je vais t’ausculter.
Elle regarde à gauche et à droite et décide de m’installer sur un divan. Elle m’allonge dessus et elle l’élève au maximum.
- Rachel, avant de sortir mes outils, je vais palper ton corps. J’enregistre en même temps. Femelle. T dans les 170. P dans les 60.
Elle me regarde et me touche le visage.
- Y, OK. Ouvre la bouche.
Elle met des gants blancs très fins et elle enfonce ses doigts dans ma bouche.
- Type L. Enlève ta chemise. Cicatrices en M5. B4. F8. Nombril haut. Age à trois chiffres. Rachel, je suis désolée, je ne suis pas compétente, je vais t’orienter vers un autre médecin. Moi je fais dans le jeune local et la terrienne. Avant de sortir mes outils, raconte-moi.
- J’ai des diarrhées, sueurs froides, vertiges. Même à l’H ils n’ont pas pu me soigner.
- C’était qui le dernier médecin compétent qui t’a soignée ?
- Vanessa Seitz.
- Quoi ? La guerrière des livres d’Histoire ?
- J’étais dans l’autre camp, elle soignait aussi les prisonniers.
- Bon… j’ai vraiment besoin de l’intelligence des machines alors.
Elle sort ses instruments. Mais…
- Ils ont mal calibrés, j’ai pas les bons programmes. Je vois rien, bordel. C’est nul.
Elle range tout. Elle réfléchit.
- On va improviser. On va en cuisine.
Elle trouve de la théo. Elle le mélange au lait. Elle chauffe, rajoute du sucre, elle goûte et elle réchauffe. Elle vérifie et me le donne. Je bois. Ça va mieux. Elle se fait un panier et on va aux vestiaires, dans les douches. Elle règle la chaleur et le jet et elle me jette dessous en rigolant. Le choc. En ressortant de là, elle m’emmitoufle dans une grande serviette blanche et elle se sèche les cheveux. Ça va beaucoup mieux.
- Alors ?
- Ouais.
- Maintenant il faut que je te trouve un vrai médecin.
- Et pourquoi pas toi ? Il suffit d’apprendre. Ta Vanessa Seitz peut te former.
- Elle est une légende. Elle a disparu avec bien d’autres, ailleurs. Ils ont fuit la dictature de Vivien. Ils sont partis dans une autre civilisation, ailleurs, certainement à l’autre bout de la planète.
- Ou alors ils sont encore parmi nous dans un Réseau dont on ne connaît même pas la lettre ou le chiffre.
- Rachel, je vois que tu en sais plus que moi. Mais d’accord, je veux bien essayer.
- Pourquoi ?
- Parce que tu me plais. Parce que tu es la Maire. Parce que c’est un ordre ? Parce que je suis de permanence. La liste est longue.
Elle aussi elle me plaît. Je lui fais un petit sourire en guise d’approbation. J’aime bien sa ligne, son style, ses bras fins, les jolies courbes de son arrière train. Je ferme les yeux. J’ai sommeil. Elle me met au lit. Et je dors.
*
Je suis venue redonner vie à cette ville que j’ai perdue, militairement parlant, même si je n’étais pas dans une unité combattante et encore moins responsable de la stratégie de défense. J’ai mis des années à tout rallumer, à faire venir des gens, et là je sens que c’est bien parti pour être le centre spirituel de la planète avec sa Cathédrale et ses annexes. Tout va se faire tout seul maintenant. Je n’ai plus qu’à surveiller. D’ailleurs, j’ai maintenant ma place au conseil de sécurité. Le CSO a été dissout, Gaby vient se joindre à nous maintenant. C’est à l’Est que ça se passe. Il y a donc du monde. Tous les chefs d’établissements sont là ou ils sont représentés. Il y a de l’effervescence, tout le monde a quelque chose à dire ou à annoncer. On est loin de la réunionite. D’ailleurs on se réunie seulement si c’est nécessaire. Et à se passe ici, chez moi, à la Mairie. Émilie, Big Bang, Izzy et sa mère, tout le monde est là. À la pause, Izzy vient me parler en off :
- Salut Rachel, mon école déborde d’œuvres, tous mes hangars sont pleins, est-ce que je pourrais en exposer quelque part dans ta ville ?
- Bonjour Izzy, oui, bien-sûr, le Musée des Beaux Arts, je te le donne, il est à toi. En plus, il est pratiquement vide, tout a disparu à la chute de la ville après la quatrième guerre.
Izzy n’en revient pas. Elle est estomaquée. Et oui, c’est comme ça que ça se joue dans les réunions de commandeurs. C’est sa première, elle va s’en souvenir. Cadeau. Parce que je l’aime bien, j’aime bien aussi ce qu’elle fait, et qui elle est, et ce qu’elle rayonne. Je lui fais un clin d’œil histoire de planter une graine de désir en elle, pour qu’elle m’envisage comme je l’envisage. Mais elle est prise, par sa fameuse Megan Honest. Je me demande laquelle des deux est enceinte de l’autre. Mais comme Izzy resplendit, il n’y a pas de doute. Quoi que… Bref. Je vais encore rentrer seule ce soir. Heureusement, d’autres personnes intéressantes ont fait le déplacement. Comme Victoria. Qu’est qu’elle est belle.
- Salut Victoria, tu viens en repérage ?
- Peut-être. Ça dépend. Je me montre pour qu’on pense à moi si une Chapelle de ta Cathédrale se libère. J’ai de nouvelles statues en tête à révéler et mettre en valeur.
- Je t’invite à venir en débattre et à présenter ton projet sur la Cène, c’est là où va s’écrire la fin de la B4, entre autres dossiers spirituels. Tu pêux voir ça de ma part avec la Clarisse Principale, Adé.
Victoria me regarde avec joie et gratitude.
- Merci Rachel.
- -Sinon, j’aurais besoin d’un service de ta part. Tout ça va prendre beaucoup d’ampleur et je ne veux pas être en décalage par rapport à tout ça.
Et je montre la croix qu’elle a autour du cou.
- Les sacrements ? Bien-sûr, dans ma Chapelle, avec le Père Supérieur Patrice.
- Vraiment ? Merci Victoria. À ce propos, si ça t’intéresse, et pour conforter ton projet, il y a des Sœurs Clarisse à nommer aussi paraît-il. Pourquoi pas toi ?
Cette fois-ci, elle me regarde avec amour. Elle me prend la main. Je crois qu’on vient de devenir amies pour la vie.
*
On arrive à s’éclipser pour aller à la Basilique. Il n’y a personne. Elle m’emmène vers l’autel. J’adore sa façon de marcher. Elle enlève son foulard et me le met sur la tête. Tous ses gestes sont doux et solennels, précis. Il y a tellement de grâce en elle. Elle me prend les mains, ferme les yeux et parle tout doucement. On dirait du latin. Ensuite elle me regarde avec un air étrange et elle me touche le front avec son pouce dans le sens vertical puis horizontal. Elle me prend ensuite les joues et elle m’embrasse sur la bouche :
- Parce ce baiser je te baptise, que ton âme reçoive et accepte la Foi de Greta et des ses Apôtres.
Elle enlève son collier, elle me le met, il y a une jolie croix accrochée autour et elle glisse entre mes seins. Elle y pose la main :
- Rachelle, maintenant avec deux ailes et un noeud, celui de mon Amour dans ton Cœur, je suis ta Marraine Victoria et nos âmes sont sœur. Tu es prête à recevoir l’eau bénite du Pasteur.
Et on sort de la Basilique en marchant lentement, au même niveau, main dans la main. On passe par le Parc. Il fait doux, c’est la fin de l’hiver. Le jour tombe, la lumière tamisée libère nos esprits. Elle me tire au Kiosque, on se met tout au centre, face à face, elle me prend les mains et me colle à elle, elle pose ses lèvres contre les miennes, puis je sens sa langue entrer dans la mienne, j’ouvre en grand et on s’embrasse langoureusement.
- Rachelle, je n’ai personne en ce moment. Et toi ? Tu veux bien être à moi ?
- Victoria, je le veux.
Alors on va au Palace, en territoire neutre, dans la suite de Greta, pour se goûter l’une l’autre, et tout oser la première fois comme si c’était la dernière fois en marquant nos territoires avec nos brisims vibrants, par derrière et se connecter ensuite par devant pour toute la nuit en assouvissant nos désirs pour se rendre compte après de ce qu’il reste, de ce qu’il y a, éventuellement, entre nous. Au petit matin on fait notre toilette en s’occupant l’une de l’autre :
- Qu’est ce que tu es belle, Victoria. Tes beaux cheveux blonds, ta taille fine, ses longues jambes, tu es parfaite.
Je lui fais une grosse natte et je l’embrasse dans le cou. Elle sent si bon.
- Je tiens tout de ma mère et ma fille est encore mieux. Tu n’es pas mal non plus dans ton genre, Rachel.
- Oui mais moi je dois faire beaucoup d’efforts.
- Oui j’adore tous tes efforts sur moi.
- Tu as aimé ,
- J’ai adoré.
- Ce n’est que le début. Continuons nos ébats.
Et je plonge ma main dans sa culotte. Je caresse autour, c’est gonflé, c’est sensible, elle est excitée, ses seins pointent. On se met à nue et bien face à face, on s’embrasse, on se caresse, nos bas-ventre s’aspirent en surface, sans brisim, un plaisir à fleur de peau, subtil et délicat. Nos fluides s’échangent, des courants électriques nous traversent, on s’arrête même de respirer pour décupler nos sensations. Et on explose l’une dans l’autre.
*
Je reçois tous les sacrements par le Pasteur Père Supérieur Patrice à la Cathédrale de Laguna City, dans la Chapelle Victoria, en sa présence à mes côtés, comme pour un mariage. Il y a des incantations en latin, on entend un gong au son sourd de temps en temps, tout ça se passe dans l’obscurité à la seule lumière de cierges sacrés. Je m’engage à suivre l’enseignement de la B4 qui n’est pas encore sortie et je reçois une gourmette à mon nom avec deux ailes entre les œufs. Victoria m’embrasse sur la joue, ça clos la cérémonie. On laisse Patrice dans son rituel de rangement et de démontage du dispositif occulte et on sort pour aller marcher dans les jardins du couvent. Il fait doux, le soleil brille, on sent le parfum des fleurs et on entend des oiseaux chanter dans les arbres. Ils sont arrivés jusqu’ici en partant du Village où Aurélie les a lâché dans la nature. Moi aussi, au bras de Victoria, j’ai l’impression d’être arrivée à destination.
- Rachelle, les choses se mettent en place. Je pense qu’on est ensemble pour longtemps, pour vivre notre B4 du début à la fin. Ensuite ce sera le tour de nos enfants et petits enfants d’écrire et de vivre leur B5 à eux. Mais celle-là, c’est la nôtre. Dans l’éternité, c’est notre moment à nous.
- Et après ?
- Ce sera le moment de nos descendants. On a même déjà des enfants toi et moi. Et les petits enfants sont en route.
- Et nous ? On deviendra quoi ?
- On s’effacera, d’une façon ou d’une autre. C’est peut-être pour ça que les maîtresses de l’Invisible disent toutes la même chose : dans l’éternité, seul le présent compte.
- Et bien tu vois, là, maintenant, je n’ai envie que d’une seule chose : mettre ma langue entre tes fesses.
Elle rit de surprise et de bonheur en regardant le ciel.
- Pourquoi on s’est pas rencontrés avant ?
- Parce qu’on n’était pas prêtes. Parce qu’on n’était pas disponibles. Parce que ce n’était pas le bon moment.
- Exactement. Et j’ai la sensation que tout s’assemble pour tout le monde autour de nous. Ceux qui ne s’étaient pas trouvés se trouvent. C’est comme si on était au dénouement d’une histoire et que la B4 nous accompagne.
On rentre à sa maison, une immense bâtisse blanche tout en rondeur et ne forme de vague. Elle a même un nom : La Lagune. Effectivement, on ne voit pas le sol, juste un miroir d’eau alimenté par des ruisseaux. Il y a également un petit canal qui part tout droit vers Laguna Beach.
- C’est tout ce qui reste de la Lagune d’origine. Et j’habite dessus.
Étrangement, il n’y a aucune référence à la religion à la l’intérieur. Elle aurait pu y installer plusieurs chapelles pourtant. Mais rien, tout est épuré. On dirait la version ronde de la maison de sa mère à l’écart du village, au bord d’un précipice. Ici c’est sur l’eau. Et il y a de l’eau sur l’eau avec une piscine intérieure.
- Il y a en a aussi une sur le toit.
Victoria se met nue et descend doucement dans l’eau. Elle est sublime dans un éclairage scintillant de mille couleurs avec les reflets du soleil. Je l’imite et je la rejoins. Je la rattrape pour mettre mes mains sur ses fesses qui descendent dans l’eau. Alors je plonge y goûter pour la faire rire de surprise en regardant le ciel à travers le plafond transparent de sa maison entre les eaux.
*
Je l’emmène voir le joli petit château du centre-ville.
- Alors comme ça tu n’habite pas à la Mairie ?
- Ici, c’est mieux, il y a un parc intérieur sans vis à vis où on peut se promener nues en marchant sur un sable noir ou blanc suivant les allées.
- C’est grand. Il y a combien de pièces ?
- Je te propose de les compter, en te faisant jouir dans chacune d’entre-elles.
- Ça va prendre du temps.
- On a l’éternité. Et puis ici, tu es chez toi. C’était la résidence de tes parents, du temps du Parlement Bleu, avant ta naissance.
- Bien avant, je suis née à l’Ouest, cette ville était morte à l’époque.
- Juste éteinte, proprement. Ça a été facile de la remettre en route. Revenir ici était sans doute une option.
- Connaissant mon père, il doit y avoir des pièces secrètes et un tunnel d’évacuation, voire deux. Finalement, Rachelle, il nous faudrait un endroit à nous. Ni chez moi, ni chez toi.
- Un truc à nous, tu as raison. Mais où ?
- Déjà, ici, dans ta ville, c’est à Sylvania que tout va se passer pendant le règne de la B4, non ?
- Oui, c’est bien parti. Bon, en attendant, j’ai une idée, on va s’installer au Palace, dans la suite municipale.
- Excellente. J’adore le Palace. Très excitant, sensuel, luxuriant. Dans le Palace, on ne t’entend pas crier. Du moins, pas de douleur. C’est le rendez-vous des couples en devenir, non ?
Voilà, notre P.C. est choisi. Pendant que je vais à la Mairie, Victoria va s’imprégner de la Basilique. À mon bureau je reçois Aline pour des formalités administratives.
- Comment tu te sens ?
- Je me sens de plus en plus moi. Tu sais, Willem, c’est pas une erreur de dé-fusion. J’ai toujours été déviante, avec les papy, avec les jeunes garçons aussi, et j’en passe.
- Ton empreinte génétique est variable, elle ne correspond plus à ton ID. Il faut qu’on trouve un autre moyen de t’identifier. Avec ta signature ?
- J’ai du mal à faire la même. Plus j’en fais et plus elle se simplifie. Je vais finir par faire une croix.
- -Bon, je vais te donner une carte sans data et le statut de bio-différente cause dé-fusion.
- Merci de ne pas me chasser, de m’accepter.
- Tout le monde est bienvenu à Sylvania.
- Très bien, on l’appellera comme ça, notre bébé, Sylvain ou Sylvie. Ça vient d’où Sylvania ?
- Ça vient du nom latin de la forêt. Elle a été rasée pour construire la ville. Toute cette histoire avec Willem, comment tu la ressens ?
- C’est peut-être un sortilège, sans doute, c’est quand même le jumeau de Maëlle alors tout est possible. Mais peu importe, c’est l’Amour fou. On est heureux. Et on en profite. En attendant de se réveiller un jour et de vomir nos fautes. Mais tu sais, je sens qu’on n’est pas les seuls, que quelque part, c’est norme. Ou un signe de dégénérescence, de fin de l’Humanité, on en a eu déjà plein alors pourquoi pas celui là ?
Je ne juge pas. Elle à raison, je connais un autre exemple. À commencer par son ex, Vincenzo aux origines douteuses. Je lui explique ce que j’en déduis de tout ça :
- Les antennes, ces ondes qui débordent du centre de la planète, elles corrigent plein de trucs, physiquement, en nous. Notre mortalité, nos erreurs génétiques, notre fertilité latente avec des grossesses déclenchables n’importe quand mais ça s’arrête là. Pour la suite, l’Amour, la Foi, les pouvoirs, c’est l’Invisible qui prend le relai. Les deux ensemble rendent possible l’impossible. Avec Willem, vous êtes peut-être les premiers, les pionniers de ce que sera notre Humanité dans l’éternité.
- Tu en sais des choses, Rachelle, c’est depuis que tu as cette croix autour du cou ?
- Non, c’est depuis que je suis au conseil de sécurité.
- Tu sais, Rachelle, il y a un lien entre tout ça. Sur Terre, l’Invisible, les pouvoirs, tout ça s’est manifesté à la mort de la planète, comme son dernier cri, les forces telluriques ont explosé, ça a nourrit la Foi, l’Amour, Greta. Elle, elle a été préparée pour recevoir tout ça. Tout est déjà expliqué dans la B3. Mais tu peux aussi lire le rapport G-2003 dans les archives du conseil de sécurité de l’Ouest, si tu y a accès.
- Tout s’explique alors. Et pourquoi une B4 ?
- Il y aura d’autres révélations. Il faudra la lire. Les interpréter. Avant de les découvrir dans notre réalité. C’est le principe, de la Foi.
Je ferais bien de rejoindre Victoria à la Basilique. Elle, est sur le bon chemin. J’ai eu de la chance de la croiser, ou alors c’est un plan de l’Invisible. Pourquoi moi ?
*
À la Basilique je retrouve Victoria en train de prier. Je m’agenouille et je fais mon signe de croix avant de prendre l’allée centrale pour la rejoindre. Elle finit sa prière, ouvre les yeux et me regarde.
- Pourquoi toi ?
Je n’ai rien dit. Je l’ai juste pensé. Et elle a entendu. Tu entends mes pensées ?
- Je les entends aussi bien que je sens ton parfum. Il faut que tu sois à proximité, dans mon cercle intime.
- Et tu me vois aussi ?
- Les cinq sens se mélangent dans un sixième, ce ne sont que des sensations, des émotions, à interpréter. Mais je ne peux pas voir ne toi comme dans une bible ouverte. Je ne peux pas savoir ce que tu ne veux pas me montrer.
On s’assoit sur le banc. Je cherche sa main. Je la trouve. Je pose ma tête sur son épaule. Nous ne sommes que de petites choses maintenues en vie par le cœur de la planète C. Qu’est ce qu’elle attend de nous ? Greta doit avoir ce genre de réponses. Je vais la voir à la Caserne :
- Nous avons un point commun particulier toi et moi, Rachelle. Nous avons choisi des victimes. Toi, Victoria, moi, Valentin. Ou alors elles se sont imposées à nous ? Tu vois, je n’ai pas toutes les réponses. Mais les réponses, c’est pas ce qui compte. Écoute ton cœur.
Je pense qu’elle fait comme Victoria, elle ne fait que paraphraser la B4 qui n’est pas encore sortie. Mais je peux prendre de l’avance. La Cène est ouverte. Je vais voir comment ça se passe depuis l’étage réservé au public, tout en haut de l’amphithéâtre. Le Père Simon préside. Lou défend un texte. François pose des questions et propose une forme et un paragraphe. Dans l’Assemblée, on vote. Le texte est validé et ça passe au suivant. Adé fait le décompte : « on va bientôt passer la dernière barre des centaines, 1200. On est à 1198, soit la page 334 de la troisième et dernière partie. » Sur les murs, des textes apparaissent en différentes couleurs suivant leur statut de validation. Pour le texte suivant, différentes personnes prennent la parole pour parler du fond avant d’évoquer la forme. Quelques minutes passées ici sont plus précieuses que des heures de Messes. Je regarde l’agenda et le planning pour bloquer des créneaux et venir assister aux séances. Mais il y a une pause. Je vais pouvoir en profiter pour aller leur parler et demander des précisions sur le sujet sont ils viennent de débattre : « Le moment de se retirer, de laisser place, se faire accompagner dans le néant. » Lou me rassure :
- La Bible a son enfer et son Diable. Nous on a des âmes qui veulent avoir le choix et des Chevaliers de l’Apocalypse qui propose une solution. C’est mieux d’avoir le choix, non ? Le but, c’est le bien-être, se sentir bien. Mais quand on va mal, on doit aussi avoir un accompagnement plutôt que de errer dans les limbes.
Maintenant je sais que je dois être là le plus souvent possible, jusqu’à la fin. Ce qui se passe et ce qui se dit ici est très important. Je suis contente de leur avoir donné le Parlement Bleu, je suis fière de lui avoir attribué ce rôle, c’est la résurrection de la politique, la vraie, celle qui ne nous mènera ni à la guerre, ni au néant mais vers notre Paradis. Je cours raconter tout ça à Victoria qui est rentrée au Palace. Je la trouve dans son bain sous un gros nuage de mousse et elle m’annonce :
- Ça tombe bien, je dois intervenir demain, pour expliquer ma Chapelle.
*
Qu’est ce qu’elle est belle à la tribune. J’essaie de me concentrer sur ce qu’elle dit mais je préfère la regarder, l’admirer. Si j’ai des questions j’ai tout le loisir de lui demander après. Et je regarde les autres, ils sont comme hypnotisés. Même le Père Simon s’arrête d’écrire et de trier ses papiers, il l’écoute
- Tout le monde, chacun, peut faire sa propre Chapelle, à son image, en fonction de ses convictions, pour que sa Foi s’exprime et se partage, y raconter son verset, son chapitre, son tome s’il le faut. La B4, ce n’est pas que de la religion. C’est aussi de la spiritualité. Et même l’Invisible ne s’arrête pas à la B4. C’est aussi de la magie, des pouvoirs, comme une Foi qui s’exprime à l’extérieur. Et la Bible ne s’arrête pas à la B4. Elle est évolutive. Il y en aura d’autres. Cette fois-ci ma Chapelle apparaît, j’espère qu’il y en aura d’autres, et de nouveaux Ordres aussi, et plus d’Invisible encore.
Je me souviens de son père à cette même tribune. C’était beaucoup moins intéressant. Et Émilie aussi risque de se revoir si elle voit les images de sa fille un jour. Tout est enregistré ici. À la fin de son discours, Victoria me rejoint et je l’emmène en régie. J’affiche deux écrans, elle aujourd’hui et sa mère il y a longtemps. Mais elle ne veut qu’une chose, me faire des bisous.
- J’ai été bonne ?
- Tu es bonne.
Elle s’assoit devant moi. Elle pose se lèvres sur les miennes. Je mets mes mains sur ses cuisses et je remonte. Elle les écarte pour plus se rapprocher encore. On se respire. Sur l’écran sa mère nous regarde. Ça m’excite.
- Rachelle, je t’ai enfin trouvée. Est-ce que tu es libre pour le prochain siècle ? J’aimerais qu’on le passe ensemble. Toi et moi. Maintenant que nos vies sont accomplies, on peut se consacrer l’une à l’autre, non ? Je vais te débarrasser de tes démons, je les sens au fond de toi, tu as beaucoup combattu, il te faut une commémoration, de la reconnaissance.
- Je ne sais pas Victoria, tu sais, la guerre, c’est fini. Perdue ou gagnée, il ne faut pas la célébrer, il faut l’oublier, tourner la page, laisser le passé au passé, et je suis là pour toi aussi, pour garder tes démons à distance. On ne doit pas se définir par un vécu subi, on doit se construire sur des actes, comme tu t’es construite avec ta Chapelle, comme je me suis reconstruite avec ma ville. Alors d’accord, je veux bien t’accorder une dizaine de décennies.
À la Cène, c’est au tour de Greta de monter à la tribune. Elle est entourée d’Énola à sa droite et Maëlle à sa gauche. Elles nous tournent le dos et mettent leurs mains sur une grosse corde. Greta parle en latin et elles tirent sur la corde. L’immense rideau gris tombe et découvre un énorme + et l’inscription BIV. Elle se remettent face à nous et Greta prend la parole :
- C’est la dernière ligne, droite, mais il ne faut pas vous mettre la pression. Pas d’objectifs, pas d’attentes non plus. Pas de déceptions. Laissez venir les choses. Ouvrez votre esprit. Et quand nos descendants trouveront mieux, ils écrirons leur B5. Ceci n’est qu’une étape. Mais c’est la nôtre. C’est la vôtre. Faites-en bon usage. Simon, Patrice, Énola, Maëlle, Lou, François, Nathalie, Scarlett, Adélaïde, Victoria, leurs Ordres, les Ordres, les Chevaliers de l’Apocalypse, à vous de jouer. La balle est dans votre camp. Mais après, il ne faut pas rester figé non plus. Vous avez ici un outil pour faire évoluer la spiritualité en dehors de la B4 qui n’est qu’un aperçu à un moment donné, une ligne directrice pour tout le reste qui va continuer d’évoluer, en vous. Et je sais qu’il y a peu de souffrances sur la planète C mais n’ayez pas peur de souffrir. C’est de la souffrance qu’on en apprend le plus, sur soi. Souffrez. Pardonnez. Bienvenue dans le final de votre B4. Que sa lumière soit avec vous, et avec votre esprit, amen.
Phoebe Montaigne, Mère Supérieure Adélaïde, Clarisse Principale, prend ensuite le micro dans l’Assemblée pour annoncer :
- Bienvenue dans la page 1200 de la B4, il y a 33 heures de lecture jusqu’ici, un nombre pas si hasardeux que ça. Suivez les signes, suivez votre instinct et il vous amènera où vous devez aller.
La séance est levée et en régie Victoria sort son brisim. C’est le début de la faim de notre Amour qui ne sera jamais rassasié. Et demain matin on se lève tôt pour aller à la Basilique célébrer la Messe du troisième jour du printemps, le dimanche 22 mars 2116.
EN RAISON DU MOUVEMENT DE GRÈVE DU JEUDI 23 MARS 2023, LES 86 DERNIÈRES PAGES DE CE TRIPTYQUE NE SERONT PAS ÉCRITES JUSQU’À NOUVEL ORDRE POUR PROTESTER CONTRE LE MONDE D’APRÈS QUI A ÉCHOUÉ DANS TOUTES SES PROPECTIVES ET SES PERSPECTIVES ET QUI NOUS PLONGE DANS LES SOMBRES ANNÉES 20 D’UN XXIe SIÈCLE OÙ LES LUMIÈRES S’ÉTEIGNENT, OÙ LA PROMESSE DU PARADIS S’ÉLOIGNE DANS UNE INVERSION DES PÔLES SPIRITUELLE, ÉCONOMIQUE ET DÉMOCRATIQUE.
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