1 - 3 - Le passage de l'Autre Lune (Ma'ek)
- Le passage de l’autre lune - Ma’ek
Ici, le passage de l’autre lune était un jour de communion, et tous les marins faisaient leur possible pour revenir sur l’île. Le premier Avalion, certes hérétique, restait un homme respecté chez les mataris - après tout, c’était le combat mythique entre cet homme et le Fléau qui avait créé ce petit paradis terrestre qu’était Ma’ek - Ma’ek, la seule terre d’asile pour ce peuple haï de tous. C’est pourquoi, jusque sur Ma’ek, où l'on vénérait pourtant les désignés, on célébrait la révélation céleste de l’Avalion; On le considérait presque comme un frère, lui qui avait si astucieusement dérobé l’Autre Lune au nez et à la barbe de l’Empereur.
Parfois, les marchands mataris ne pouvaient pas rejoindre l’île à temps; mais il arrivait qu’un équipage arrive tard dans la nuit, et on célébrait son arrivée dans les rires et l’alcool de mûres. Patmé guettait une de ces arrivées merveilleuses depuis l’aube. Il était sur Ma’ek depuis une semaine, et il espérait du fond du cœur qu’un certain homme reviendrait au port avant qu’il ne reparte.
Quand il arriva, Patmé se précipita à l’intérieur du navire qui venait d’accoster. Il courut sur le pont en ignorant les matelots qui le saluèrent en riant, et se jetta à l’intérieur de la cabine du capitaine.
Le commandant du navire sourit en le voyant entrer. C’était un vieillard boiteux, aux yeux gris, qui avait les yeux remplis de malice.
Octaf et Patmé se tombèrent dans les bras, et, très vite, leurs voix s’élevèrent au-dessus des vagues.
Ils se parlaient dans la langue de l'Éternel Empire, le vieux-mencite. C’était la langue la plus usitée au monde, et, bien qu’elle soit rocailleuse et difficile à articuler, tous les marchands sérieux se devaient de la pratiquer un minimum. Ils se parlèrent d’abord de tout et de rien, puis en vinrent justement à parler de l’Eternel, comme si le fait d’avoir utilisé une langue les forçait à parler de son pays d’origine, à la manière d’une goutte d’eau qui, sur le point de rejoindre la mer rugissante, porte encore en elle les traces de la paisible rivière de montagne duquelle elle a entamé sa descente.
“On dit qu’un homme exceptionnel vient de prendre la tête de l'Éternel Empire… Un guerrier féroce, qui porte le nom de Seth, dit Patmé sur le ton du badinage.
- Oui, j’ai entendu parler de Seth… On raconte que c’est un puissant homme d’état… Son élection est une catastrophe pour les trafiquants de l’Empire...
- Tu dirais que c’est une mauvaise chose pour notre petit commerce?... interrogea Patmé. Octaf prit un moment avant de répondre:
- Pour nous, non, ça ne nous concerne pas. L’Empire n’a jamais regardé vers la mer d’or. En revanche… C’est une très mauvaise nouvelle pour les pays du monde entier. Si l’Eternel parvenait à sortir de sa torpeur, et recommençait à lever ses troupes, alors aucun endroit du monde ne serait plus hors de portée de l’Empereur…
- Ne dis pas n’importe quoi, ria Patmé. Il ne suffira pas d’un Chancelier talentueux pour redresser ce pays. Tant que notre trafic n’est pas remis en cause, tout va bien. Par contre… au sud, les colons…
- Tu parles sans cesse du sud! Je n'aurais jamais dû évoquer cet endroit devant toi…
- Tu m’as promis que nous irions, et que tu me présenterais le roi auquel tu as fait allégeance, fit remarquer le jeune homme.
- … Je t’ai dit ça, hein…? Je suis bien bavard, quelques fois…
- Surtout quand tu as bu du bon rhum, confirma son matelot.
- Assez parlé. Ne nous attardons pas sur le port, veux-tu… Je préférerais ne pas avoir à croiser l’assagi… L’Autre Lune va bientôt passer. Allons la voir ensemble: Nous parlerons plus tard des choses importantes. Ce soir, profitons!
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