1 - 5 - Le Chancelier - Le non-passage de l'Autre Lune
Le Chancelier
Je crois que c’est assez, pour clore le volet de l’introduction. Désormais, les bases sont posées, je crois… Non! Il reste un dernier tableau. Un dernier personnage, sans lien apparent avec les autres, mais que j’ai déjà évoqué auparavant.
Cet homme… Cet homme vivait alors loin du peuple de la petite fille, et dans son ciel à lui, l’Autre Lune ne passait plus. Il n’avait aucun lien direct, ni avec la Dynastie des Avalions, ni avec les deux frères mataris, et encore moins avec ce maudit Octaf Féléis. Le briseur de monde vivait à l’Est, dans la capitale de l'Éternel Empire.: Cette autre capitale, qu’on appellait Mencis. Mencis la grande, cité des maudits et des illuminés, lovée dans les bras du fleuve Eos; Mencis la noire, resplendissante, cachée au coeur des grands déserts du titan nommé Orient, qui ceinturait les rivages fertiles dans ses bras de dunes.
- Le non-passage de l’Autre Lune - Mencis, capitale de l'Éternel Empire
Chacune des parties de l’immense Jardin des clartés représentait l’une des régions de l'Éternel Empire. C’était un trésor national, et les plus beaux chefs d'œuvre de la civilisation Mencite y étaient entreposés, en compagnie d’artefacts religieux d’une valeur inestimable. C’était ici, à l’est, que se trouvait le dernier des trois tableaux majeurs de cette histoire, avec les cinq royaumes et la mer d’Or. Située à la jonction du delta de l’Eos, au beau milieu du désert, là où le soleil est un adversaire et le soir un ami, la cité de Mencis était la plus peuplée du monde; et pourtant il n’y avait pas âme qui vive, au sein ces jardins.
Toutes les richesses de l’homme et de la nature semblaient avoir été rassemblées là, et cet endroit relevait du miracle - les très rares êtres humains qui s’y étaient rendu avait été tellement touché par sa beauté qu’ils en étaient ressortis changés, souriant et enjoués, comme des êtres parfaitement épanouis par ce dont ils avaientété témoin, et qui n’ont plus besoin de voir plus de ce que la vie à a offrir. Mais pour Seth, la beauté n’existait pas. Distractions sur le chemin.
C’était un homme imposant, qui était bien plus grand que la plupart des colosses. Son pas était ferme, son menton relevé. Ses cheveux bruns étaient rasés de près, et son allure avait tout de celle d’un militaire. Il ne prenait le temps d’observer ni les fleurs chatoyantes qui parsemaient l’allée, ni les tableaux cloués aux arbres précieux enluminant ses virages. Il avait l’habitude de regarder droit devant lui, comme si l’endroit où il allait était toujours beaucoup plus important que tout ce qui se trouverait sur son chemin.
Aujourd’hui, ce sentier était bordé de couleurs; Hier, c’était la mort qui le parsemait. Dans les deux cas, Seth ne regardait jamais le rebord du chemin.
Le colosse savait qu’il aurait pu se rendre maître du monde, s’il l’avait voulu. C’est une certitude qu’il avait tout à fait raison d’avoir: Cet homme n’était pas semblable aux autres. Ses émotions, il ne luttait jamais contre elle, et pourtant il en triomphait toujours. Sa force semblait sans limite, son caractère, impeccable: On aurait dit que la nature elle-même s’était exprimée en lui, tant il la représentait toute entière; Il était violent et doux, beau et fort, sage et cruel, parlait comme un orage aux uns et comme un oiseau aux autres. Dans toutes les proportions, c’était un grand homme que Seth. Et on ne pouvait s’empêcher de le remarquer. Après tout, c’était un fils de personne, un fils d’esclave, un simple soldat sorti du néant, qui était entré en politique hier, et qui était devenu l’homme le plus puissant de l’Empire en moins de temps qu’il en faut à une femme pour faire germer un enfant.
Ce jour-là, il n’éprouvait, comme à son habitude, aucune angoisse. Et pourtant, il aurait dû. Il était sur le point de rencontrer l’Empereur, après tout, et n’importe qui d’autre aurait été au moins nerveux de rencontrer l’essence de sa nation. Mais pas Seth. D’abord, parce qu’il n’était pas croyant; ni le culte d’Extellar, ni celui de l’Empereur, ni aucun autre n’avait su éveiller une quelconque trace de foi en lui. C’était une information qu’il se gardait bien de révéler, et il se contentait de faire semblant de pratiquer la religion officielle de l’Empire, sans chercher à lutter pour imposer ses vues athéistes sur le monde. Ensuite, la peur non plus, n’existait pas, dans l’esprit de Seth. Ou tout du moins, c’est ce qu’il pensait.
C’est ce tempérament, associé à son efficacité et à la froideur de son caractère, qui l’avait placé au poste très convoité de chancelier de l’Empire. A trente ans, il était le plus jeune homme ayant jamais occupé le poste; il gouvernait depuis quelques saisons, et il avait déjà ordonné des décrets visionnaires, qui avaient ébloui ses soutiens et décontenancé ses rivaux. Le monde entier était suspendu à cette rencontre: ce Chancelier réussirait-il là où tous les autres avaient échoué ?... Lui qui semblait si puissant, le serait-il assez pour convaincre l’Empereur ?...
Son autorité ne serait pleinement reconnue que si celui-ci lui donnait le Sceptre, un artefact sacré qui était le symbole final de la puissance politique, dans l’Empire. Alors, les fleurs, très peu pour Seth; Il regardait toujours droit devant lui. Il l’avait toujours fait, et c’est pour ça qu’on finissait par le suivre. Pourtant, cette fois-ci, il allait détourner le regard de son chemin pour la première fois de sa vie.
Toutes les fleurs et tous les arbres du monde pouvaient être trouvés dans le Jardin des clartés. Chaque sous-espèce d‘orchidée, chaque rose et chaque buisson, des immenses baobab du Grand Sud aux sapins du plateau de l’Imbrie, tous pouvaient y pousser, grâce à la science de l’Empereur. Ces jardins n’avaient pas d’égal en ce monde: Ils étaient entretenus par des dynasties d’esclaves qui ne le quittaient jamais. Mais Seth ne croyait pas en la beauté. Il n’avait pas vu les milliers de pétales s’ouvrir sur ses pas au fil de la matinée passée à traverser le Jardin, ni contemplé les rayons du soleil liquide qui coulaient entre les feuilles d’arbre pour éclairer sa route. Seth ne croyait pas en la beauté. Pourtant, quand il entra dans l’antichambre de l’Empereur, le dernier jardin avant la résidence, il la vit pour la première fois.
Il savait pourtant que c’était précisément dans ce lieu, qu’il fallait baisser les yeux. L’esclave l’avait prévenu, quand il était entré: Croiser le regard d’une des épouses de l’Empereur était passible de mort, même pour lui. Les 99 femmes jugées comme étant les plus “belles” de l’Empire étaient enfermées dans cette partie du Jardin. C’était une triste métaphore, qui habitait les fantasmes de bien des peuples. Ces femmes étaient appelées “les cent pétales”; Piètre réconfort des mots rendus à ces jeunes filles qui se voyaient exécutées dès l’apparition de leurs premières rides. Réduites à la fonction de fleur décorative, elles se fanaient l’âme à errer dans les sources chaudes entourant la Résidence.
Seth n’était pas un homme lubrique. Il ne s'intéressait pas aux femmes. Quand l’une d’entre elles était attirée par la force évidente qu’il dégageait, il la traitait avec tellement de froideur qu’elle changeait vite d’avis sur son compte; Brutal et hautain, il appelait le sexe féminin “sexe faible”, puisqu’incapable de se livrer aux arts de la guerre. Mais quand il la vit, il trouva soudain les arts de la guerre bien dérisoires.
Son regard resta fixé sur cette femme nue à la beauté indescriptible. Elle était assise sur le rebord d’une des sources, et fixait le ciel avec amertume. Les vapeurs s’étaient condensées sur sa peau, et ses membres reflétaient doucement la lumière du matin. Ses seins dressaient leurs pointes brunes au-dessus d’un ventre finement dessiné, et une cascade de flammes noires couronnait son visage. Ses yeux sombres ressemblaient à deux trous dans lesquels on pouvait apercevoir le feu d’une âme consumée de jeunesse et de vie.
A la première seconde, Seth se dit qu’il devait baisser les yeux. Il n’avait pas le droit de la voir. Si quelqu’un surprenait ce coup d'œil impudique, il serait exécuté le jour même; à la deuxième, il se promit de ne regarder qu’une seconde de plus. Mais à la dixième, la femme leva la tête, et écarquilla les siens.
Au début, elle n’eut pas l’air offensée de constater cet homme qui l’admirait de loin, sans s’arrêter de marcher. Ce n’est pas la pudeur qui l’animait, mais la surprise. Il osait? Puis, elle sembla se rendre compte qu’elle était totalement nue. Elle eut l’air de vouloir se cacher, mais, un éclair d’insolence arqua alors son corps, et elle toisa Seth sans cacher ses seins ni son sexe.
La bouche nigaude du colosse s’entrouvrit. Il la fixa avec tellement de béatitude qu’il s’écarta du sentier blanc qu’il avait suivi jusqu’alors. Se rendant alors compte de ce qu’il était en train de faire, il baissa précipitamment les yeux, et se remit à suivre la route. Son cœur battait fort dans sa poitrine, et il sentit une chaleur un peu trop agréable lui gagner le corps. Il fronça les sourcils, releva la tête, et se remit à marcher comme si de rien n’était. Après tout, ce n’était qu’un petit détour, se disait-il...
Notes du Premier Registre
Le Registre estime que presque toutes les traces de civilisations précédant l'avènement de la Chimère ont disparues. Ce que nous avons trouvé était incompréhensible, et ce que nous cherchions n’existait pas. La seule chose qui semble avoir existé avant la Chimère, c’est la Haute-Trinité; Trois épées sacrées, dont les propriétés extraordinaires témoignent de l’avancement des peuples ayant précédé la Chimère.
La première d’entre elles se nomme “Solaris”. C’est une arme de destruction massive, qui possède également une autre propriété étrange: L’Autre Lune semble ne passer qu'au-dessus de l’endroit où Solaris est située. C’est le Premier Avalion qui, il y a un peu moins de deux siècles, déroba cet artefact dans le trésor de Limbad.
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